Discours de la servitude volontaire
de Étienne de La Boétie

critiqué par Mieke Maaike, le 19 décembre 2005
(Bruxelles - 51 ans)


La note:  étoiles
Pour être esclave, il faut que quelqu'un désire dominer et... qu'un autre accepte de servir
Un texte fondateur écrit en 1576 par un jeune homme de 18 ans. La Boétie y analyse les fondements de la relation tyran-peuple soumis, et en particulier les mécanismes qui incitent les gens à se soumettre à leur tyran. « C’est le peuple qui s’asservit et qui se coupe la gorge ; qui, pouvant choisir d’être soumis ou d’être libre, repousse la liberté et prend le joug ; qui consent à son mal, ou plutôt qui le recherche ».

Comme causes, il cite l’habitude et l’ignorance : « Il est vrai qu’au commencement on sert contraint et vaincu par la force ; mais les successeurs servent sans regret et font volontiers ce que leurs devanciers avaient fait par contrainte. Les hommes nés sous le joug, puis nourris et élevés dans la servitude, sans regarder plus avant, se contentent de vivre comme ils sont nés et ne pensent point avoir d’autres biens ni d’autres droits que ceux qu’ils ont trouvés ; ils prennent pour leur état de nature l’état de leur naissance ». « La première raison pour laquelle les hommes servent volontairement, c’est qu’ils naissent serfs et qu’ils sont élevés comme tels ».

Il ajoute la lâcheté : « Il est certain qu’avec la liberté on perd aussitôt la vaillance. Les gens soumis n’ont ni ardeur ni pugnacité au combat. Ils y vont comme ligotés et tout engourdis, s’acquittant avec peine d’une obligation ».

Mais reconnaît toutefois les mécanismes de domination établis par le tyran : « quatre ou cinq hommes qui le soutiennent et qui lui soumettent tout le pays », notamment par un système corrompu, par une organisation politique, par la peur ou par la promesse de protection. « Grande est la série de ceux qui les suivent. Et qui voudra en dévider le fil verra que, non pas six mille, mais cent mille et des millions tiennent au tyran par cette chaîne ininterrompue qui les soude et les attache à lui, comme Homère le fait dire à Jupiter qui se targue, en tirant une telle chaîne, d’amener à lui tous les dieux. »

La Boétie se moque également des artifices et symboles, parfois bien dérisoires, que les tyrans utilisent pour soumettre le peuple : « Les premiers rois d’Egypte ne se montraient guère sans porter tantôt une branche, tantôt du feu sur la tête : ils se masquaient et jouaient aux bateleurs, inspirant par ces formes étranges respect et admiration à leurs sujets qui, s’ils n’avaient pas été stupides ou soumis, auraient dû s’en moquer et en rire ».

Mais si ce texte est souvent cité comme fondateur du mouvement anarchiste, les partisans du « ni dieu ni maître » (dont je fais partie) seront déçu par la conclusion : « Levons les yeux vers le ciel pour notre honneur ou pour l’amour de la vertu, mieux encore pour ceux du Dieu tout-puissant, fidèle témoin de nos actes et juge de nos fautes. Pour moi, je pense – et ne crois pas me tromper - , puisque rien n’est plus contraire à un Dieu bon et libéral que la tyrannie, qu’il réserve là-bas tout exprès, pour les tyrans et leurs complices, quelques peines particulières. ».

Ce texte d’une cinquantaine de pages reste néanmoins une référence à lire immédiatement après « Le Prince » de Machiavel, un contemporain de La Boétie.
Texte essentiel 9 étoiles

