La ligne de flottaison
de Jean Hatzfeld

critiqué par Pitibeni, le 24 octobre 2005
(Marseille - 48 ans)


La note:  étoiles
Le nerf de la guerre
Après son étonnant roman témoignage Une saison de machettes, Jean Hatzfeld poursuit, dans La ligne de flottaison, son questionnement sur l’homme, ses motivations et la justification de ses actions, atrocités autant que changements. Le premier ouvrage plaçait les bourreaux du génocide rwandais au centre de l’intrigue ; le second met en scène un grand reporter du journal Libération, Frédéric, pour qui « chaque guerre nous montre ce que nous sommes en train de cesser d’être ». Présent sur la plupart des conflits mondiaux, le personnage est sans cesse tiraillé entre l’ici, un Paris immuable où l’attend sa bien aimée Emese, et l’ailleurs, marqué par la rupture et l’oubli. Et Frédéric souhaite précisément l’assimilation de la guerre plutôt que l’émotion de son lecteur : il ne veut pas d’une information qui scandalise ou bouleverse, mais d’une image et d’un monde que chacun puisse faire siens. Tant qu’il ne fait pas un choix, il nage pourtant entre deux eaux, incapable d’émerger totalement et de consacrer sa vie à la jeune hongroise dont il est éperdument amoureux, autant que de se vouer corps et âmes à son travail, vécu de façon tout aussi intime. Telle est la ligne de flottaison, ou deux univers se confondent, qui confinent au mensonge jusqu’à ce que l’un des deux deviennent un aveu, et l’autre un désaveu…
Entre autobiographie et fiction le roman de Jean Hatzfeld est le reflet de cette interrogation sur notre appartenance au monde. Il invoque la nécessité de s’y engager, malgré les peurs et les réticences, mais préconise aussi de s’en préserver. Même si, parfois, seul le destin décide.