Les mandarins
de Simone de Beauvoir

critiqué par Réaliste-romantique, le 16 novembre 2005
( - - ans)


La note:  étoiles
Superbe réflexion sur l'engagement et l'existence
Prix Goncourt 1954

Ce livre raconte la vie d'un groupe d'intellectuels français au lendemain de la Deuxième Guerre Mondiale. Les puissances américaine et soviétique ont écrasé le régime nazi, chacun de leur côté. Les libérateurs se transforment en pillards et cherchent un butin : l'Europe. La France se retrouve au centre des tourmentes pré-guerre froide, alors que les superpuissances tentent d'imposer leur mainmise. Les personnages des Mandarins, de gauche, s'interrogent sur la position à prendre : se joindre inconditionnellement au Parti Communiste ou bien conserver une distance critique, quitte à nuire à la cause? L'histoire se déroule sur plusieurs années et les militants en viennent même à remettre en question le fondement de leur activité : est-ce que l'intellectuel français, et de plus n'importe quel intellectuel du monde, peut avoir une quelconque influence sur le monde d'aujourd'hui? Est-ce qu'écrire n'est plus que divertissement et futilité dans le monde contemporain?

À travers ces discussions théoriques et politiques, des événements bouleversent la vie personnelle de tous et chacun. Des relations amoureuses et des différents font et défont les unions. Le monde change, la société n'est plus comme avant la guerre; certains peinent à s'y adapter. De plus, les blessures de la guerre ne sont pas souvent guéries : certaines pertes sont font trop mals, tandis que la société veut tourner rapidement la page sur d'autres. On cherche une réconcilliation illusoire : la cohabitation entre les ennemis d'hier ne peut se faire sans heurts. Tous ces événements influent sur les réflexions des protagonistes.

Cette histoire est racontée de deux points de vue, en alternance, soit d'un narrateur omniscient externe, puis du point de vue personnel de Paule, personnification de l'auteure. Bien que les personnages nombreux vivent de nombreuses aventures relativement parallèles, tout ceci fini par se fondre dans une réflexion globale sur la vie. En fait, on reconnaît dans les personnages des traits de plusieurs célébrités de l'existensialisme d'après-guerre : Sartre, Camus...

Ce qui peut sembler étonnant est que ce livre est palpitant! Le sujet porte à la réflexion et à l'analyse, mais Simone de Beauvoir sait manier son histoire à un point tel que l'on dévore le livre. On veut suivre attentivement l'évolution des personnages, pas autant pour savoir ce que le personnage va faire, mais plutôt ce qu'il va devenir, vers quelle voie il va se tourner. Cette lecture m'a emballé au point que je me promets de relire ce livre d'ici quelques années, par une lecture plus lente, pour mieux en apprécier le contenu.

"J'aurais souhaité qu'on prenne ce livre pour ce qu'il est; ni une autobiographie, ni un reportage : une évocation"
- Simone de Beauvoir
Les intellectuels dans l'après-guerre 8 étoiles

La guerre se termine. Les intellectuels, unis dans la résistance, engagent de nouveaux combats. Ceux de la reconstruction, de la préservation d’une paix encore fragile, du positionnement de la France dans ce monde qui se bipolarise et dans lequel elle semble peser si peu.
L’unité d’antan s’effrite. Aux progressistes de gauche s’opposent les réactionnaires de droite, aux pro-soviétiques s’opposent les pro-américains, à l’intransigeance et la vanité des idéaux s’opposent les compromissions et la réalité de l’action politique, aux amnistiants s’opposent les épurateurs.
Mais ces "mandarins" ne sont pas que des machines pensantes. Ces six années d'enfer les ont abimés. Eux aussi doivent se reconstruire, se réinventer.

La relation de cette période du point de vue des intellectuels français est passionnante. Ils sont au cœur des débats qui agitent une société qui recherche cette vie d’avant guerre, qui doit surmonter les horreurs du conflit, solder ses comptes et faire preuve de résilience.
Ce roman rappelle à quel point l’URSS de l’époque était une source d’espoir d'un monde sans classe, pourquoi l’Amérique impérialiste inquiétait et comment le général de Gaulle ne faisait l’unanimité ni en France ni à l’étranger.
Et même si le quatrième de couverture s’en défend, difficile de ne pas voir dans les personnages principaux les figures de Sartre, Camus et Beauvoir elle-même.

"Les Mandarins" alterne les chapitres à la troisième et à la première personne, les premier plus politiques, les seconds plus intimes puisque ce sont les pensées d’une femme qui se cherche. J’ai difficilement pu lâcher les premiers alors que les parties de la narratrice pouvaient parfois présenter des longueurs.

Elko - Niort - 48 ans - 11 juin 2023


Engagement et amour dans la France des années 1950 9 étoiles

Un groupe d'intellectuels engagés, nettement à gauche s'interrogent sur le sort de leur pays face à la constitution de deux blocs politiques au sein de l'Occident et de la cristallisation de la guerre froide. La posture soviétique reste-t-elle totalement défendable ? l'américaine contournable, supportable ou adaptable aux valeurs françaises ? Au travers de ces réflexions, des détours amoureux et leurs complications subséquentes complexifient inévitablement les relations du groupe, si bien que la trame générale, filée de manière aussi approfondie, devient une saga de mille pages.
Malgré l'épaisseur de l'oeuvre, le style nerveux, fait de phrases courtes, la présente prépondérante de dialogues aux répliques tout aussi synthétiques, fluidifient la lecture. La mise en haleine est également maintenue par des rebondissements, tant politiques et internationaux que personnels. Ce mouvement perpétuel et une mise sous tension permanente rendent l'oeuvre vivifiante formellement et intéressante au fond. Il s'agit probablement du livre le plus agréable de l'auteure.

