Dans quelques jours, à Saint-Malo, à l’occasion du festival Quai des bulles, nous allons avoir le bonheur de retrouver Fabien Toulmé, un auteur qui vient de publier « L’Odyssée d’Hakim », un très bon témoignage bédé d’un migrant… Avant de vous présenter cette nouveauté que je viens de terminer, je voulais revenir sur son premier livre, Ce n’est pas toi que j’attendais, un roman graphique de 2014… Voici ce que j’en disais à l’époque…
« Fabien Toulmé est un papa, je dirais même un papa comme tous les autres, avec ses élans positifs comme avec ses réticences, ses a priori, ses angoisses… Un jour, Fabien Toulmé attend un second enfant, c’est une petite fille et le jour de la naissance, la première fois qu’il la voit, il comprend instantanément que cette enfant est atteinte de trisomie. Il pense instantanément : «Ce n’est pas toi que j’attendais ! ». Le mystère de l’enfant handicapé arrive chez lui et comme de nombreux parents avant lui, il ne se sent pas prêt à supporter cela…
Attention, l’ouvrage que je veux vous inviter à lire aujourd’hui ne sombre pas dans le pathos, dans le tragique, dans le désespoir… Fabien Toulmé va passer par plusieurs étapes, de la révolte à l’incompréhension, de la peur de l’inconnu à l’acceptation stoïque avant d’arriver à une sorte de plénitude que l’on peut résumer par ce dernier dialogue de la bande dessinée :
- Vous ne méritiez pas cela !
- Bien sûr que l’on mérite notre fille… D’ailleurs on a de la chance qu’elle nous ait choisis !
Pour en arriver là il y a un chemin difficile avec des doutes, des hésitations, des marches arrière, des silences… Le couple Fabien-Patricia va connaitre des moments difficiles et de grandes solitudes avant de relever la tête et de regarder Julia comme une petite fille, comme celle qui arrive dans cette famille et qui heureuse d’être là !
Fabien Toulmé n’a pas transformé cet évènement de sa vie pour faire pleurer dans les chaumières durant l’hiver ni pour être plaint. Il s’est dit, une fois la tempête intérieure passée, que ce qu’il vivait avait certainement des aspects universels et que cela valait la peine de le raconter pour tous les parents, pas seulement les parents d’enfants trisomiques, non pour tous les parents d’enfants différents, tous les parents en général pour qu’ils se reposent les bonnes questions au moment d’accueillir un enfant…
Aucune envie de donner des leçons ni aucune volonté de porter un jugement sur les autres parents. La vie est complexe, chaque parent fait comme il peut, avec son histoire, sa culture, sa famille, ses proches… Comment annoncer aux autres que l’enfant que l’on attendait avec plaisir est une petite fille trisomique ? Comment dire à Louise, la grande sœur, que sa petite sœur sera différente ? Comment s’organiser dans son travail pour avoir le temps de conduire Julia chez les différents spécialistes qui vont l’aider pour acquérir ce que les autres enfants acquièrent à la crèche sans effort ?
Cette bande dessinée peut être lue, d’abord, comme un témoignage. C’est touchant, bouleversant, profond, humain, et chaque lecteur ne peut pas s’empêcher de penser qu’à la place de Fabien il aurait eu, sans doute, les mêmes réflexes ! Qu’il aurait connu les mêmes étapes dont certaines tristes et désagréables, d’autres plus douces et paisibles…
Cette bande dessinée est aussi une aventure humaine et elle montre que la vie quotidienne peut servir de support à de très belles œuvres. Cela prouve aussi, si besoin était, que la bande dessinée peut raconter toutes sortes d’histoires y compris des autobiographies, des témoignages, des introspections… Oui, la bédé est vraiment une forme incroyable de littérature – j’ose utiliser ce mot même si certains sauteront au plafond en hurlant – et je suis heureux de la voir grandir de parutions en parutions. Ce qui n’était qu’une forme de livres pour enfants est en train de faire la preuve qu’elle peut tout raconter pour tous les publics !
Fabien Toulmé prouve aussi qu’il est devenu, très vite puisque c’est là son premier album, un auteur avec qui il va falloir compter maintenant. Ils sont peu à avoir atteint du premier coup une telle maitrise de la narration graphique. Ne vous laissez pas prendre en croyant que son dessin est moyen : lisez et vous constaterez que son « petit » dessin dit tout ce qu’il faut pour comprendre, qu’il transmet les émotions qui bouleverseront le lecteur, qu’il porte une réflexion anthropologique et philosophique, qu’il marquera, j’en suis sûr, l’histoire de la bande dessinée du début du vingt-et-unième siècle car en plus de tout, il dégage une poésie de la vie quotidienne et j’adore cela !
Voilà donc un très beau roman graphique, puisque tel est le nom que l’on donne généralement à ce type d’ouvrage même s’il est grandement inspiré de la réalité et très légèrement romancé aux marges. On trouve en fin d’album quelques belles photos de Julia qui a aujourd’hui 5 ans et que son papa adore…
D’ailleurs, à quel moment le changement de perception s’est-il fait ressentir vis à vis de Julia ? Fabien explique que Julia avait un problème cardiaque et que c’est lors de l’opération à cœur ouvert, vers l’âge de 5/6 mois, qu’il a réalisé qu’il aimait sa fille : « La date de l’opération arriva rapidement, et on renoua avec notre nouvelle habitude de verser quelques larmes. Mais cette fois, c’était tout à fait différent. C’était les larmes de deux parents inquiets pour leur enfant. Oui parce qu’on s’aperçut à cet instant précis qu’on considérait désormais Julia comme notre fille. »
Donc, voici bien un livre magnifique à lire et faire lire, un nom d’auteur à retenir et un plaisir à partager avec vos proches… »
Et dès mon prochain article, je vous parle du second ouvrage de Fabien Toulmé, Les deux vies de Baudouin…