Récits de la Kolyma
de Varlam Chalamov

critiqué par Richard, le 1 décembre 2005
( - 78 ans)


La note:  étoiles
Pour ne pas oublier !
Varlam Chalamov est arrêté une première fois en 1929 pour avoir diffusé un texte de Lénine exprimant ses réticences sur le choix de Staline comme successeur, il est interné au camp de travail de Vichéra jusqu’en 1932. Il est interné à nouveau en 1937 (pour activité contre-révolutionnaire trotskiste), il ne quittera la Kolyma, cette région concentrationnaire à l’est de la Sibérie, qu’en 1953 après la mort de Staline.
Varlam Chalamov, par le biais d’une multitude de courts récits nous raconte le goulag. Chacun des récits décrit un épisode de la vie concentrationnaire, il n’y a pas nécessairement de chronologie, les textes se suivent de manière indépendante, les personnages entrevus dans un des textes réapparaissent au gré du récit. Malgré cela on ressent une grande unité dans l’ensemble du texte (près de 1500 pages).
S’il y a une hiérarchie dans l’horreur et la souffrance on peut dire que les camps sous Staline, sont beaucoup plus durs que ceux que décrit F. Dostoïevski dans le « souvenirs de la maison des morts ». Quand on échappe au peloton d’exécution, la mort lente par le froid (travail forcé à des températures de – 50°), et par la faim ou par la maladie réalise le même résultat.
Cette extermination « politique » concernera des millions d’individus.
Les conditions de vie, de travail font que « au camp, pour qu’un homme jeune et en pleine santé qui commençait sa carrière au front de taille en hiver, à l’air pur, se transforme en crevard, il suffisait de vingt à trente jours de travail… ».
Les camps c’est d’abord la déshumanisation, la perte des sentiments humains : pas d’amour, ni d’amitiés (chacun pour soi), l’absence de jalousie et d’ambition.
Un personnage dit « ne crois rien, ne crains rien, ne demande rien ».
Chacun vie dans l’indifférence de l’autre, seuls comptent le maigre repas qu’il va manger, le mégot de gros gris qu’il pourra peut être fumer, et aussi la recherche de la chaleur (ou d’un froid moins intense).
La mort est partout, les hommes ne la craignent pas, tant le reste : travail, froid et faim sont ressentis comme encore plus horribles.
Certains hommes se laissent mourir, d’autres se suicident, mais une grande majorité, mue par un instinct de conservation, vit jours après jours dans l’attente d’un travail un peu moins pénible, d’une part de hareng un peu plus grasse, d’un froid moins intense.
L’univers onirique a perdu tout merveilleux, le bon rêve c’est celui ou l’on se voit devant une miche de pain chaude. Ce pain qui est devenu le principal attrait de leur vie, que l’on ne croque pas, que l’on ne mâche pas, mais que l’on suce pour garder le plus longtemps au fond du palais la saveur.
Malgré la nature des événements décrits les récits de la Kolyma ne sont jamais sordides.
Ils nous rappellent, au cas où nous l’aurions oublié, combien, quand les circonstances le favorisent, l’homme peut être cruel, indifférent à son prochain.
Le goulag n’est pas malheureusement un drame isolé dans notre passé récent : l’extermination des juifs et des tziganes… par les nazis, l’extermination d’un quart du peuple cambodgien par les khmers rouges, les rééducations, massacres, famines en Chine communiste… , nous laissent à penser que les périodes « d’humanité » sont des accidents de notre histoire.
L’écriture de Chalamov est simple, jamais pesante, la poésie est présente dans chacun des récits une poésie de la mort, de la souffrance, des paysages glacés.
Le texte de Chalamov fait partie de ces rares œuvres dont on ne sort pas, après l’avoir lu, tout à fait intact.
Un grand témoignage 7 étoiles

