[Texte de l'intervention de Michel Bonnet lors du colloque du 8 mars 2016 à Chalon-sur-Saône, Femmes, hommes, mieux vivre ensemble ?!]Où sont passées les femmes dans notre histoire ? Je vais bien dire notre histoire, celle de la France, celle de l’Europe, celle de l’humanité. A quelques exceptions près, on a le sentiment en lisant cette histoire, pour ceux qui ont encore le courage de lire, qu’il est beaucoup plus question d’hommes que de femmes… Si je faisais un petit test, on s’apercevrait que tout le monde connait César, Clovis, Charlemagne, Bayard, François 1er et Louis-Philippe mais que ce serait plus laborieux, en restant dans le même domaine, de citer, encore plus difficilement de parler, de Berthe dont les pieds n’étaient pas si grands que cela, d’Aliénor d’Aquitaine, de Marguerite de Provence ou de Marie-Thérèse d’Autriche…
Prenons Marguerite de Provence. Elle n’est pas dans nos manuels d’histoire, oubliée, abandonnée, une ombre à la merci des vents… Et pourtant ! Jeune femme pétillante, cultivée, lettrée, elle est donnée – on pourrait dire vendue car le mot ne serait pas si inexact que cela – à la France. Elle sera reine ! Reine, en France à cause de la loi salique, c’est-à-dire à cette loi qui empêche les femmes de devenir reines en titre et qui empêche la transmission du sang royal par les femmes, n’est pas un titre honorifique, n’est pas une marque de pouvoir, c’est simplement le devoir de se transformer en ventre productif. La reine est là pour enfanter et pas n’importe quoi, un garçon, un mâle. D’ailleurs, comme la mortalité infantile est forte, il vaut mieux en faire plusieurs. Quand la succession est assurée, alors, elle est simplement oubliée et remplacée par une ou plusieurs maitresses. Quand elle n’arrive pas à produire le male attendu, elle est répudiée car l’avenir du royaume est plus important que la destinée d’une femme… Quand même !
Même si on peut sourire un peu, vous savez bien que c’est cela l’histoire officielle de ce beau royaume de France… mais revenons un instant à cette chère Marguerite élevée à la cour de Provence, dans la musique, les couleurs et la chaleur de sa culture méditerranéenne. Après un long voyage, le TGV n’existait pas encore au début du treizième siècle, elle se retrouve à 13 ans dans la cathédrale de Sens pour épouser Louis, le roi de France. Elle découvre une belle-mère austère et autoritaire, un mari et des beaux-frères assez rustres, pour ne pas dire barbares et incultes. Elle se retrouve alors reine de France, épouse de louis IX, celui qui restera dans l’histoire sous le nom de Saint Louis.
Avoir Blanche de Castille comme belle-mère ce n’est pas rien. Catholique intègre – aujourd’hui on dirait certainement avec nos mots intégriste – cela signifie qu’elle n’aura droit à aucune intimité avec son mari avant le moment où Blanche décidera qu’il est temps d’enfanter. Etre mère, voilà son devoir et pour cela, elle va veiller au grain. Cette interférence dans la vie privée de son fils est étonnante, incroyable, époustouflante. Les chroniques de Joinville narreront certains aspects comme les rendez-vous secrets entre le roi et la reine qui vont finir par s’aimer, comme quoi il ne faut jamais désespérer de la nature humaine…
Elle fera des enfants à la France, elle suivra son mari en croisade pour échapper à sa belle-mère, elle survivra à son époux dans une certaine solitude car une reine qui a procréé ne sert à plus rien, bref un destin qui en dit long sur la condition de la femme… Mais l’histoire, elle, a retenu que Blanche de Castille était une des plus grandes reines de France… Autoritaire, elle a su gérer le royaume à la mort de son mari Louis VIII, le transmettre à son fils Louis IX et même encore gérer le tout durant une croisade avant de s’éteindre paisiblement…
