L'éducation sentimentale
de Gustave Flaubert

critiqué par Veneziano, le 7 janvier 2006
(Paris - 46 ans)


La note:  étoiles
Les aléas amoureux d'un dilettante
Voilà un roman sulfureux pour son époque, très vivant, avec beaucoup de rebondissements. Comme souvent au XIXème siècle, il s'agit d'un roman d'amour. La trame générale est que Frédéric Moreau, jeune bachelier faisant ses études de droit, s'éprend de Madame Arnoux, l'épouse du directeur d'un grand quotidien, mère de famille.
Elle lui apparaît à lui comme venue du ciel et il fait tout pour la revoir. Il se rend compte que son mari la traite d'une fort rustre manière, ce qui approfondit son désir de la combler de son affection. Ses désirs, les événements historiques - les émeutes révolutionnaires - auxquels ils participent, plus ou moins malgré lui, ont raison de sa réussite à son examen.
Ses amis, parmi lequel son cher Deslauriers, lui conseillent plutôt de s'éprendre de Madame Dambreuse, également mariée, dont il finit par devenir une sorte de gigolo officiel, le mari de celle-ci étant son protecteur. Il se lie également d'une "amitié intime" avec Rosanette, jeune femme du demi-monde, dénommée la Maréchale, en raison d'un déguisement en soirée.
Mais son véritable amour reste Madame Arnoux, avec qui les quiproquos commencent, en raison des sentiments mêlés et des relations multiples que ce si charmant dilettante entretient, notamment avec la fort familière Rosanette.
Voilà pour la trame, dans l'essentiel. A vous d'en découvrir le détail et le dénouement.

Ce roman est un grand classique, aussi ai-je été surpris de constater qu'il ne figurait pas dans la base de notre cher site, ce qui était une carence.

il est beaucoup plus vivant, passionnant et facile d'accès que le lénifiant Madame Bovary, à mon sens.
Un seul point me chiffonne : l'absence de parti pris de Flaubert, volontaire. Certes, je critique chez Hugo son trop grand nombre de digressions politiques, par ailleurs beaucoup trop longues, qui éloignent d'autant le lecteur de l'intrigue principale, mais tout autant passionnantes néanmoins. Flaubert a un peu le défaut inverse : cette neutralité de l'écrivain me paraît dommage, voire vaine. Il pourrait au moins donner une couleur idéologique à ses personnages. Il semblerait, à la lecture du Profil de Pierre-Louis Rey que cet apolitisme est le fruit d'une neutralité voulue chez l'écrivain, un principe chez Flaubert. Je ne le partage pas : il me semble utile que les intellectuels prennent parti, pas forcément au sein des romans, ce qui n'est pas vraiment le lieu, puisqu'ils n'ont pas véritablement à s'y décrire eux-même, mais cela ne l'empêchait d'écrire des essais ou des oeuvres fictives à caractère politique. Ce rejet m'apparaît comme une fuite, surtout au sein d'un siècle aussi tourmenté, qui a connu autant d'émeutes et de contre-révolutions.

En soi, c'est un très bon roman.
Un destin contrarié 8 étoiles

Cette relecture montre à quel point l’appréciation d'un livre dépend du contexte, de la situation à un instant "t" du lecteur. Alors que ma première lecture, effectuée il y a de cela il y a plus de vingt-cinq ans désormais, m'avait fait considérer l'Education sentimentale comme le chef-d'oeuvre de Flaubert et, partant, de toute la littérature française classique, cette seconde visite au monde de Frédéric Moreau m'a beaucoup moins convaincu et je suis en mesure de dire que j'apprécie plus Madame Bovary désormais.
Bien entendu le style de Flaubert est impeccable et sa prose à mon sens est indépassable, mais le thème lui-même et la galerie de personnages qui hante ses pages ne sont pas aussi marquants que ceux que l'on trouve dans les pages de Madame Bovary.
Chacun s'accorde à considérer L'Education comme un roman d'apprentissage, j'y vois plutôt et avant tout une critique de la bourgeoisie sous toutes ses formes: grande bourgeoisie d'affaire, petite-bourgeoisie combinarde...Celle-là ne rêve qu'à s'élever au rang de l'autre et est prête à tout pour se faire. Frédéric Moreau, le personnage principal évolue entre ces deux mondes, entre les Roque, notables de province et les Dambreuse, bourgeois parisiens qui manient des affaires très juteuses. Frédéric aurait la possibilité de réaliser les rêves de sa mère et d'accéder à la vraie fortune mais est empêché tout au long du roman par sa passion pour Mme Arnoux. Les premières pages du livre annoncent le reste: une idéalisation de cette femme par un jeune homme qui ne trahira jamais le souvenir de cette rencontre. Malgré sa timidité, malgré ensuite les circonstances, Frédéric ne délaissera son amour pour la veuve Dambreuse ou ,aventure plus osée au titre des convenance, pour la Maréchale.
Bien entendu, l'Education est un grand roman mais il souffre des longs tunnels au cours desquelles des stéréotypes de personnages s'emploient à déployer leurs caractéristiques afin que Flaubert puisse dresser un portrait de cette société parisienne qu'il exècre manifestement: Deslauriers, l'ami arriviste qui n'hésite pas à trahir son ami Moreau, Arnoux, le petit escroc, Sénécal, le socialiste révolutionnaire qui se retrouve du côté de l'ordre, le petit aristocrate qui cherche à s'encanailler mais, fidèle à son milieu, terminera avec huit enfants. Oui, c'est un long roman qui aurait gagné à la réflexion à être coupé du tiers mais cela est bien entendu voulu par le maître qui distille un faux rythme tout comme Frédéric vit sa vie sur ce même faux rythme sans jamais rien achever: attiré par les arts, puis par la politique, sans cesse empêché par un amour qu'il ne réalisera pas... le lecteur doit en passer par là pour saisir combien la destinée de la plupart se révèle finalement triviale alors que la jeunesse est si porteuse d'espoirs et d'ambitions.