Depuis l’Antiquité et même depuis la nuit des temps, certains êtres, mégalomanes, psychorigides, pervers narcissiques, sociopathes et autres se sont institués tyrans de leurs tribus ou de leurs peuples. Comment ces derniers ont-ils accepté et même recherché cette domination ? Et pourquoi, en échange d’une sécurité illusoire sont-ils satisfaits de vivre soumis et ne craignent-ils pas de perdre leur bien le plus précieux, leur liberté ? Chez l’humain, l’instinct grégaire est si prégnant que s’il imagine qu’une majorité de ses concitoyens se comporte d’une certaine façon, il doit s’y conformer pour ne pas être rejeté par le troupeau. Ainsi nos maîtres n’ont-ils de pouvoir que celui que nous voulons bien leur accorder. Si tous les pouvoirs sont réunis dans les mains d’un seul individu, il doit cependant disposer d’une sorte de garde rapprochée, généralement composée de quelques personnes viles et corrompues, pour diffuser ses ordres. Ce premier cercle passe le relais à un second d’aussi médiocre qualité, mais qui représente quelques dizaines de personne. Et le processus se poursuit avec un troisième cercle plus étendu, puis avec un quatrième, un cinquième, etc. Sans tout ce réseau de connivence et de complicité, rien ne fonctionnerait. Le tyran sait que tout le monde le déteste, mais que, tant que le peuple reste consentant, sa domination est assurée.
Ecrit en 1546 ou 1548 par un jeune étudiant en droit ami de Montaigne, « Discours de la servitude volontaire » est un essai socio-politique majeur qui étonne par son intemporalité et sa modernité. Les découvertes de Bernays et autres sur la fabrique du consentement, sur la manipulation des foules (Le Bon) et sur les techniques de propagande ne feront que confirmer ce « discours » d’une étonnante sagesse et d’une remarquable finesse d’observation. L’auteur ne fait pas référence à son époque troublée (guerres de religion), mais à l’histoire en général et à l’Antiquité romaine qu’il connait particulièrement bien. Il cite, entre autres, les cas de Néron et Jules César qui finirent plutôt mal, mais qui, paradoxalement, furent très regrettés par le peuple. À croire que ce dernier était et est toujours un peu maso ! La « traductrice », c’est-à-dire l’adaptatrice, Séverine Auffret, ayant parfaitement su transposer ce texte essentiel en français moderne, contrairement à des versions plus anciennes, le résultat obtenu permet une lecture aisée et parfaitement compréhensible que l’on ne peut que conseiller à qui veut mieux comprendre notre époque, aussi étrange que cela puisse paraître !

CC.RIDER - - 65 ans - 5 mai 2022


Un des plus grands textes de l'esprit humain 10 étoiles

Je viens de relire ce texte qui m'accompagne depuis des années et je pense qu'il devrait prendre une place majeure sur ce site. Etienne de la Boétie l'a écrit, selon son ami Montaigne, entre 1546 et 1548, alors qu'il avait entre 16 et 18 ans. Ce seul fait en dit long sur un certain mode d'éducation à cette époque.
La Boétie s'étonne de constater l'état de soumission dans lequel se laissent aller de nombreux peuples et il en tire une profonde réflexion sur la nature et l'exercice du pouvoir. Il exprime une révolte absolue devant sa puissance qui, pour lui, est conférée à son détenteur par l'asservissement auquel consent un peuple par habitude, corruption, mystification religieuse ou l'intérêt bien compris des serviteurs du pouvoir. C'est l'étonnant désir de servitude du peuple qui confère au pouvoir sa puissance. "Soyez résolus à ne plus servir, et vous voilà libres". La Boétie établit ainsi que la détention du pouvoir lui est donnée par ceux qui, curieusement, lui obéissent.
Si la Boétie assimile le pouvoir à la Tyrannie, il est possible de transférer ses propos à l'exercice du pouvoir démocratique. Il préfigure ainsi les philosophies politiques libératrices du futur (Spinoza, Locke, Rousseau, Marx, etc.) lorsqu'elles se penchent sur l'éternelle question du pouvoir. Ceci dit, l'exemple syrien nous montre que rien n'est simple en ces matières.
Il est d'ailleurs presque évident de transférer les propos de la Boétie dans la sphère privée où les rapports de domination-servitude se déroulent de manière très proche de ceux dans le domaine politique, dans la mesure où c'est au plus profond de la conscience qu'ils s'établissent. Revenons ainsi à ce texte si puissant qui constitue un plaidoyer sans concession en faveur de la liberté. Toute éducation devrait avoir pour objectif d'en fixer le principe dans chaque esprit. Or on s'aperçoit quotidiennement que l'inverse règne largement sur le monde. Lisons donc et faisons lire La Boétie.
Pour cela, il faut faire attention à la transposition en français moderne de ce texte incompréhensible dans sa langue originelle. En effet les opinions politiques pré-construites conduisent certains auteurs à choisir des termes qui placent la Boétie dans leur sens alors que son intention était autre.

