Le diable par la queue
de Paul Auster

critiqué par Fee carabine, le 29 novembre 2005
( - 50 ans)


La note:  étoiles
Chroniques des années de galère
Paul Auster est aujourd'hui considéré comme une des valeurs sûres de la littérature américaine. Et s'il ne vend sans doute pas autant que Dan Brown, ses livres ne se taillent pas moins un joli succès aux Etats-Unis, comme dans les pays francophones. Mais vous savez sans doute tout cela aussi bien que moi. Et en fait, je m'étends sur ce sujet ici pour une raison toute simple: c'est qu'il n'en a pas toujours été ainsi, et avant de connaître le succès, Paul Auster a connu des années de galère, des années dans la dèche à peiner pour garder la tête hors de l'eau, financièrement s'entend. C'est le récit de ces années de galère qu'il nous livre dans "Le diable par la queue", en toute spontanéité, de la fin de son adolescence à la publication de son premier roman.

Paul Auster a su très tôt qu'il voulait devenir écrivain, ou plus exactement, il a su très tôt qu'il n'était "bon" à rien d'autre: "Becoming a writer is not a 'career decision' like becoming a doctor or a policeman. You don't choose it as much as get chosen, and once you accept the fact that you're not fit for anything else, you have to be prepared to work a long hard road for the rest of your days." Pourtant il est assez peu question de littérature dans ces chroniques qui se concentrent surtout sur deux thèmes: le rapport quelque peu conflictuel que Paul Auster entretient avec l'argent depuis qu'enfant, il fut le témoin des désaccords de ses parents à ce sujet, et sa faim d'expériences et de rencontres, bref de tout ce qui serait susceptible de nourrir son oeuvre future. On passe ici du compte-rendu des petits boulots de vacances de l'adolescence, qui lui ont permis de financer son premier séjour en Europe, à celui des mois passés comme homme à tout faire sur un tanker de la firme Esso, à naviguer entre New York et la Floride... "Le diable par la queue" est un récit sans prétention, écrit dans un style très spontané - moins soigné que celui des romans mais toujours agréable. Somme toute, ce livre évoque une conversation avec un ami, qu'on retrouverait par hasard après l'avoir longtemps perdu de vue, une conversation à batons rompus où l'on "rattrape" le déroulement d'années de vie...

"Le diable par la queue" proprement dit est en outre accompagné de trois oeuvres de jeunesse de Paul Auster, trois oeuvres écrites au cours des années évoquées dans ces chroniques. La première de ces annexes, trois pièces de théâtre "Laurel et Hardy vont au paradis", "Black out" et "Cache cache" ont fait l'objet d'une édition et d'un commentaire séparés, je ne m’étendrai donc pas davantage à leur sujet (pour plus de détails, voir: http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/?l=6607 ), pas plus que sur la deuxième annexe, un jeu de base ball "de table" auquel je n'ai strictement rien compris (mais je dois avouer que je n'ai jamais rien compris au vrai base ball, joué sur un vrai terrain avec de vrais joueurs - ceci expliquant peut-être cela...). Enfin, la dernière partie du livre nous propose le premier roman publié de Paul Auster: un roman policier intitulé "Squeeze Play" mettant en scène un détective privé, engagé par une star du base ball en retraite et sur le point de se recycler dans la politique... C'est un roman noir dans toutes les règles du genre, et avec tous ses stéréotypes: le héros en apparence bien sous tous les rapports mais qui n'est pas tout à fait ce qu'il paraît, sa femme avec qui il forme un couple si uni - du moins sur la couverture des magazines, l'ami de la famille - qui se révèle aussi l'amant de la femme, le mafiosi de service et ses sbires... Tout cela soigneusement dosé de révélation en révélation, soutenant sans peine l'attention du lecteur. On est encore bien loin du style et de l'univers personnels que Paul Auster est parvenu à imposer dans ses romans ultérieurs, mais "Squeeze play" n'en est pas moins un bon moment de détente contribuant à faire de ce livre une jolie découverte.