Alors, dans notre histoire, il n’y aurait que ce modèle de femmes ? Non, les femmes existent dans l’histoire… Regardez, il y a des maîtresses, des empoisonneuses, des sorcières, des tigresses et des monstres… Oui, j’exagère un peu le trait, mais quand même ! Que savons-nous de Cléopâtre en dehors du fait qu’elle fut la maitresse de César et de Marc-Antoine ? D’ailleurs, si les auteurs ne s’étaient pas emparés de son destin on ne saurait rien d’elle. Heureusement, Uderzo et Goscinny nous ont parlé de son nez et de son caractère… et, reconnaissons que sa mort tragique fut digne… enfin, si cela s’est passé comme on le raconte… suicide avec morsure de serpent… mais, aujourd’hui les historiens pensent que tout cela fut une propagande d’un certain Auguste, car il arrivait, aussi, aux hommes de voler la mort des femmes…
Alors revenons aux femmes dans l’histoire. Car, ce n’est pas un scoop, mais depuis la fin des temps il y a environ 50% de femmes sur terre. Et, à priori, rien ne laisse supposer qu’elles n’aient rien fait en attendant simplement de mourir l’heure venue. Elles n’ont pas non plus que fait l’amour pour enfanter et faire plaisir aux royaumes, ou fait l’amour pour faire plaisir aux hommes, ou, dernière version, fait l’amour car elles étaient dévergondées…
La femme appartenait à l’humanité depuis la nuit des temps, elle a même sauvé l’humanité plus d’une fois, sans aucun doute. Quand l’homme habitait les grottes, quand la vie était très difficile, quand la chasse était hasardeuse voir dangereuse, c’est elle qui a découvert et transmis la récolte des fruits et des légumes de la nature. Ce n’est pas rien car quand Rahan rentrait bredouille de la chasse, ce qui arrivait souvent, il y avait au moins quelque chose à manger. De plus, elle s’affirmait là comme un rouage essentiel de la transmission.
Ce n’est pas juste la vie qu’elle donnait – et je ne minimise pas la maternité, rassurez-vous – mais elle devenait une pièce maitresse de l’éducation, de la transmission, du savoir. On dit souvent que dans les sociétés anciennes le vieux sage sous un arbre racontait tout aux jeunes du village, que c’était un homme, bien sûr, et un vieux de surcroit… mais bien souvent c’était une jeune femme qui apprenait tout à son enfant… Petite nuance !
Mais, là encore, ne limitons pas la femme à cela. Certaines sociétés, d’ailleurs, étaient bien plus égalitaires que le royaume de France. Je pense en particulier à la civilisation celte où les femmes avaient accès à tous les postes et métiers ou presque. On pouvait trouver une femme à la tête de la justice, d’une administration – le mot n’est pas si excessif que cela car les Celtes étaient très bien organisés – et, même pour les questions religieuses, elles étaient là ! Pas étonnant qu’il y ait eu quelques frictions entre l’Eglise de Rome et celle d’Irlande durant tout le bas Moyen-âge ! Rome ne voyait que par les hommes, et entre l’Empire romain et les Chrétiens, il y avait ce patriarcat en commun, on dirait aujourd’hui machisme. Et on peut avouer, toutes questions religieuses mises à part, que les églises chrétiennes, les catholiques en particulier, n’ont toujours pas compris que femmes et hommes se devaient de mieux vivre ensemble… Mais ce serait un sujet trop long à développer…
Alors, venons-en pour terminer, à des époques plus contemporaines car chacun sait bien qu’aujourd’hui rien n’est plus comme avant. D’ailleurs, les femmes sont actrices reconnues de la vie, et notre histoire est beaucoup mieux écrite. Oui, peut-être…
