Vous n'êtes pas seul ici
de Adam Haslett

critiqué par Aaro-Benjamin G., le 13 décembre 2005
(Montréal - 55 ans)


La note:  étoiles
Douleur indolente
Adam Haslett fait partie de la même vague de jeunes écrivains américains, comme David Means et David Bezmozgis, collaborateurs au magazine ZOETROPE, qui se sont fait connaître par leurs nouvelles. Récemment proclamé meilleur recueil de nouvelles de 2005 par le magazine LIRE, finaliste du National Book Award et Pulitzer, ce petit livre est accompagné d’une grande réputation. Heureusement, il est à la hauteur.

D’entrée de jeu, je dirais que j’ai beaucoup aimé, sans trop savoir pourquoi. Voilà l’aspect le plus étrange de cette collection, cette manière dont on pénètre dans l’intimité des personnages pour y percevoir le désespoir, le malaise qui les ronge, sans pouvoir absorber complètement la situation.

Il faut dire que la maladie mentale est souvent un des thèmes de ces textes. On est donc en présence de narrateurs instables, de gens tourmentés et de comportements bizarres. Si on ajoute à ceci les rencontres inattendues, vous avez un aperçu de la diversité des histoires qui vous attend.

Que ce soit dans les silences d’un frère et d’une sœur, tous les deux amoureux du même homme, ou dans les écarts d’un père bipolaire, ou dans la soumission d’un adolescent gai qui devient l’esclave d’un collègue de collège pour faire le deuil de sa mère, la prose de Haslett témoigne d’une maturité étonnante.

Il bascule parfois dans le morbide, en abordant les rêves prémonitoires d’un gamin qui annoncent la mort d’individus dans son entourage, ou le périple intérieur d’un homme déprimé qui trouve le réconfort auprès d’un enfant dont le corps est recouvert en entier de psoriasis.

Comme la plupart des recueils de nouvelles, c’est inégal. Comme la plupart des bons livres, on pardonne les faiblesses.
Personnages bordelines & désenchantés mais plaisir de lecture 8 étoiles

Adam Haslett est américain mais a grandi entre les US et l'Angleterre ce qui se reflète dans ce recueil de nouvelles, son premier, précédé d'une grosse réputation (il a été finaliste du Pulitzer 2003 et du National Book Award 2002). Il a étudié avec Jonathan Franzen et c'est vrai qu'on sent une parenté avec le Franzen des Corrections, notamment sur les aspects liés aux dérives mentales.
Ce recueil est constitué de 9 nouvelles. Elles portent toutes sur des personnages désenchantés, déglingués, borderline. Le sujet de la maladie mentale est présent dans quasiment chacune des nouvelles, notamment la bipolarité (mais aussi la dépression ou encore la schizophrénie). Haslett semble notamment nourrir une vraie obsession pour l'époque de la fin de l'adolescence / début de l'âge adulte, qu'il évoque soit par des personnages de cet âge, soit par les souvenirs de personnage plus vieux. On sent que pour lui, 20 ans est l'âge de tous les possibles mais aussi l'âge du possible négatif, l'âge où on peut sortir des rails, sortir du chemin de la vie en essayant de trouver le sien.
Le désenchantement est omniprésent et on a l'impression constante d'évoluer sous un ciel lourd. Cela pourrait être glauque si l'on ne ressentait pas une vraie empathie pour les personnages, dont la psychologie tourmentée est dessinée avec finesse et justesse. Je pense notamment au très beau portrait d'une Emma Bovary moderne de l'Est des Etats-Unis.
Des nouvelles qui sonnent juste, des personnages à la lisière de la folie, un climat lourd et parfaitement rendu, c'est une très grosse réussite pour un premier recueil de nouvelles et je l'ai trouvé tout à fait à la hauteur de sa réputation.

NQuint - Charbonnieres les Bains - 52 ans - 12 décembre 2009