Il y a quatre ou cinq jours, si on m’avait demandé de parler d’un certain Christopher Marlowe, j’aurais été très gêné car je ne savais que deux ou trois petites choses. Oui, il s’agissait d’un dramaturge anglais, presque contemporain de William Shakespeare… et probablement que je cessais là mon exposé. Je n’avais jamais vu de pièce de Marlowe, je ne l’ai jamais lu, silence total sur lui lors de mes études littéraires lointaines…
Mais il y eut Chalon dans la rue 2016, la pièce Edouard II jouée par Ring-Théâtre et une merveilleuse soirée malgré quelques gouttes de pluie… Maintenant, je n’en sais peut-être pas beaucoup plus sur Marlowe mais je connais une de ses pièces ou, plus exactement, ce qu’en ont fait ces artistes jeunes et talentueux qui sont venus la jouer à Chalon dans la rue…La compagnie Ring Théâtre est constituée de jeunes acteurs et professionnels du théâtre, tous formés dans de grands lieux de formation et dotés d’une intention forte. C’est eux qui le disent, ils veulent faire du théâtre populaire ! Qu’à cela ne tienne, je suis prêt à aller voir du théâtre populaire même s’il n’est pas toujours facile de définir ce que peut bien être le théâtre populaire ou un théâtre populaire… Mais, en fait, on s’en fiche un peu de savoir si ce que l’on va voir est populaire… Imaginez un spectateur de l’époque de Molière, le Molière en tournée en France, dans les villes de taille moyenne. Se posait-il des questions ? Pensait-il aller voir une pièce populaire ? Savait-il seulement ce qu’il allait voir ?D’ailleurs, quand je regarde Edouard II, je ris, je tremble, je crains le pire pour ce cher Edouard, j’ai pitié de lui quand il est en prison tandis que j’ai envie de le ramener à l’ordre quand il part en guerre contre Mortimer, Lancastre ou Warwick… A quel moment est-ce du théâtre populaire ? Quand je pleure ou quand je ris ? Ou, pourquoi pas, est-ce que cela devient populaire quand Gaveston fuit la cour en scooter ? Quand les grands de la cour entament une petite danse écossaise au son de la cornemuse ? Ou mieux, est ce que cela deviendrait populaire quand les guitares électriques se font entendre avec une certaines violence assez baroque ?Non, si être populaire se limitait à ce type de petite blagounette de la compagnie, la réflexion stopperait immédiatement là et ne présenterait aucun intérêt. Seulement, voilà, il se pourrait bien qu’être populaire soit beaucoup plus complexe… Etre populaire de mon point de vue, c’est par exemple être capable de remettre sur des gradins en plein Chalon dans la rue, un public multiforme, de tous les âges et de toutes les cultures, pour regarder une pièce de l’époque de Shakespeare, qui de surcroît dure presque trois heures, nécessite une quinzaine d’acteurs et touche un épisode de l’histoire d’Angleterre que nous ne connaissons pas beaucoup… Oui, et cela fonctionne bien, plutôt même très bien !J’ai été enchanté par le jeu des acteurs, par la qualité technique du spectacle – musique, lumière, bruitage, costumes – et par l’appropriation du lieu. Jouer une telle pièce est déjà un défi étonnant, la jouer dans un festival d’arts de la rue relève presque de la gageure !On ne voit pas le temps passer, on rigole de très bon cœur, on est surpris par la façon dont metteur en scène et scénographe ont travaillé ensemble pour proposer une pièce cohérente, intelligente, fine, humoristique, surprenante et dramatique, car, ne l’oublions pas, nous sommes bien dans une tragédie, une tragédie pure et dure comme l’époque a su en engendrer et comme Shakespeare a pu en écrire !
Certains sujets sont extraordinairement d’actualité comme le regard sur les homosexuels – on croyait en avoir terminé avec ces faux problèmes mais encore récemment en France on a pu mesurer que chez certains cela restait un point de blocage – ou la corruption politique, l’argent et le pouvoir, le pardon… franchement, c’est un très grand spectacle aussi pour tous ces liens avec nos vies quotidiennes…
Et c’est peut-être bien cela être populaire : rester au contact de la vraie vie, celle qui est quotidienne et qui rend le théâtre concret… On aurait presque pu vivre comme Edouard II, avec peut-être un peu moins de violence… quoi que !
J’ai apprécié les acteurs, le metteur en scène, les techniciens et comme tout le monde est à féliciter j’ai envie de ne pas citer les noms car en oublier serait trop injuste !
Si donc Edouard II par la compagnie Ring Théâtre passe à côté de chez vous, vous savez ce qui vous reste à faire ! Sachez que déjà que le 10 janvier 2017, la pièce sera jouée à Saint-Jean de Védas, près de Montpellier… et, puisque nous avions commencé notre article en parlant de Marlowe, sachez qu’à la médiathèque Jules Verne de cette même ville, il y aura le 13 janvier une conférence débat sur Marlowe et le théâtre élisabéthain…
Voilà, Chalon dans la rue n’est pas seulement une culture légère avec des saltimbanques – à mes yeux et mes oreilles le mot n’est pas péjoratif, loin de là mais j’ai bien compris que cette position n’était pas partagée par tous, même à Chalon – et des cracheurs de feu, c’est un festival majeur de la culture française où tout se mélange pour un enrichissement total de toutes nos cultures ! Et l’illustration par Ring Théâtre en est que plus forte même si le spectacle a été créé en 2014 dans un autre cadre !