Je suis évidemment d’accord pour placer cette œuvre dans les grands témoignages sur les camps dit de travail et de rééducation russes. Chalamov nomme, donne les lieux, les époques, les faits, les fonctionnements des différentes structures.
Cette dénonciation de faits que sont ces camps inhumains et qui pourtant ont existé de 1917 à il y a peu. Témoignage qui s'ajoutent aux autres et à ceux racontant les interrogatoires et la torture à la Loubianka, la terreur quotidienne des populations. Russes et Allemands étant à mettre dos à dos sur ces sujets. Je citerai à ce propos deux ou trois œuvres sur ce sujet : "du zéro à l'infini" de Koestler injustement oublié aujourd'hui, "le joueur d'échec" de Zweig et "A marche forcée" de Rawicz Je précise que je n'ai pas lu l'intégralité des récits mais la version poche de Verdier qui n'en reprend que quelques-uns choisis. Cependant si j'entends certains qualifier le livre comme un chef d'oeuvre littéraire majeur, je ne suis pas convaincu. Certes certaines narrations sont particulièrement bien faites, mais dans l'ensemble il y a souvent des problèmes de rythme, des répétitions qui font selon moi que "si c'est un homme" de Levi ou "une journée d'Ivan Denissovitch" de Soljenitsyne sont supérieurs.

Yeaker - Blace (69) - 51 ans - 28 août 2020


L'enfer sur Terre..., c'était à la Kolyma ! 10 étoiles

Il est absolument impossible de résumer une telle accumulation de situations aussi monstrueuses (ouvrage de 1500 pages). En effet, Varlam Chalamov a passé 17 années de sa vie dans les ignobles camps de concentration du Goulag, notamment, dans ceux de la Kolyma en Sibérie, par des températures avoisinantes, 10 mois sur 12 : -30°, voire -50°.

Comme l’écrit avec humour Varlam Chalamov, page 36 :

« Au-dessous de moins cinquante, un crachat gèle au vol ».

L’auteur a vécu l’horreur et la barbarie dans un monde dans lequel la vie d’un Zéka (prisonnier-esclave) n’avait aucune valeur.
Dès qu’un « crevard » (prisonnier) mourait : de faim, de froid, de maladie, d’épuisement, fusillé, etc., il était aussitôt remplacé par un autre esclave déshumanisé.

Ce chef-d’oeuvre de la littérature Russe est un témoignage fondamental pour l’Histoire, et la MEMOIRE de ces MILLIONS de victimes exterminées au Goulag par le régime totalitaire COMMUNISTE.

L’histoire de l’humanité est en même temps, tragiquement, l’histoire de l’INHUMANITE !

Confer également les précieux témoignages sur le thème du Totalitarisme, de :
– Alexandre Soljénitsyne (L’archipel du Goulag) ;
– Alexandre Soljénitsyne (Une journée d’Ivan Denissovitch) ;
– Jacques Rossi (Qu’elle était belle cette utopie !) ;
– Jacques Rossi (Le manuel du Goulag) ;
– Evguénia S. Guinzbourg (Le vertige Tome 1 et Le ciel de la Kolyma Tome 2) ;
– Margarete Buber-Neumann (Déportée en Sibérie Tome 1 et Déportée à Ravensbrück Tome 2) ;
– Iouri Tchirkov (C’était ainsi… Un adolescent au Goulag) ;
– Boris Chiriaev (La veilleuse des Solovki) ;
– Malay Phcar (Une enfance en enfer : Cambodge, 17 avril 1975 – 8 mars 1980) ;
– Sergueï Melgounov (La Terreur rouge en Russie : 1918 – 1924) ;
– Zinaïda Hippius (Journal sous la Terreur) ;
– Jean Pasqualini (Prisonnier de Mao) ;
– Kang Chol-Hwan (Les aquariums de Pyongyang : dix ans au Goulag Nord-Coréen) ;
– Aron Gabor (Le cri de la Taïga) ;
– Lev Razgon (La vie sans lendemains) ;
– Pin Yathay (Tu vivras, mon fils) ;
– Ante Ciliga (Dix ans au pays du mensonge déconcertant) ;
– Gustaw Herling (Un monde à part) ;
– David Rousset (L’Univers concentrationnaire) ;
– Joseph Czapski (Souvenirs de Starobielsk) ;
– Barbara Skarga (Une absurde cruauté) ;
– Claire Ly (Revenue de l’enfer) ;
– Primo Levi (Si c’est un homme) ;
– Primo Levi (Les naufragés et les rescapés : quarante ans après Auschwitz) ;
– Harry Wu (LAOGAI, le goulag chinois) ;
– Shlomo Venezia (Sonderkommando : Dans l’enfer des chambres à gaz) ;
– Anastassia Lyssyvets (Raconte la vie heureuse… : Souvenirs d’une survivante de la Grande Famine en Ukraine) ;
– François Ponchaud (Cambodge année zéro) ;
– Sozerko Malsagov et Nikolaï Kisselev-Gromov (Aux origines du Goulag, récits des îles solovki : L’île de l’enfer, suivi de : Les camps de la mort en URSS) ;
– François Bizot (Le Portail) ;
– Marine Buissonnière et Sophie Delaunay (Je regrette d’être né là-bas : Corée du Nord : l’enfer et l’exil) ;
– Juliette Morillot et Dorian Malovic (Evadés de Corée du Nord : Témoignages) ;
– Barbara Demick (Vies ordinaires en Corée du Nord) ;
– Vladimir Zazoubrine (Le Tchékiste. Récit sur Elle et toujours sur Elle).

