Le paradis perdu
de John Milton

critiqué par Sylkarion, le 9 décembre 2005
(Saint-Etienne - 43 ans)


La note:  étoiles
Paradise Lost ou Satan Superstar
Ecrite par le puritain humaniste John Milton, cette épopée satanique retrace le mythe biblique de la désobéissance de l’homme et de la perte du Paradis qui s’ensuivit. Elle débute par le réveil de Satan et ses anges en Enfer où ils viennent d’être précipités par le fils de Dieu pour s’être révoltés contre le Très-Haut, et se termine au moment où Adam et Eve quittent le Paradis guidés par Michel. Sur les modèles de l’Odyssée et de l’Enéide, Milton tente de concilier dans un même poème l’humanisme de la Renaissance et la tradition chrétienne. Contre toute attente, il fait de Satan son véritable héros pour tenter de justifier les voies « impénétrables » de Dieu. Pour apprécier ce livre à sa juste valeur il faut posséder les bases de la religion chrétienne et ne pas être allergique aux vers traduits en prose, à moins de maîtriser l’anglais du XVIIème siècle. La comparaison peut sans doute paraître un peu déplacée, mais ce livre m’a curieusement fait penser au Silmarillion de J.R.R. Tolkien qui retrace les origines de sa « Terre du Milieu ». On y retrouve les mêmes conflits entre entités supérieures, et les mêmes batailles titanesques, avec les mêmes conséquences néfastes dans tous les cas. La traduction de Chateaubriand est assez facilement abordable et le livre est un outil efficace pour aborder la tradition chrétienne d’un point de vue moins « officiel ».
L'Echelle de Jacob 10 étoiles

Quel sujet plus dramatique, plus porteur d'enjeux majeurs, plus fondateur que la Création et la Chute de l'Homme ? Sans doute aucun... ou si peu. Au delà des querelles de clocher, des débats idéologiques et théologiques, il faut avouer que Milton a créé une œuvre somptueuse, poétique et parfois bouleversante.

Partant de la déchéance des anges rebelles, l'auteur nous offre douze livres racontant l'origine du Diable, son affrontement avec Dieu mais aussi son état d'esprit, ses projets et son destin après avoir été banni des cieux. John Milton place en effet Satan comme l'un des protagonistes majeurs du Paradis Perdu aux côtés du fils de Dieu et d'Adam et Eve, ce qui constitue l'une des grandes forces du récit. A dire vrai l'auteur nous fait côtoyer le Mal de si près que cela en devient effrayant, car l'on réalise que les travers de cet être, ses réflexions les plus intimes, sont tellement concrètes et similaires à ce que peuvent être les travers humains que l'on craint aussitôt d'être plus ou moins assimilables à celui qui est censé être le Mal Absolu.
Bien sûr Milton ne fait pas passer celui qui s'appelait Lucifer pour un être de bonnes intentions mais il apparaît moins désincarné que notre imagination pouvait se le représenter, et cette concrétisation en fait un élément plus dangereux et effrayant que jamais. Son orgueil, origine d'une remise en cause de l'autorité divine, sa volonté de vengeance qu'il cherche à justifier, sa jalousie lorsqu'il envie l'être humain qu'il croit (à tort) créé pour combler l'absence des anges déchus ; tout cela nous rappelle que le Diable n'est pas "né" mauvais l'est devenu.

Et puis Milton, après avoir annoncé, présenté celui qui va causer la Chute de l'Homme et la perte du Paradis, en vient à narrer la création d'Adam et Eve, parents du genre humain dans la religion. Les détails sur la vie au Paradis, la complexité de ce qu'étaient ces êtres, dans leur différence avec ce qu'est l'être humain que l'on connaît rend perplexe. Cette dissemblance provenant notamment de la méconnaissance du Bien et du Mal, avant d'avoir goûté le fruit octroyant cette terrible capacité, se caractérise par l'absence du désir sexuel primaire, mais aussi de la gêne, de l'envie... et nous éloigne de nos prétendus ancêtres.
C'est un paradoxe intéressant qui se noue en lisant le livre du poète anglais ; il nous rapproche du Diable que l'on croyait sans once d'humanité et nous éloigne de ceux qui sont notre origine. Point de débat là encore une fois mais plutôt une réflexion terrifiante et marquante lors de cette lecture captivante.

Car malgré ce que l'on pourrait craindre, comme Dante l'avait fait avec sa Divine Comédie, Le Paradis Perdu est un récit passionnant et prenant, grâce aux enjeux dramatiques dont a parlé un peu plus tôt mais aussi grâce à la création d'un univers que l'on peut presque se représenter géographiquement comme l'on suivait quasi physiquement les déambulations de Dante à travers les cercles de l'enfer ou les mobiles du paradis. C'est aussi par la personnification d'êtres comme la Mort et le Péché, par l'individualisation des anges et démons qui parsèment le récit, et par l'instauration de parallélismes entre une narration d'évènements antérieurs à l'être humain et de faits ou anecdotes passés ou contemporains (de l'époque de l'auteur). Cette proximité et ce resserrement entre le récit et notre époque impliquent considérablement le lecteur.

Pour toutes ces raisons, et pour bien d'autres (il y aurait tellement à dire et à écrire sur cette œuvre), Le Paradis Perdu mérite le statut de chef d’œuvre de la littérature et de la poésie ; un livre que l'on peut apprécier quelles que soient ses convictions personnelles, à la faveur d'une dimension dramatique voire épique (dans ses enjeux du moins) exceptionnelle et bien évidemment d'une esthétique et d'une beauté jamais vues.

Pour le lecteur à la recherche de la quintessence poétique, une échelle pour le paradis.

Ngc111 - - 38 ans - 17 octobre 2014


le Mal 9 étoiles

Je suis tout à fait en accord avec la critique qui précède. Le génie de Milton rend vibrante la synthèse périlleuse des traditions antique et chrétienne, avec un lyrisme d'une puissance folle, le début du poème est un des débuts les plus tonitruants et authentiques de la littérature à mon sens :

"Of man's first disobedience, and the fruit
Of that forbidden tree, whose mortal taste
Brought death into the world, and all our woe,
With loss of Eden, till one greater man
Restore us, and regain the blissfull seat,
Sing Heav'nly Muse..."

Dans ce poème tumultueux, Milton a fait apparaître "comme jamais auparavant en prose ni en vers", un Satan en gloire, terrifiant et fascinant à la fois, et fait surgir l'inquiétante ambiguïté du mal.

Joachim - - 44 ans - 24 mars 2006