Le vaillant petit tailleur
de Éric Chevillard

critiqué par Jemangeleslivres, le 29 octobre 2005
( - 51 ans)

La note: étoiles

Formidable Chevillard

Il y a des livres qui laissent muets d'admiration. "Le Vaillant petit tailleur", d'Eric Chevillard, est de ceux-là. Le livre tout juste refermé (cela fait déjà une semaine!) je me suis précipitée sur mon ordinateur, ravie de partager avec les autres critiqueurs le vif plaisir que m'a procuré cette lecture. Mais devant mon écran, le doigt suspendu au dessus du clavier, les mots me manquent...C'est qu'il est sacrément bon, cet Eric Chevillard, et son "petit tailleur relève carrément de la prouesse! Comment bâtir un roman magistral à partir de rien ou presque?C'est le défi que l'écrivain se propose de relever. Le conte du "Vaillant petit tailleur" hâtivement rédigé par les frères Grimm il y a deux siècles (une dizaine de pages tout au plus) devient alors le prétexte à d'incroyables digressions, mille et une variations: en reprenant point par point les épisodes de l'aventure, Chevillard exploite avec bonheur toutes les possibilités narratives. Le texte fourmille d'anecdotes amusantes, sans rapport direct avec le récit: à la manière d'un tailleur, il coud, découd, brode, s'autorise toutes les fantaisies que le langage lui permet. C'est drôle, cocasse, poétique, et doublé d'une réflexion intéressante sur l'auteur et son récit, car Chevillard ne se prive pas de se mettre en scène, avec une ironie légère absolument délicieuse. Il résume ainsi, au cours d'un entretien, le formidable travail accompli pour ce roman:" L'écrivain lui aussi est un petit héros prétentieux, qui avec ses maigres moyens, refuse de laisser faire, défie l'ordre établi, cherche à ébranler le système des géants."
C'est franchement jubilatoire, génial tout simplement!

un vaillant ouvrage

Nos soirées d'enfance n'ont pas échappé à l'histoire du vaillant petit tailleur qui en tua sept d'un coup. Eric Chevillard commente un récit "des veuves chevrotantes porté à notre connaissance par Grimm et Grimm infatigables conteurs". Le ton est donné. L'univers du héros tueur de mouches, les géants, les rois, les reines, les princesses à marier, les licornes et autres centaures, moulinés dans le cerveau de l'auteur deviennent délirants et burlesques. Cette pensée du jour relevée sur le blog de l'autofictif Eric Chevillard résume parfaitement son vaillant petit ouvrage :" eureka ! s'écria-t-il en se frappant le front avec une telle force, hélas, que toutes ses idées se mélangèrent dans la plus grande confusion". Récits oniriques, commentaires railleurs, judicieux parfois, autofiction de souvenirs d'enfance fantaisistes, c'est un joyeux méli-mélo. Néanmoins, en grand virtuose, E. Chevillard conserve le fil de son récit et comme le petit poucet suivons les cailloux.. que ce polisson sème à notre place. Il serait un peu rapide après cette tourbillonnante lecture de déduire l'aversion de Chevillard pour les contes, il sait aussi être élogieux. A la fin de cet ouvrage facétieux on se dit qu'en définitive le véritable héros est plus l'auteur lui-même que le vaillant petit tailleur. Une seule certitude, Eric Chevillard a un gros problème avec les mouches !

Lectio - - 75 ans - 15 novembre 2012