Vince92 - Zürich - 47 ans - 20 décembre 2022


L'histoire. 6 étoiles

C'est un roman très long il faut s'accrocher il y a plus de 600 pages à lire. C'est d'époque, des romans longs de la fin du dix neuvième siècle. Elle exprime la vie quotidienne bourgeoise parisienne. On en fait aussi une grande fresque alors que le roman est lourd et peu intéressant. Le jeune homme en question se laisse bercer par la vie, il rencontre du monde, il va manger chez des gens, il déguste des truites du lac Léman. Par contre l'homme est difficilement compréhensible car il s'intéresse uniquement à des femmes mariées, il s'amourache avec des couguars comme s'il était vénal. Certaines femmes lui rongent l'esprit, enfin le seul point intéressant du livre. Néanmoins dommage qu'il n'a pas beaucoup de charisme. Quant au style, il parle beaucoup, c'est d'époque, raconte des manifestations d'étudiants et des révoltes de rue. L'homme sert de yeux pour le narrateur, il regarde et observe mais ne fait et ne participe à rien, il visite les scènes pis il rentre chez lui dans son grand salon avec de la moquette par terre. Cette plume je suppose Maupassant s'en est inspiré et De Beauvoir aussi plus tard. Quant à lui je suppose qu'il a lu Rousseau ou les rêveries du promeneur solitaire. Il aime ces longues histoires pour au final retrouver son chez soi sans encombre. Au fait Paris à l'époque devait être agréable, pas de crasse et pas de personnes vulgaires malpropres ou sales, uniquement des gentils hommes comme lui, comme Maupassant et comme Rousseau. Rien à déclarer tout le monde est clean.

Obriansp2 - - 54 ans - 3 mars 2016


Rater sa vie 9 étoiles

Chronique d'une génération qui aura raté sa vie, L'Education sentimentale brosse le portrait d'un homme en particulier, Frédéric Moreau, mais aussi ceux de ses compagnons de jeunesse, pris (ou actifs) dans les tourments d'une époque instable politiquement et mouvante socialement parlant.
Le dialogue de fin entre Frédéric et Deslauriers, son meilleur ami retrouvé, est clair et direct ; les deux hommes ont l'impression d'avoir raté leur vie. Tous deux ont échoué, l'un par excès de cœur, l'autre par excès d'ambition.

Le jeune Moreau épris de Mme Arnoux, l'esprit occupé d'un amour étincelant, relaté de la plus belle des manières par un Flaubert ayant déjà excellé dans ce domaine avec Mme Bovary, aura d'autres aventures, même des projets de mariage, oubliera un temps son fantasme dans les bras d'autres femmes ; mais jamais il ne renoncera à vivre heureux avec la belle Arnoux, à tout moment sa passion pouvant revenir lui occuper l'esprit.
Au fond la Maréchale n'aura été qu'un faire valoir, un joli corps permettant l'assouvissement d'un fantasme, d'un besoin, un moyen de vengeance aussi après avoir été rejeté par la femme de M. Arnoux ; la jeune Lucie n'aura été qu'une satisfaction orgueilleuse d'un homme ayant besoin de se sentir aimé, tout comme la possibilité d'un mariage facile et opportun ; Mme Dambreuse n'aura été qu'une preuve de réussite sociale et sentimentale, un accessit au haut monde de la bourgeoisie.
On suit avec plaisir l'éducation sentimentale du jeune homme, entre amour frustrant et découverte du pouvoir de séduction, entre angoisse de l'impossible et délectation du sentiment d'être aimé.

