India song
de Marguerite Duras

critiqué par Fee carabine, le 12 janvier 2006
( - 50 ans)


La note:  étoiles
Des voix, des images - des histoires, des amours
C'est l'histoire d'Anne-Marie Stretter et de Michael Richardson.
C'est l'histoire du Vice-consul de France à Lahore.
C'est l'histoire d'une mendiante qui a marché de Savannakhet au Laos jusqu'à Calcutta et à la rive du Gange, qui a marché pendant dix ans semant sa raison comme des cailloux sur son chemin.

C'est une histoire d'errance. C'est une histoire d'amour. C'est une histoire de mort.

Dans ce texte écrit pour le théâtre, mais qui n'est pas à proprement parler une pièce de théâtre, Marguerite Duras revisite deux de ses romans: "Le Vice-consul" et "Le ravissement de Lol V. Stein". Elle en reprend certains personnages et des éléments de l'intrigue sous un angle nouveau, et en adoptant un dispositif narratif original qui fait appel à des voix extérieures au récit, ce qui lui permet "de faire basculer le récit dans l'oubli pour le laisser à la disposition d'autres mémoires que celle de l'auteur: mémoires qui se souviendraient pareillement de n'importe quelle autre histoire d'amour. Mémoires déformantes, créatives." (p. 10) Pratiquement, quatre voix "off" (deux femmes et deux hommes) nous content à tour de rôle l'histoire d'Anne-Marie Stretter, de Michael Richardson et du Vice-consul de France à Lahore, tandis que les acteurs incarnant ces personnages jouent - en silence - l'action dont les voix nous font le récit, et le texte qui nous est donné à lire propose les dialogues entre les voix "off" entrelardés de (très) longues didascalies décrivant les intonations et les effets souhaités pour la déclamation du texte, ainsi que les gestes et les attitudes des acteurs.

"India Song" est un livre indéfinissable, pas vraiment roman, pas vraiment pièce de théâtre, pas vraiment poésie - mais un peu des trois. Un texte inclassable et déroutant qui malgré son aspect "mal léché" dégage un charme ensorcelant...

Deux ans après la publication d'"India Song", Marguerite Duras a elle-même porté son livre à l'écran avec notamment Delphine Seyrig, longiligne et langoureuse, dans le rôle d'Anne-Marie Stretter et Michael Lonsdale dans celui du Vice-consul. Le film conserve l'idée de la narration par des voix extérieures, mais la structure est ici beaucoup plus souple laissant place aussi à quelques dialogues. Marguerite Duras a pratiquement réécrit son texte de fond en comble, ou en tout cas, elle l'a complètement restructuré pour tirer le meilleur parti des possibilités techniques offertes pas le cinéma. Cela nous vaut un film tout aussi déroutant - et tout aussi fascinant - que le livre, un film baigné dans la même atmosphère étouffante et dans la langueur et l'ennui de l'attente de la mousson. Le livre et le film sont deux belles découvertes, révélant une facette moins connue de l'oeuvre de Margerite Duras.


Extrait (p. 40):

Les voix entrelacées, d'une douceur culminante, vont chanter la légende d'Anne-Marie Stretter. Récit très lent, mélopée faite de débris de mémoire, et au cours de laquelle, parfois, une phrase émergera, intacte, de l'oubli.

Voix 1
De Venise.
Elle était de Venise...

Voix 2
Oui. La musique, c'était à Venise.
Un espoir de la musique...

Voix 1 (temps)
N'a jamais cessé d'en faire?

Voix 2
Jamais.
Lenteur et longueur pour une caricature 4 étoiles

Marguerite Duras utilise lenteur, longueur et pauses pour se paraphraser elle-même, au risque de se caricaturer. Dans ce scénario, qui donne lieu à son film avec Michael Lonsdale, elle reprend, ni plus ni moins, la trame du Vice-consul, en accentuant davantage sur les amours contrariées. Si l'intérêt général demeure, les effets sont forcées, et finissent par devenir vains, dans une tonalité d'intellectualisme éthéré. Tout cela est bien pesant... et finalement assez agaçant. C'est dommage. L'idée originelle aurait pu devenir originale.

Veneziano - Paris - 46 ans - 9 juin 2013