Anonyme11 - - - ans - 19 août 2020


Effrayant et glaçant 7 étoiles

À l’époque de Staline, un détenu des camps de concentration du Goulag, à l’extrême-nord de la Sibérie, se retrouve interné dans un centre de quarantaine. Pour un temps, il échappe au travail exténuant, aux coups pour un oui ou pour un non, aux vols et humiliations des droits communs. Quand son nom est appelé pour faire partie de ceux qui doivent retourner au camp de la Kolyma, il se fait tout petit et reste dans les rangs pour pouvoir faire durer plus longtemps son séjour dans cet abri relatif. Et ça marche… Un autre qui a énormément travaillé et qui n’est plus bon à grand-chose suite aux mauvais traitements est convoqué par un responsable qui lui assigne une nouvelle affectation. Quand il se retrouve avec des gardes armés dans un camion qui s’enfonce profondément dans la forêt, il réalise soudain que sa dernière heure est venue et qu’on va le liquider d’une balle dans la nuque…
« Kolyma » n’est ni un témoignage chronologique complet ni un recueil de nouvelles, mais plutôt une série de récits, d’anecdotes de portraits de pauvres bougres internés la plupart du temps sans rime ni raison dans cet effroyable enfer concentrationnaire bolchevique. Etudiant à l’Université de Moscou, l’auteur y fut condamné en 1929 et y fit deux séjours avant d’être libéré en 1953, à la mort de Staline. Ce qu’il raconte est d’autant plus glaçant et choquant que tout est fait pour détruire l’homme : travail épuisant dans les mines d’or ou au débardage de bois, nourriture insuffisante, promiscuité, parasites, maladies et persécutions par les droits communs. La plume est précise, les descriptions parfois impressionnistes, l’ambiance glauque à souhait, une impression de dernier cercle de l’enfer. Le summum de l’horreur est d’ailleurs atteint lorsque la montagne rasée et dévastée fait remonter à la surface les milliers de cadavres congelés qui se sont accumulés au fil du temps. Un témoignage accablant pour l’Histoire du communisme.

CC.RIDER - - 66 ans - 21 août 2017


récits de la kolyma 10 étoiles

Un incontournable qui mérite d'être complété par le livre du spécialiste Nicolas WERTH "La Route de la Kolyma", publié récemment, où l'auteur se rend sur place pour respirer la mémoire de cet extrême du goulag, des années plus tard. Sans oublier les deux tomes du Vertige d'Evguenia GUINZBOURG.
Les récits de Chalamov sont noirs, nous amenant aux confins de l’Eurasie et des comportements humains, mais très certainement sont-ils réalistes.

