Shalimar le clown
de Salman Rushdie

critiqué par Jlc, le 15 novembre 2005
( - 81 ans)


La note:  étoiles
Le paradis détruit
Le Cachemire était autrefois un paradis, pays de tradition avec ses villages de cuisiniers ou d'acteurs, avec une unité de vie entre communautés différentes qui en faisait un monde tolérant, avec ses paysages parfaits, synonymes de la beauté du monde. Dans "Shalimar, le clown", Salman Rushdie en raconte la destruction sous l'effet de la violence des hommes et de l'irruption du monde moderne. C'est un livre de tension entre tradition et modernisme, un livre de résistance aussi, cette résistance dont Rushdie dit, par ailleurs, qu'entre le bien et le mal, elle se situe plus à l'intérieur de soi-même que vis à vis des autres.
Pour cela, il utilise le polar philosophique, l'épopée historique, le portrait de personnages perdus, une histoire d'amour, le tout décrit avec une imagination tempétueuse, un talent de conteur où le fantastique le dispute à l'humour, la digression savante à une vision d'une force incroyable, car quand "un homme n'a pas de vision du monde, il devient un peu fou".

Comme souvent chez Rushdie, ce roman cherche à élucider les origines des personnages. India est la fille de Max, ancien ambassadeur des Etats Unis en Inde qui est assassiné le jour de l'anniversaire de la jeune femme. Occasion pour elle de rechercher d'où elle vient et occasion pour l'écrivain de brasser l'histoire du monde. Il nous entraine de Los Angeles 1991 à Strasbourg 1940 - et la résistance française dont Max fut un des héros-, du Londres des années 40 au Cachemire sur lequel va s'abattre le double fléau de l'armée indienne et des intégristes terroristes musulmans venus du Pakistan. " La peur et la pauvreté, cette double épidémie qui emportait l'ancienne façon de vivre." Car Salman Rushdie n'en a pas fini avec la partition de 1947 -comme dans "Les enfants de minuit"- qu'il qualifie de schizophrénie dans l'espace.

Si l'histoire s'accélère, l'auteur prend le temps de magnifiques portraits: les anciens pleins de malice, d'élégance et de force de caractère, les amoureux Boonyi la danseuse et Shalimar le clown que le destin va détruire, Max le résistant devenu brillant mais veule, India et toute une série d'autres personnages,sordides ou élégants, toute une humanité en somme.

C'est aussi la superbe histoire magistralement racontée d'un doux funambule, Shalimar le clown, qui devient Shalimar l'assassin. Il raconte l'amour d'un père et de sa fille, India qui deviendra Kashmira, une fille dont la mère est vivante quand elle la croit morte et vice versa. Une fille, schizophrène en quelque sorte, qui a vécu au coeur d'un mensonge, à qui on a caché son passé, et pour qui la vérité, aussi horrible soit-elle, est meilleure que le mensonge.

Rushdie a laissé entrer l'Histoire dans l'histoire de ce trio, le mort, le meurtrier et la fille.

Il a voulu, comme il le dit lui même, recapturer un monde sur le point de disparaitre, un monde dont "nous ne sommes plus les protagonistes, seulement des agonisants", un monde dont "nous avons été fiers autrefois mais maintenant même cela nous a été enlevé".

Un livre foisonnant, un roman passionnant, du très très grand Rushdie.

Enfin, c'est simplement mon avis.
Clown blessé et revanchard 10 étoiles

Roman total que celui-ci : intrigue haletante , style flamboyant, références à l'Histoire, étude poussée des personnages....tout y est pour qu'on puisse parler d'un chef-d'oeuvre.

Chaque chapitre porte le nom de l'un des personnages du livre. Le premier est consacré à India, une jeune et jolie Indo-Américaine, dont le mal de vivre affleure au fil des pages.
Elle ne sait ni ne comprend d'où elle vient, il est plus qu'évident qu'on ne lui a pas tout dit sur ses origines.
Ce n'est qu'après un événement tragique, l'assasinat de son père, qu'elle découvrira et comprendra bien des choses et pourra entamer son voyage intérieur.
Cette prise de conscience d'elle-même l'amènera à se faire appeler Kashmira, un prénom plus en conformité avec son histoire.

Kashmira, Cachemire. Salman Rushdie est né à Bombay (aujourd'hui Mumbai) mais est de descendance cachemiri.
C'est avec tristesse qu'il a vu cette région chérie, autrefois paradisiaque et tolérante, basculer peu à peu dans l'enfer et le radicalisme religieux.
Cette malheureuse évolution est évoquée dans ce roman, sans qu'il y ait trace de jugement de la part de l'auteur; son message est ici beaucoup plus prudent que dans un roman précédent qui lui a valu d'être traqué pour le reste de sa vie.

