Nos animaux préférés , entrevoûtes
de Antoine Volodine

critiqué par Sahkti, le 24 janvier 2006
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
Contes oniriques
Tout nouveau tout chaud le bestiaire de Antoine Volodine! Des récits qui font du bien, nouvelles cruelles et fantastiques mettant en scène des animaux étranges. Le recueil s'ouvre et s'achève avec Wong l'éléphant qui parcourt un monde en ruines. Au fil des pages, nous faisons la connaissance des crabes Balbutiar, des sirènes Cabillebaude, Aiglefine, Court-Brouillonne et Barbille; de mouettes qui tirent la tête...
Drôle de bestiaire qui n'est jamais que le reflet de nos imaginaires et, quelque part, le miroir de nous-mêmes. Chaque récit comporte sa dose d'évasion au milieu de l'aigreur, de la désillusion, du chagrin ou du silence. Une construction étonnante de la part de Volodine qui rend les créatures de ces contes enfermées dans un univers créé par l'auteur fictif des contes, un recul pris par l'auteur réel pour laisser place à un écrivain irréel.
A travers ces histoires, on sent l'espoir d'un monde nouveau, l'attente d'une renaissance après avoir touché le fond. Or même lorsque l'on croit que le pire est arrivé, on réalise qu'il est encore possible de continuer à s'enfoncer. Sans espérance. Ce qui est pire que tout. Avec l'enfermement dans l'échec.
De cette noirceur, Volodine en parle avec lucidité et aussi humour, tantôt cynique tantôt carrément drôle. Et puis le fait de placer ses héros en-dessous de tout leur donne un regard différent sur le monde, ils peuvent parler de hauteur, donner des conseils, tenter d'améliorer les choses là-haut. Vu d'en bas, tout peut sembler possible, il demeure la possibilité de monter, tandis qu'en haut, on risque plus souvent de tomber.
Un ensemble de récits sombres et poétiques que je trouve touchants et bien écrits, dans une langue imagée propre à l'auteur, dont ce livre est à lire et à inspirer.
Dans la noirceur de sa fin du monde, Volodine est porteur d'espérance. A sa façon... étrange, ambiguë et envoûtante.
Entrevoûtes 7 étoiles

Entrevoûtes, dit-il. Pour ne pas dire contes, pour ne pas dire nouvelles. Entrevoûtes donc.
Ne pas se fier au titre «Nos animaux préférés ». Ce n’est pas vraiment le sujet. On en reconnait bien quelques-uns au fil des … voûtes , alors ( ?), des contes disons, comme Wong, l’éléphant, qui introduit et clôt le recueil, des crabes – que j’imagine plutôt pour ma part comme des coquillages, genre bigorneaux, des mouettes, des poissons (sirènes ?) … mais … D’abord en quoi sont-ils préférés ? En quoi sont-ils même des animaux ? Ou plutôt, en quoi nous, humains, sommes-nous différents de ces animaux-là ?
Non, le sujet, c’est toujours la frange ultime du monde. Pas la frange géographique, la frange temporelle. Le bord de la fin du monde, ou d’un monde, celui des humains. C’est assumé désespéré – au cas où vous trouveriez quelque intérêt à la vie ( !) – parfaitement désillusionné.
Ce qui est amusant, c’est qu’Antoine Volodine, aux multiples identités, aime bien se nommer, faire une apparition dans ses écrits. Il est nommé là, sous je ne sais plus quel pseudo mais il apparait.
Bon, je dois reconnaître que cette volonté délibérée de toucher toujours plus noir que le noir précédent a quelque chose de pénible – mais c’est toujours court, en même temps ! Ca rappelle les cuillerées d’huile de foie de morue qu’il fallait s’enfiler, enfant. Atroce, mais avalé d’un coup, ça passait, le mauvais moment. Antoine Volodine = cuillerée d’huile de foie de morue ? Eh bien oui en fait, là.
De la même manière que l’huile de foie de morue a des qualités thérapeutiques, Antoine Volodine laisse une couche de quelque chose quand on s’y est frotté, une couche un peu magique et mystérieuse ou comme des paillettes qui se seraient collées à vous et dont on n’arrive pas à se débarrasser. Il y a des fulgurances, des intuitions qui vous percutent entre les lignes, qui ne sont pas écrites mais qui vous laissent tout songeur au fil de votre lecture lente. Forcément lente, je ne conçois pas de lire Volodine rapidement.
Mais ça reste une purge. Comme l’huile de foie de morue … Et, oui j’allais oublier ! Vous savez à quoi me fait penser ce « Nos animaux préférés » dans son inspiration onirique ? Le roman inachevé de Jean Giono « Fragments d’un paradis ». Mais Giono était beaucoup plus lumineux. Evidemment.

Tistou - - 68 ans - 5 avril 2014


Tout est d’ailleurs. 10 étoiles

De genre inconnu mais néanmoins familières, ces « entrevoûtes » envoûtantes, fruits de l’imagination d’auteurs imaginaires, transportent le lecteur, à travers des épaisseurs de supposés palimpsestes, jusqu’à un monde crépusculaire où se jouent sans cesse les mêmes scènes, jamais tout à fait identiques cependant. Se répondent et se répètent en écho symétrique les destins d’animaux ou d’humains improbables, les presque mêmes histoires sans fin, cruelles et dérisoires, sinon que l’écho bien sûr est déformant et qu’à chaque fois quelque chose a bougé qui fait que l’on se retrouve dans autre chose encore, qui nous rapproche de la fin.
Somptueux.

Feint - - 61 ans - 3 mars 2008


Rituel des contes 10 étoiles

Comme un chaman, Antoine Volodine me happe d’histoire en histoire, comme si j’étais partie intégrante de la trame de celles-ci. Une fois encore, je suis entrée de l’autre côté des mots. Comme un poème, un conte, un rituel chamanique, comme une chanson de geste médiévale, comme un geste de danse contemporaine. Antoine Volodine nous donne à décrypter des territoires d’un autre monde qui ressemble au nôtre. D’un autre monde où l’on se sent aussi mal que dans le nôtre. Comme si c’était l’envers et l’enfer de notre monde.
Et l’on marche avec ses mots, l’on chemine, l’on court…
Chaque livre de Volodine est un bout de monde. Un territoire qu’on donne à vivre par la lecture.
J’entre en lecture comme j’entre en magie. En incantations.
Les contes racontent le pourquoi des contes et comment ils se content et se racontent…
A chaque fois que je lis un Volodine, je me remets à lire tous les autres. Je ne peux faire autrement. C’est pour reconstruire cet univers très particulier. Comme le rêve d’un aborigène, comme la réalité d’un rêve qu’il me faut rattraper et je sais qu’au bout de deux ou trois romans relus, je vais me sentir bien de savoir que ma désespérance est lucide. Que des traces de mots dessinent cette désespérance éclairée par des éclats de rire lumineux.
Là, je vais relire « Les anges mineurs », « Dondog » et « Bardo or not bardo » et peut-être un ou deux autres.
Pour redonner de la réalité à mes rêves, des rêves à ma réalité. Pour être enceinte de mots à naître en rêves…
Antoine Volodine, ça ne s’explique pas, ça s’exprime, ça s’exulte, ça se transpire, ça se lit à haute voix, ça se chuchote dans une solitude.
Comme une caresse qui roule sur les galets, là bas, loin au nord de la mer du nord...
Encore une fois, les mots de Volodine, c’est de l’émotion !

Channe01 - - 70 ans - 30 janvier 2006