Kaouk - - 66 ans - 2 février 2013


L'horreur des hommes 10 étoiles

Comme le dit si bien Jared Diamond, l'homme est le seul être vivant capable de s'en prendre systématiquement à ses semblables pour leur faire subir les pires tortures conduisant souvent à la mort. Les récits de Chalamov, bien décrits par les critiques précédentes, sont une terrible illustration de cette déviance si fréquente.
J'ai attendu trop longtemps pour lire ce livre essentiel pour la compréhension de l'âme humaine. Si l'ouvrage de Margolin (Voyage au pays des Ze-Ka) est un texte classiquement construit, suivant un ordre chronologique et entremêlant de manière linéaire description des situations et réflexions générales, celui de Chalamov est une juxtaposition de courts récits sans lien apparent entre eux. Cette manière de faire est saisissante et déstabilisante, ce qui aide le lecteur à pénétrer dans cet univers si effroyable qu'il est impossible de l'imaginer et l'entraîne dans une ronde infernale où il côtoie sans cesse la folie et la mort et au sein de laquelle, pure merveille, se dessinent quelques survivances de ce que nous appelons humanité.
Toute personne ayant inscrit une critique sur ce site devrait lire ce livre dont, en outre, les qualités purement littéraires sont de la plus belle eau.

Falgo - Lentilly - 85 ans - 15 mai 2011


Livre canonique 10 étoiles

Complément indispensable à l'Achipel du Goulag d'Alexandre Soljenitsyne, Kolyma est un tableau désespérant de l'appareil concentrationnaire soviétique. A ce titre, il fait partie des 5 meilleurs livres à lire sur l'histoire des camps, que toute personne devrait posséder pour envisager l'histoire politique du XXème siècle.

Eminemment littéraire, ce témoignage fait voir avec un courage inouï et d'une manière inégalée à mon avis la ligne critique que doit suivre l'écriture du "rescapé".

En dire plus qu'il n'a été dit n'a plus de sens, il faut le lire.

Joachim - - 44 ans - 26 mars 2006


L'enfer du goulag 9 étoiles

Varlam Chalamov est arrêté pour la première fois en 1929, il a 22 ans et connaît trois ans de déportation dans l'Oural. En 1937, nouvelle arrestation, 17 années passées dans la vallée de la Kolyma. Les raisons de cette dernière arrestation? Multiples et complexes, mais essentiellement fondées sur le statut de poète et de journaliste de Chalamov, dont jamais les écrits ne furent autorisés à la publication par les autorités soviétiques.
Chalamov entreprend le récit de ces années de misère et de souffrance, non pas comme un roman fleuve, mais comme des fragments de vie, de courts récits narrant des situations précises, détachées les unes des autres, ayant toutes pour point commun la déchéance d'une âme et l'inhumanité des camps. Un texte sombre et pessimiste, des détails douloureux, un désespoir qui semble ne pas devoir prendre fin, le tout à travers des faits marquants ou anodins, des portraits de prisonniers ou de surveillants, des scènes de la vie quotidienne d'un camp, l'horreur dans toute sa splendeur et ça fait froid dans le dos: violence des gardiens ou des détenus, le froid, la faim, la maladie, la travail, la nuit sans fin.
Révolte devant les motifs qui ont pu conduire un homme dans cet enfer. Faire l'éloge d'un écrivain étranger peu apprécié par le pouvoir en place valait dix ans de camp (Chalamov avait parlé de Bounine), critiquer la désorganisation des magasins d'Etat équivalait à cinq années volées. Pas étonnant dès lors que dans ceux-ci se côtoyaient toutes sortes de personnes, de plus viles aux plus innocentes. Des personnes qui peu à peu se détruisent et meurent, tant par le corps que par l'âme. Chalamov considère l'expérience des camps comme absolument négative et ne lui trouve, contrairement à Soljenitsyne, aucun pouvoir rédempteur.
Un livre dur et édifiant, que Chalamov ne verra jamais, il deviendra aveugle avant de mourir.

Sahkti - Genève - 50 ans - 1 décembre 2005