Veneziano - Paris - 46 ans - 15 mars 2019


Dans le cadre d'un interblog Virginie alias CrazyProf vous propose Les Mandarins de Simone de Beauvoir 7 étoiles

J’avais beaucoup aimé ce roman quand je l’ai lu quand j’avais 16 ou 17 ans. A l’époque, j’en avais surtout retenu les histoires d’amour, le style et j’avais joué ma petite détective en essayant de décrypter et de reconnaître Sartre, Camus et d’autre dans les personnages du roman. J’avais été passionnée par sa description des USA et par ce qu’elle racontait sous couvert du roman de sa relation avec l’écrivain américain Nelson Algren.

Cette fois ci, quelques années plus tard (ouais c’est beau les euphémismes) j’ai aimé relire cet ouvrage de dame, tricoté au petit point des mots par une grande dame. Je ne suis pas toujours d’accord avec elle, loin de là mais je ne peux m’empêcher de trouver intéressante cette photographie de la société intellectuelle française à un instant donné de l’histoire avec 70 ans de recul…

Je trouve que les questions politiques et philosophiques qu’elle pose entre autre : y a-t-il une gauche autre que communiste ? Doit-on nécessairement choisir entre un camp ou l’autre (USA ou Russie, je ne peux plus dire URSS…) Quel est l’intérêt d’écrire dans une période de guerre (ouverte ou pas) ? Quel doit être le rôle des intellectuels et de la littérature ? Et d’abord, qu’est ce qu’un intellectuel ?
J’ai aussi apprécié les questions de morale privée et son éclairage sur la condition féminine à l'époque. J’ai aussi constaté une chose que je n’avais pas ressenti à l’époque : sa plume au vitriol pour ses personnages féminins pour qui elle a vraiment très peu d’amour et d’indulgence, comme si, malgré elle, elle constatait l’indéboulonnable domination masculine. Chaque femme dans ce roman renonce, c’est flagrant, et pour l’une d’entre elle ce renoncement de soi va jusqu’à la folie.
Dur, très dur je trouve. C’est pourtant un excellent roman qui se lit très facilement grâce aussi aux récits de voyage.

Prose-Cafe - - 50 ans - 30 décembre 2014


Une évocation 9 étoiles

Trop romancé pour être une biographie, trop biographique pour être un roman, ce livre est difficilement classable. On reconnaît assez vite certaines personnes gravitant autour de Beauvoir: Sartre (Dubreuilh), Camus (Henri), Nelson Algren (Lewis). Beauvoir elle-même apparaît sous les traits d'Anne. On reconnaît également certains épisodes de la vie de ces intellectuels tels que la dispute ente Camus et Sartre à propos du régime sociétique et la rencontre de Beauvoir et Algren à Chicago. Par contre, d'autres personnages sont imaginaires (Nadine, qui serait la fille de Sartre et Beauvoir) et il est impossible de déterminer quels faits sont réels et quels propos ont été vraiment tenus.

Nous retrouvons donc ces intellectuels de gauche dans l'immédiate après-guerre, qui tentent de renouer avec la vie normale. Comment vivre avec les morts ? Quel futur choisir quand on voudrait qu'il soit comme avant la guerre ? Comment poursuivre l'action militante, alors qu'il était moins exigeant d'être résistant ? Quel sens encore donner à son engagement ? Pourquoi écrire ?

Beauvoir traite ces questions dans un style admirable, décortique avec beaucoup de finesse la psychologie de ses personnages, multiplie les dialogues de grande profondeur.

Page après page, on trouve questionnements auxquels tout militant a déjà été confronté:

- Tu te rends compte! dit Henri. Tous les matins j'explique à cent mille types ce qu'ils doivent penser: et sur quoi est-ce que je me guide ? sur la voix de ma conscience!". Il se versa un verre de vin: "c'est de l'escroquerie!".

ou encore:

- Non, franchement, quand on commence à se poser des questions, rien ne résiste. Il y a des tas de valeurs qu'on prend pour accordée: au nom de quoi ? Au fond, pourquoi la liberté, pourquoi l'égalité, quelle justice a un sens ? pourquoi préférer les autres à soi-même? un type qui n'a cherché qu'à jouir de la vie comme mon père, est-ce qu'il a eu tellement tort ?"

Pour arriver à certaines conclusions sur le sens de l'engagement: "Essayer d'être heureux sans attendre que tout le monde le soit".

Et pourtant, ce livre n'est pas qu'un délire d'intellectuel. Comme le dit Réaliste-romantique dans la critique principale, ce livre est passionnant, les personnages sont attachants, les histoires qui s'entrecoupent maintiennent un suspense tout au long de la lecture. On n'a qu'une envie en fermant le livre: en savoir plus sur la vie de Simone de Beauvoir pour démêler la fiction de la réalité. Allez, sur ce, je commande les mémoires d'une jeune fille rangée !

Mieke Maaike - Bruxelles - 51 ans - 1 juillet 2006