Falgo - Lentilly - 84 ans - 13 octobre 2015


"Ils ne sont grands que parceque nous sommes à genoux." 10 étoiles

Texte mythique révélateur à une époque ou l'on forme les membres d'une population à être voyeur en achetant la presse people, et ou la télé réalité semble désormais être un spectacle d'enfants de choeurs à coté de certains reportages TV du soir; il va sans dire que tout est déja dit à l'intérieur. Et le fait que La Boétie cite l'agora grecque comme modèle de la démocratie (pas fondée sur des fadaises et ou tout citoyen peut clamer son humble avis) n'est juste que fondamental, inutile de nous transformer en profs de philosophie - celle-ci étant d'ailleurs très souvent beaucoup plus limitée qu'on ne le pense... - ou en potaches gavés de bons repères et justes citations à l'heure du "fais ce que je dis pas ce que je fais". La tyrannie n'a qu'à bien se tenir !

Un livre donc à lire tout simplement et dans lequel cette sordide morale petite-bourgeoise d'aujourd'hui, hypocrite et pleine d'amalgames sinon de raccourcis faciles mais incorrects, ne perdra uniquement que sa réputation consumériste. *A l'intérieur est d'ailleurs présente la fable de La Fontaine du loup et du chien, non moins édifiante et limpide.

Bref, voilà une bonne antidote au poison de l'intox dont souffrent tant quelques uns des pseudo-détracteurs de notre société...

Antihuman - Paris - 40 ans - 16 mars 2014


L'ancêtre du fantôme de la liberté 9 étoiles

J'ai vraiment été étonné de lire un tel texte qui, bien que remontant à la fin du XVIe, est vachement libertaire et remet en question les fondements de nos sociétés. D'autant plus étonné quand j'ai su que l'auteur devait avoir, aux dires de Montaigne, 18 ans.
Il décortique habilement ce qui fait tel un dirigeant, et ce qui fait que le peuple le suit si docilement. Il pose comme quelque chose d'absurde, d'impensable, un tel système où les asservis se soumettent presque volontairement, et pourtant ! Il montre comment le pouvoir des tyrans n'est que celui que leur a attribué leur peuple et, ô combien celui-ci a plus de pouvoir, et notamment celui de renverser le tyran.
Il explique aussi les arcanes des processus psychologiques qui mènent un peuple à une telle servitude ; la mise en place d'une habitude, d'un endormissement des esprits qui en vient à faire accepter des choses contre quoi nous nous serions élevés en d'autres circonstances.
Il montre enfin que le tyran n'est rien, et que nous nous asservissons nous-même en le jugeant notre maître. Que des esprits qui ne connaissent pas la liberté ne chercherons jamais à l'atteindre, et que c'est sur ça que tout se joue.

Ma critique n'est pas vraiment claire et structurée... c'est que tout se mélange un peu avec le livre que j'ai lu tout juste après et qui était encore plus court.

Tommyvercetti - Clermont-Ferrand - 35 ans - 10 février 2010


Une ode à la liberté et une critique de la servilité. 10 étoiles

de La Boëtie apporte dans ce livre une part des lumières dont l'humanité peut s'honorer. J'aime profondément ce livre pour l'amour de la liberté qui le traverse et ce, d'une manière si essentielle. D'ailleurs, l'émotion qui me reste de ce discours est bien moins politique que philosophique. Aussi je souffre toujours un peu quand je vois l'utilisation politique qu'en font ceux qui ne veulent qu'être calife à la place du calife… Changer de maître n'a jamais libéré l'esclave, n'est-ce pas?

Attila - - 62 ans - 1 septembre 2009