Millepages - Bruxelles - 65 ans - 9 janvier 2011


Un ouvrage intense et terrible 8 étoiles

Shalimar le clown commence après quelques dizaines de pages sur un meurtre (meurtre annoncé dès la 3ème page…) avant de revenir en arrière, afin de nouer les fils du destin, sur le passé de chaque personnage, de la France occupée au Cachemire paradisiaque.
Le Cachemire paradisiaque, où naît l’amour de Shalimar le clown et Boonyi la danseuse, c’est celui d’avant l’indépendance et la partition de l’Inde, c’est celui cher au cœur de Rushdie (voir aussi Les enfants de minuit). Cette vallée de montagne, ce paradis, est non pas perdue mais détruite lentement sous nos yeux sous la poussée des idéologies, des intégrismes et des ambitions.

Ce drame historique est à la fois la toile de fond et le miroir grossissant pour les personnages principaux qui jouent la parodie triste et corrompue d’une vieille légende cachemirienne. L’anéantissement mutuel de Shalimar le musulman, Boonyi l’indienne, Max Ophuls l’américain d’origine française est poussé par les ambitions, les appétits et les haines sans qu’aucun personnage ne soit totalement innocent ou totalement coupable.

Ce récit de vengeance, cette dénonciation du fanatisme islamique et de la brutalité cynique des grands états, sont heureusement illuminés par les pointes d’humour de Rushdie, par la beauté des paysages et l’intensité de ses descriptions.

Romur - Viroflay - 51 ans - 16 août 2010


Kashmir, paradis perdu 10 étoiles

Fabuleux roman que ce « Shalimar le clown » dans lequel Salman Rushdie nous retrace l’agonie du Kashmir, province coincée entre Tibet, Pakistan et Inde, appartenant à l’Inde mais peuplée de nombreux musulmans et revendiquée à ce titre par le Pakistan. La Partition, cet épouvantable évènement …
Il se trouve qu’ayant connu le Kashmir, en des temps un peu moins troublés que ceux décrits dans le roman, j’y retrouve cet état de grâce, de sérénité, raconté par Salman Rushdie. C’était beau le Kashmir, c’était paisible. Escale à Srinagar, c’était un retour au calme après la frénésie de l’Inde. Et on le ressent, il me semble dans ce qu’écrit Salman Rushdie.
Il n’est pas question que de Kashmir dans « Shalimar le clown », mais tout gravite autour, tout y prend source et tout s’y termine. Pourtant, pour autant que je croie savoir Salman Rushdie n’est pas Kashmiri ?
Il y a du John Le Carré dans ce roman, du William Boyd (celui de « L’après-midi bleu »), il y a une grande maîtrise de l’écriture et de l’art d’amener une histoire, une maîtrise psychologique aussi. C’est cohérent, c’est lumineux. Très beau.

« A l’entrée du jardin de Shalimar, près du somptueux lac sur lequel dansaient des bateaux qui ressemblaient à un public impatient guettant le début du spectacle, sous les chinars susurrants et les peupliers loquaces et sous l’égide silencieuse et éternelle des montagnes indifférentes, lesquelles étaient absorbées dans leur effort gigantesque pour s’élever très lentement de plus en plus haut dans le ciel virginal, les villageois de Pachigam rassemblèrent les bêtes qu’ils avaient amenées pour le banquet, … »

Shalimar, Boonyi, deux jeunes Kashmiri, l’un musulman, l’autre hindoue, du village de Pachigam, s’aiment. C’est une époque où les deux communautés antagonistes peuvent encore cohabiter. Un américain, ambassadeur de son état, irrésistiblement attiré par Boonyi, va casser l’équilibre idyllique du couple, et symboliquement, des communautés. Le couple détruit, Shalimar n’aura de cesse de tout mettre à feu et à sang pour se venger, de la même manière que la haine va monter entre les deux communautés jusqu’à rendre la guerre civile, larvée, mais guerre civile néanmoins, inévitable. C’est le point où en est rendu le Kashmir actuel. Pour Shalimar et Boonyi, il s’agit d’une fiction, qui se referme quand se referme le livre. Pas pour le Kashmir hélas !
« Shalimar le clown » est construit comme un polar. Ca le rend passionnant à lire. Un polar mais philosophique. L’histoire et les à-côtés sont bien plus complexes que le court résumé que j’en fais. Et l’histoire déborde largement le cadre du Kashmir, elle déborde en France, en Angleterre, et à Los Angeles. Une sacrée histoire. Celle du Kashmir récent, un paradis en voie de perdition.

Tistou - - 68 ans - 7 août 2009


Le commentaire de Patryck Froissart 10 étoiles

Titre : Shalimar le clown
Auteur : Salman Rushdie
Titre original : Shalimar the clown
Traduit de l’anglais par Claro
Editeur : Plon, 2005
ISBN : 2259193439
438 pages


Il faut s’appeler Salman Rushdie pour prendre à un grand comédien et cinéaste américain son pseudonyme et en affubler l’un des personnages principaux de son roman, Max Ophuls !

Ce Max Ophuls-ci, juif, devenu ambassadeur des USA en Inde après avoir, comme le « vrai », vécu sa jeunesse en France et avoir échappé de peu aux rafles pétainistes, séduit puis abandonne Boonyi, une jeune danseuse hindoue cachemirienne, épouse adorée puis abhorrée du saltimbanque musulman Shalimar, qui fait alors serment de les tuer tous les deux ainsi que leur éventuelle progéniture.

