Jeudi soir 27 avril, dans le cadre de Pages en partage 2018, manifestation littéraire organisée par la bibliothèque de Chalon-sur-Saône et la librairie Mandragore, Angélique Villeneuve faisait escale au théâtre Piccolo pour rencontrer ses lecteurs, on devrait même dire ses lectrices car les femmes étaient beaucoup plus nombreuses que les hommes malgré quelques présences remarquées…
La romancière a été très touchée de se retrouver devant des lecteurs qui s’étaient donné comme objectif de lire beaucoup de ses romans et du coup elle a dû répondre à des questions qui ont touché à Grand Paradis, Un territoire, Les fleurs d’hiver, Nuit de septembre ou Maria, le dernier arrivé… Ses autres ouvrages, jeunesse ou cuisine, ne furent que juste évoqués et c’est bien une discussion essentiellement littéraire qui a eu lieu hier soir : inspiration, écriture, création, place de la nature, personnages…
De façon simple et précise je vais essayer de vous partager quelques-uns des moments forts de cette soirée chaleureuse et pleine d’émotion…
Pourquoi utilisez-vous des thèmes aussi dérangeants dans vos romans ?
« Je crois que je ne saurais pas écrire sur la vie de tous les jours, sur un couple qui s’aime puis se sépare… Je n’aime pas écrire sur la vie ordinaire, d’autres le font très bien mais ma voix n’aurait aucun intérêt. J’ai besoin de femmes ordinaires – pour bien m’incarner dans les personnages – et par contre des situations et évènements extraordinaires. J’utilise des femmes comme personnages car je serais incapable de m’incarner dans des enfants ou des hommes…
Comme la femme est ordinaire comme moi, le roman est plein de petits gestes ordinaires, quotidiens, mais c’est dans la confrontation avec l’extraordinaire, le dérangeant, que l’histoire prend son sens, sa force, que le roman existe…
La littérature doit être l’occasion d’être dérangé, percuté, questionné… Cela fait du bien d’être bousculé ! »
Pourquoi vos personnages donnent-ils le sentiment d’être en décalage avec la société, avec les mœurs, avec la modernité ?
« En fait, les tourments qui habitent souvent mes personnages font écho à mon enfance et j’ai été moi-même habitée par ces difficultés, ces décalages, ces incompréhensions, cette société, cette modernité…
Mes personnages sont ordinaires mais ils trouvent leur existence et leur force dans la confrontation avec la difficulté et les souffrances. Les souffrances ont beaucoup d’importance pour moi… »
Dans vos romans, il y a beaucoup de flash-back. Pourquoi ces nombreux retours sur le passé des personnages ?
« Oui, il y en a beaucoup et probablement parce que je ne peux pas faire autrement. Je ne sais pas écrire de façon linéaire et j’ai donc besoin de revenir très souvent sur un point, un évènement, une rencontre… Je suis certaines aussi que notre présent est construit par notre passé… »
Puis, la discussion a dérivé sur son inspiration, sa façon de choisir un thème, un personnage, de construire ses romans et nous en sommes arrivés aux émotions dans ses romans…
« Les émotions peuvent passer de plusieurs façons dans les romans. Il y a les mots, bien sûr, et c’est essentiel pour la romancière que je suis. Il y a aussi une façon presque physique de les vivre. Les émotions, je les ressens en tout premier et certaines scènes ont déclenché chez moi des pleurs quand je les ai écrites… Enfin, on peut transmettre ces émotions par le silence, comme dans la vie, tout n’est pas dit et ce qui est tu est important aussi… »
Pourquoi les femmes sont-elles si présentes, les hommes si absents ?
« En fait, rien n’est calculé et ce n’est pas un choix rationnel. C’est un fait. Je suis incapable de m’incarner dans un homme. Aussi, je parle des femmes, j’incarne des femmes, je fais vivre des femmes. Dans ma vie ordinaire, je n’ai aucun problème avec les hommes, enfin, surtout avec mon mari avec qui je vis depuis plus de 35 ans… Mais comme je l’ai dit, mes romans, ce n’est pas la vie ordinaire… Enfin, pas la mienne !
Cela vient peut-être de mon enfance où je devais compter essentiellement sur moi, sur moi seul ! »
La nature est tellement présente dans vos romans que l’on finit par se demander si elle n’est pas un personnage à part entière ?
« Oui, il n’y a aucun doute sur ce sujet, la nature est un pilier de mon œuvre. Oui, c’est un personnage à proprement parler. Mon enfance, encore elle, c’est aussi des cabanes, des arbres, des animaux, des feux de bois, des étangs, une tête mal coiffée, un chemin à travers les champs… Un chemin à la campagne, c’est comme ma vie en fait, tout simplement. A la campagne, pas dans la forêt…
La campagne, c’est ce qui m’a permis de tenir durant mon enfance… L’arbre est comme un être vivant et en grandissant il cicatrise, il se répare, il oublie…
Oui, la nature est importante et on la retrouve souvent avec les fleurs, les oiseaux… Jeanne est ouvrière d’appartement et elle fabrique des fleurs artificielles…
Enfin – mais on n’a pas vu le temps passer – la question sur la résilience est arrivée. Il faut dire que le thème est omniprésent dans ses romans… Alors, pourquoi ?
« Tout simplement parce que j’ai tendance à toujours voir les choses par le bon côté. Je vois toujours le verre à moitié plein. Les livres cela peut aider à vivre, à se réparer, à se consoler, à repartir… Cela aide aussi bien l’auteur que les lecteurs et c’est bien ainsi ! On a besoin pour vivre, pour survivre, d’épaules ! Les épaules des autres, des mots, des silences, des herbes… Et je le sais depuis que mon fils s’est suicidé… »
A l’issue de la rencontre, Angélique Villeneuve nous a confié son bonheur… Oui, elle avait visiblement apprécié cette soirée…
« C’est juste un moment formidable. On a un métier très isolé, je suis dans la solitude de mon bureau, moi qui ne fais qu’écrire. Là, j’ai la chance de rencontrer celles qui ont lu mes romans, je vois comment elles ont perçu les choses… Je vois comment mes mots ont trouvé écho chez les lecteurs. Ici à Chalon, ce fut plus fort qu’ailleurs car il y a eu ce groupe de lecteurs/lectrices qui s’est retrouvé plusieurs fois, qui a lu, partagé… J’étais très intrigué de voir le résultat… En fait, il y a quelque chose d’intime qui s’est noué, d’abord à distance et avec Internet, puis avec la rencontre. C’est très fort pour moi et je trouve que cette formule est très intéressante car elle va dans la profondeur. C’est plus fort que les rencontres en librairie pour une dédicace… C’est rare et cela m’a beaucoup touchée… »
Il ne vous reste donc plus qu’à découvrir vous-mêmes les romans d’Angélique Villeneuve à commencer par son dernier, Maria… Bonne lecture à tous !