La couleur des abeilles
de André-Marcel Adamek

critiqué par Saint-Germain-des-Prés, le 3 janvier 2006
(Liernu - 56 ans)


La note:  étoiles
Inspiration morbide
Pour inaugurer sa collection version livre de poche (nommée « Millésimes »), le Castor Astral a eu la bonne idée d’aller rechercher, notamment, un roman d’Adamek qui date de 1992. Le revoilà donc à l’avant-plan chez tout bon libraire qui se respecte.

Il s’agit de l’histoire assez troublante d’un artiste, Malcolm Marloch, qui excelle exclusivement dans la peinture de têtes désolidarisées de leur corps. C’est déjà assez glauque comme ça, quand on découvre que l’inspiration ne lui vient que face à des situations réelles. Pour réussir ses toiles, il doit les réaliser au moment précis où visage et corps se séparent, saisissant ainsi l’horreur dans la fugacité et la brutalité, capturant l’expression des yeux, unique, la toile devenant sublimation de l’instantanéité de la mort. Oui mais comment faire pour trouver des « modèles » et les mettre dans cette situation ? Surtout que Malcolm a été repéré par le directeur d’une galerie d’art, qu’il a accepté maintes avances sur salaire et qu’il est donc contraint de lui livrer une vingtaine de toiles… Peut-être suffirait-il de troquer un animal contre une personne réelle ? Un poisson, par exemple, qui donnerait lieu à une nature morte … vraiment morte ? Non, l’impression qui se dégage de l’œuvre (et surtout son odeur, Malcolm utilisant les restes de l’animal comme composante de la toile…) ne correspond pas à ce qu’on en attend… Diable, comment faire ?

On entre petit à petit dans l’horreur avec ce roman d’Adamek, dans le dégoût. Mais comme Adamek est un écrivain de génie, il réussit la performance de distiller et de terminer son livre sur une note tout en tendresse…
Un bijou 8 étoiles

La couleur des abeilles est un roman complètement déjanté, plein d'humour et de cynisme... une satire du monde de l'art avec toutes ses dérives.
Marloch est en errance avec une charrette qui contient ses pinceaux, ses toiles et ses couleurs. Il est hébergé par un curé dépanneur de télévision qui subitement le chasse. Direction : Courdes (ça ne s'invente pas). Le lieu-dit est la Mecque des peintres de tout poil avec leur cohorte de modèles, leurs clients, leurs galeristes. Une odeur de térébenthine envahit l'atmosphère.
Marloch aime les têtes, les nuques aussi mais avec une nette préférence pour les voir séparées les unes des autres.

"Enfant, pendant les interminables trajet en bus, la nuque merveilleusement modelée qu'il apercevait entre deux tresses couleurs de paille appartenait à Peggy Mac Loane et dépassait en harmonie et en grâce tout ce qu'il avait pu contempler au cours des interminables trajets à travers les monts chaotiques. A l'approche d'un virage dangereux, la seule contemplation de cette nuque avait le pouvoir de dissiper ses angoisses. Il rêvait pouvoir un jour y déposer un baiser, ou même d'y promener la langue et les dents. Quand Peggy était assise juste devant lui et que sa nuque gracile dépassait du dossier de la banquette, il s'inclinait en avant pour en capter le parfum discret, si près que son souffle faisait frémir le duvet blond qui ondulait alors comme une vague."

Un bijou.

Monocle - tournai - 64 ans - 18 février 2017