Le facteur émotif
de Denis Thériault

critiqué par Libris québécis, le 2 décembre 2005
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
Du haïku à l'amour
Denis Thériault a concocté un roman tout à fait original en recourant à des protagonistes qui s’envoient des haïkus par la poste. Un professeur à la retraite correspond ainsi avec une collègue de la Guadeloupe. Chacun fait connaître à l’autre la vie de son pays : « Coups de marteau dans la rue / on cloue les volets / le cyclone approche. » Le Montréalais de répondre : « Sur la corde à linge / gèle la lessive / et grelottent les moineaux. »

Bilodo, le facteur du quartier, s’intéresse particulièrement au courrier écrit à la main. Il pousse même la curiosité jusqu’à décacheter les lettres à la vapeur avant de les livrer. Quelle n’est pas sa surprise de découvrir cet échange de courts poèmes! Mais le destin le prend de court. Son indiscrétion jouissive prend fin abruptement quand le professeur se fait happer mortellement par un automobiliste. Comment se délecter encore à la lecture de haïkus? Pour perpétuer le plaisir, il se glisse dans la peau du défunt. La Guadeloupéenne ne remarque en rien cette imposture. Cependant Bilodo n’avait pas prévu que le facteur émotif allumerait un amour débordant pour cette femme. En termes brûlants, elle répond avec ferveur à son Cupidon : Nuits de canicule / peaux moites des draps / brûlent mon ventre et mes lèvres / je vous cherche, je m’égare / je suis cette fleur éclose.

En somme, ce roman est une histoire d’amour singulière né de l’intérêt pour la poésie japonaise. L’auteur transcende la trame pour déboucher sur la philosophie qui sous-tend son oeuvre. Le particulier et l’universel doivent assurer un éternel recommencement, un enso, le cercle zen que le professeur avait ainsi caractérisé : "Tourbillonnant comme l’eau / contre le rocher / le temps fait des boucles." Denis Thériault manie en fait une baguette magique qui transforme la mort en un passage porteur de vie. Œuvre tragique d’esprit oriental qui souligne la pérennité de la vie.

P.S. La quatrième de couverture que l’on peut lire en consultant Amazon,fr applique à ce roman le contenu de L’Iguane, ouvrage précédent de l’auteur. Curieux! On taxe sur le succès de L’Iguane au Québec pour vendre Le Facteur émotif.