J’ai toujours été, certains le savent, passionné d’histoire, bien avant d’enseigner l’histoire des médias. J’ai étudié l’histoire à l’école avec attention, encore plus au collège et comme un fou passionné au lycée… Je me souviens de la Révolution Française… Où étaient les femmes ? Une reine de France dont on clamait l’insouciance, la bêtise, la légèreté… Je m’en souviens. Charlotte Corday, la réactionnaire manipulée qui a osé assassiner Marat le journaliste et révolutionnaire… et, pour finir cette époque, les deux épouses de Napoléon Bonaparte… Même Olympe de Gouges était oubliée ! Il faudra un livre de Benoîte Groult et une bande dessinée de Catel pour que je découvre cette femme assez étonnante, féministe avant l’heure, cohérente dans sa réflexion et courageuse… Pourtant, tous les documents l’attestent, il y avait bien des femmes en France pendant la Révolution et elles ne se contentaient pas de faire réchauffer la soupe le soir pour ceux qui avaient échappé à la guillotine…
Heureusement, après tout s’est bien arrangé et les femmes sont entrés dans l’histoire officielle avec des personnalités comme Elisa Lemonnier – celle qui fondé l’enseignement professionnel pour les femmes. Avec Julie-Victoire Daubié – celle qui a obtenu le droit de se présenter au bac, qui fut la première à réussir puis la première à avoir une licence. Jeanne Chauvin – la première femme à plaider en France (1907). Madeleine Brès – première à obtenir le diplôme de docteur en médecine. Enfin, Hubertine Auclert – féministe réputée en France qui a passé sa vie à lutter pour le droit de vote des femmes et le droit à l’éligibilité…
Qui en connaissait une ? Deux ? Plus… Oui, je sais, ces femmes sont toutes des pionnières de la marche vers l’égalité homme-femme. Elles n’agissaient que pour obtenir ce qui aurait dû être normal, banal, évident…
Quelle place y a-t-il dans notre histoire pour Georges Sand, Marguerite Boucicaut, Louise Michel, Camille Claudel, Louise Weiss, Simone Weil la philosophe, Simone Veil la femme politique… Edith cresson, première femme premier ministre en France… c’est parce que tout cela est bien lamentable, parce que notre histoire n’est pas le reflet de ce qu’a vécu l’humanité, que nous avons voulu que cette question de la place des femmes dans l’histoire soit abordé aujourd’hui…
Nous avions voulu le faire de deux façons mais nous avons rencontré quelques difficultés. Au départ, nous avons invité Catel, auteure de biographiques réputées : Kiki de Montparnasse, Olympe de Gouges, Ainsi soit Benoîte Groult. Elle n’était pas libre car elle termine son opus sur Joséphine Baker en ce moment… Mais elle nous a reçus, Clémentine, Romane et moi durant un bel après-midi à Paris. Elle a, par ailleurs, dit qu’elle viendrait l’année prochaine si nous refaisions un évènement de ce genre… Comme Frédérique Agnès nous doit moralement la même chose, qui sait on va peut-être se laisser tenter, qui sait… dans un deuxième temps, j’ai été séduit par la collection Grands Destins de Femmes des éditions Naïve. J’ai rencontré Françoise Cruz, l’éditrice, et nous nous sommes rapidement mis d’accord : une exposition réalisée par les étudiants et la venue d’un des auteurs… L’exposition est là, profitez-en, elle sera encore à la bibliothèque de l’IUT durant une semaine puis elle ira encore dans deux ou trois lieux du Chalonnais, on vous tiendra au courant. 9 grands destins de femmes en bande dessinée pour pallier aux lacunes de notre histoire… Coco Chanel, Isadora Duncan, Françoise Dolto, Virginia Woolf, Hannah Arendt, Maria Sibylla Merian, la Pasionaria, Marie Curie, Dian Fossey… La collection n’est pas terminée et vous comprendrez bien que j’ai proposé à Françoise Cruz de participer avec Marguerite de Provence et Simone Weil la philosophe… mais c’est une autre affaire…
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