La bande dessinée est souvent trompeuse, du moins, elle peut présenter quelques pièges pour celui qui regarde d’un œil, très vite, trop vite… Parfois, on est en présence d’un graphisme rugueux, agressif, violent même, mais qui raconte une histoire assez calme tandis qu’un graphisme doux, poétique et coloré peut renfermer l’histoire la plus sombre, la plus noire, la plus tragique… C’est ainsi que l’on a pu dire très longtemps que la bédé était faite pour les enfants car pleine de beaux dessins en couleurs…
On pouvait penser être sorti de ces schémas réducteurs mais force est de constater que les étiquettes collées rapidement dans le dos des auteurs restent même au lavage… Par exemple, on appelle « girly » la façon de dessiner et raconter des histoires avec une sorte de naïveté et douceur… Une sorte de nez ronds mais féminin, avec des scénarios qui devraient, parait-il, plaire essentiellement aux femmes… Mais, attention, ne vous laissez pas prendre au piège…
Tout d’abord, « girly » n’est pas un genre en bédé et on peut raconter toutes sortes d’histoires avec ces dessins comme nous allons le voir aujourd’hui. Deuxièmement, je ne vois pas ce qui empêcherait un homme d’apprécier ces histoires ! Enfin, la qualité d’une bande dessinée repose sur une alchimie fragile et sensible qui allie une histoire, un thème, un texte, une narration graphique, une esthétique, éventuellement des couleurs… C’est le tout qui fait la qualité et on ne devrait pas jouer à scinder les éléments aussi violement. Cela ne sert ni les livres, ni les auteurs, ni les lecteurs même si je comprends bien que cela peut aider les libraires et bibliothécaires dans leurs opérations de rangement…
C’est ainsi que j’ai rencontré à Quai des bulles, festival de bande dessinée de Saint-Malo, Mathou, dessinatrice qui vient de sortir Et puis Colette aux éditions Delcourt. Cette autrice qui tient un blog bien sympathique, Crayon d’humeur, se lance là dans une histoire à part entière et qui n’est pas à classer rapidement et inconsciemment en « girly ». En effet, l’histoire est grave et profondément humaine… et il ne s’agit pas du tout de scènes de sa vie quotidienne… du moins, pas directement !
Anouk est une jeune femme qui n’envisage pas, du moins pour le moment, de devenir une adulte au sens plein du terme : un boulot, une stabilité affective, un enfant… Non, rien n’est pressé, surtout l’enfant qu’elle ne saurait certainement pas gérer… Pourtant, sa sœur Loé décède et dans une sorte de lettre testament elle demande à Anouk de récupérer sa fille Colette dont le père ne s’occupe pas du tout…
L’histoire n’est pas du tout larmoyante même si elle prend naissance au cimetière, même si on y revient de temps en temps… Cet album, une fiction écrite par Sophie Henrionnet rencontrée dans un salon du livre, permet à Anouk et Colette de s’apprivoiser et on sait bien que cela peut prendre du temps. La démarche n’est pas du tout légère, on est en pleine psychologie appliquée et Mathou se révèle une dessinatrice de qualité qui sait faire passer les sentiments…
J’ai beaucoup apprécié cet ouvrage, je ne peux que le conseiller à tous et il fait réfléchir à ce qu’est un enfant et les rapports qu’il peut avoir avec un adulte, que ce soit d’ailleurs un parent de sang, d’adoption ou de cœur… Et c’est donc beaucoup plus sérieux et profond qu’un ouvrage dit « girly »…
Ma rencontre avec Mathou a confirmé tout ce que je pressentais sur cette femme qui va devenir une autrice de bédés à part entière pour le plus grand plaisir des lecteurs ! Oui, j’ai dit lecteurs, je devrais dire des lectrices et lecteurs, sans distinction de genre…
Et puis Colette est donc à lire !