Tout cela s'inscrit dans un contexte politique et social vacillant, enclin à la violence, où Flaubert sait discrètement insérer son opinion en relatant les actes odieux et tachés de sang des deux côtés de cette opposition (peuple/aristocratie), en montrant l'opportunisme de certains (Dambreuse, Sénécal) et le courage et la loyauté d'autres (Dussardier). On pourra toujours regretter que ce fond historique se fasse finalement trop discret, passe au second plan derrière les pérégrinations de Frédéric, la chute de la maison Arnoux et même derrière le si divertissant personnage de Rosanette. Reste que si Madame Bovary pouvait faire songer à Anna Karénine, L'Education sentimentale se rapprocherait légèrement d'un Dostoïevski, avec ces personnages nombreux, beaucoup guidés par des idéaux sociaux et politiques. Mais là où l'auteur russe faisait de la religion et des idéaux sociaux son moteur quant à l'avancement de ses personnages ; Flaubert n'en fait qu'un cadre historique (où la religion est peu présente d'ailleurs) qui permet juste à ses personnages de briller un peu plus dans leur valeur ou leur tares.

La plume de l'écrivain de Salammbô n'en est pas moins un régal pour le lecteur, croquant des personnages tous intéressants et variés avec la magie des mots. Un talent qui lui permet de dépeindre parfaitement l'amitié, l'amour, la passion, l'opportunisme, la colère, la vengeance, la frustration et tous ces sentiments que l'on vit au cours de notre éducation sentimentale. On ne sait si Frédéric Moreau a appris de ses échecs, mais la matière est là en tout cas, et le sentiment d'évolution du personnage est bien réel. Peut-être que le lecteur peut, lui, en apprendre quelque chose ?

Et si ce dernier préférera peut-être Madame Bovary (ou un autre ouvrage de Flaubert) à L’Éducation sentimentale, il réalisera bien vite qu'il a eu raison de lire les deux et les appréciera chacun à leur juste valeur.

Ngc111 - - 38 ans - 31 juillet 2012


Pas assez dedans 6 étoiles

Ce livre décrit les aventures amoureuses du protagoniste Frédéric Moreau jusqu'à sa rencontre avec Mme Arnoux qui symbolise la femme inaccessible tant désirée
Le livre est sympa , plutôt bien écrit mais traîne parfois en longueur et m'apparaît un ton en-dessous des très bons romans de Maupassant

John - - 34 ans - 11 novembre 2010


Un contre-modèle de l'apprentissage des sentiments !! 3 étoiles

C'est surprenant. Encore une fresque flaubertienne qui se focalise sur un être sans véritable grandeur d'âme. Emma Bovary paraissait trop futile pour apprécier sa vie, et n'acceptait pas que la réalité ne corresponde pas à ses attentes et à ses illusions. J'avais compris son désespoir de femme face à la petitesse et à l'étroitesse de sa vie. A la fin, elle commettait un geste qui, pour moi, signait une révolte contre sa condition.

Ici, Frédéric Moreau - dix-huit ans au début du récit - traverse les ans à ne s'occuper que de sa propre personne, en quête de femmes (pour lesquelles il ne s'avère avoir aucune considération, si ce n'est pour Madame Arnoux) et d'argent. Grosso modo, il cherche tour à tour une femme qui puisse satisfaire ses envies - comme la frivole Rosanette, ou une femme qui puisse l'enrichir - comme Madame Dambreuse. Le reste du temps, il court après une femme inaccessible - la fameuse Madame Arnoux - et se joue d'une jeune enamourée - Mademoiselle Roque - à qui il fait faussement miroiter un mariage.

Toute cette épopée pour se retrouver , à quarante-cinq ans, avec son ami au coin du feu à avouer que ce qu'il a connu de meilleur, c'était à l'âge de quinze ans. J'ai clos le livre désabusée, insatisfaite de n'avoir pas eu le message de sagesse que j'attendais, sur l'apprentissage des sentiments.

Voilà un livre sur un homme, écrit par un homme, destiné aux hommes. Les femmes y apparaissent souvent comme des poules manipulées par les coqs. Un passage honorable sur la maturité de la femme, toutefois, est à noter dans la deuxième partie, au chapitre VI :

"D'ailleurs, elle touchait au mois d'août des femmes, époque tout à la fois de réflexion et de tendresse, où la maturité qui commence colore le regard d'une flamme plus profonde, quand la force du coeur se mêle à l'expérience de la vie, et que, sur la fin de ses épanouissements, l'être complet déborde de richesses dans l'harmonie de sa beauté."

Vous n'apprendrez rien des sentiments au travers de "L'Education sentimentale". Mais cela reste du Flaubert, de la littérature comme on n'en fait plus, extrêmement dense et fouillée. Le récit, qui s'étale de 1840 à 1867, a l'intérêt notable de passer en revue les heurts et les tumultes de l'histoire politique française de la période.

Magdalili - Bordeaux - 40 ans - 17 février 2006