L’intrigue fondamentale est donc des plus classiques de la tragédie romanesque.

Mais Salman Rushdie en dresse des destins individuels hors du commun sur la trame de tragédies collectives : celle de la France occupée et, surtout, celle du Cachemire, jardin d’Eden primordial, que se disputent et que déchirent de leurs dents avides l’Inde et le Pakistan.
Le village fleuri de Pachigam, berceau de Shalimar et de Boonyi, cristallise le sort tragique du Cachemire : musulmans et hindous, au commencement, y vivent en harmonie, s’estiment, se marient entre eux, et constituent ensemble une troupe de comédiens-cuisiniers donnant dans les vallées heureuses des spectacles et des banquets réputés.
Cette entente ancestrale, insupportable pour les extrémistes des deux camps qui naissent spontanément dans tout le Cachemire dès le déclenchement de la première guerre indo-pakistanaise, ne résistera pas à leur haine. Le paradis de Pachigam finira en un amas d’horribles ruines et la plupart de ses habitants seront massacrés.

De l’union scandaleuse de Boonyi et de Max est née India, emportée clandestinement et élevée en Angleterre par la femme officielle de l’ambassadeur, contraint de démissionner après la révélation de l’adultère dans la presse indienne qui fait de l’affaire le symbole du déshonneur infligé par l’Amérique décadente et immorale à l’Inde vertueuse.

Après avoir tué, comme promis, son épouse devenue femme des bois, bannie aux alentours de Pachigam, Shalimar entreprend une longue odyssée qui le mène, en passant par les rangs du terrorisme taliban, jusqu’en Amérique où il assassine Max, qui entre temps, déchu de ses fonctions officielles, est devenu agent secret américain.

Arrêté, condamné à mort, ayant appris l’existence d’India, il réussit à s’évader et parvient, malgré toutes les mesures de protection prises par les autorités américaines, jusque dans la chambre de la bâtarde…

Comme toujours chez Rushdie, l’histoire est une leçon d’Histoire, parfaitement documentée, évidemment fondée sur la vision pessimiste d’une humanité qui, sous son habit de modernité et de progrès, reste foncièrement animée par un atavisme primaire, animal, carnassier qui hait obsessionnellement la beauté, l’harmonie et la fraternité.
L’homme ici n’est pas chassé d’Eden : n’en supportant pas la paix rustique et bucolique, il le met lui-même à feu et à sang.

Shalimar le clown est un roman d’une sombre magnificence.
Salman Rushdie s’y révèle, à mon sens, un génie de la littérature.

Patryck Froissart, Plateau Caillou, le 27 mai 2009.

FROISSART - St Paul - 77 ans - 27 mai 2009


Désolé... 1 étoiles

... de décevoir les critiques précédents, mais personnellement, je suis ennuyé tout au long du livre.
Le résumé pourtant m'avait bien séduit, mais comme je déteste ne pas aller au bout d'un livre que j'ai acheté, je me suis forcé... Et quand je l'ai eu fini, je l'ai vite rangé pour l'oublier.
Non, franchement, c'est lourd, c'est pesant, j'ai l'impression que l'auteur est allé chercher un vieux manuscrit au fond d'un placard parce qu'il n'avait rien d'autre à publier.
Ce que j'écris vous choquera peut-être et même surement les aficionados de l'auteur, mais j'ai pas aimé du tout.

Désolé...

Olivier1180 - Bruxelles - 53 ans - 29 octobre 2007


Chapeau l'artiste! 10 étoiles

Cette histoire m'a beaucoup plu; c'est bien écrit; avec un rythme effréné;
l'auteur nous conduit de Los Angeles au Cachemire sur les traces des origines d'India.
L'auteur construit une à une les pièces d'un puzzle extraordinaire.
- Ecrivain talentueux
BRAVO!

Nana31 - toulouse - 55 ans - 19 mai 2007


Une merveille!! 10 étoiles

L'histoire est bouleversante, les personnages sont attachants et peu à peu nous découvrons leur vie.

La cause cachemirienne est magnifiquement défendue pourtant l'auteur n'attaque pas l'Inde plus que le Pakistan.
Ce n'est pas un livre de haine bien au contraire, ce serait plutôt une ode à la paix et à l'amour.

De plus, ce qui ne gâche rien, l'histoire est hyper bien ficelée. Rien ne se perd, rien n'est dit au hasard, toutes les pistes sont explorées.

On ne reste pas sur sa faim.

C'est un chef-d'oeuvre!

Babsid - La Varenne St Hilaire - 37 ans - 18 juin 2006


Un grand roman 10 étoiles

C'est du grand ART.
L'histoire est poignante, le style est magnifique (rencontre entre Shalimar et India dans l'ascenseur; évasion de shalimar pour ne citer que deux superbes passages!), et, enfin, le fond est plus que d'actualité!! C'est triste mais vrai. Ahhh.... la nature humaine ;o)

Biggy - Canterbury - 44 ans - 3 mai 2006