Jérôme Savonarole se lance donc dans la grande réforme de l’Eglise catholique de Florence à défaut de toucher directement à celle de l’Eglise universelle. Il s’aperçoit très rapidement de l’impact qu’il peut avoir, de la façon dont les habitants l’écoutent, tremblent de peur quand il évoque la vengeance de Dieu. Très rapidement il sème dans ses prêches des visions, des prophéties, des descriptions apocalyptiques qui le positionnent en Envoyé de Dieu ce qui lui sera beaucoup reproché lors de son procès quatre ans plus tard…
Ses cibles sont nombreuses à commencer par le luxe, la richesse et la luxure de la ville. Pour cela il oriente son ire en premier contre Pierre de Médicis qui ne va pas peser trop lourd face au dominicain. S’appuyant sur sa popularité croissante, Jérôme fait chasser Pierre par le peuple de Florence qui transforme ainsi la ville en République théocratique. Sans être au pouvoir lui-même, Jérôme influence toutes les décisions et fait régner la terreur…
On s’est souvent demandé comment il s’y était pris pour arriver à son résultat. La ville semblait très ouverte, cultivée, évoluée, civilisée et soudainement on voit se développer la délation, la peur, la destruction de tout ce qui pouvait rappeler la période de Laurent de Médicis. Pour comprendre cela il faut prendre le temps de relire les sermons et prêches de Savonarole. Le frère religieux demande à chacun de rejeter ces richesses qui sont sataniques, il implore les bons et véritables chrétiens de dénoncer ceux qui ne suivent pas la vraie religion, il organise même des grands rassemblements où l’on va brûler les objets superficiels qui éloignent de Dieu, les bûchers des vanités… C’est une grande réforme mais qui est construite sur la violence, la haine, l’exclusion… Une grande partie du peuple de Florence est pétrifiée et suit pour avoir la chance de continuer à vivre – survivre – mais pas par conviction profonde…
Cela ne suffit pas à Jérôme Savonarole qui veut aussi s’attaquer à ce pape Alexandre VI Borgia qui incarne tout ce qu’il rejette. Lors de son passage à Florence, Charles VIII, roi de France, est interpellé par le dominicain qui l’exhorte à provoquer la grande réunion d’un concile pour démettre le pape… Charles VIII n’est pas là pour cela, il veut conquérir une partie de l’Italie qu’il pense lui revenir de droit et cherche à éviter de se mêler des affaires de l’Eglise qu’il ne comprend pas très bien… cela énerve encore plus Savonarole qui menace de façon publique le roi de France, après tout, il n’est pas à un ennemi près…
Très rapidement, Jérôme Savonarole va avoir des ennemis dans plusieurs directions et cela va entrainer sa chute, bien évidemment. On va avoir le pape qui le trouve hérétique, schismatique, menaçant… En quatre ans, le souverain pontife va utiliser tous les moyens à sa disposition pour le faire taire jusqu’à l’excommunication et la participation à son procès… Mais il y aura aussi Pierre de Médicis car le prince chassé va tenter de revenir en 1497. Ce sera finalement un échec mais qui laissera des traces dans les mémoires entre autres avec cinq condamnations à mort de notables favorables à Pierre de Médicis… Enfin, des soucis avec le peuple de Florence même qui n’a jamais été convaincu dans le fond des certitudes de Savonarole. On le suit pour éviter le pire, pour être tranquille, pour se débarrasser d’un concurrent… Bref, Jérôme Savonarole ne parvient pas à réformer en profondeur les mentalités de son temps…
Pourtant, soyons plus précis dans cette analyse. Chez Savonarole il y a trois choses différentes et il convient de bien les séparer. La première est le constat du besoin de réforme accompagné par ses prêches sur un retour aux véritables valeurs évangéliques. Indiscutablement, ses textes sont d’une profondeur réelle, très bien construits et porteurs de valeurs que l’Eglise catholique doit retrouver à tous prix car elle est bien en train de se perdre. Martin Luther fera le même constat quelques années plus tard provoquant la Réforme. D’ailleurs, un certain nombre de catholiques, dont certains seront mêmes déclarés saints, utilisent ces textes et les garderont avec eux comme des outils indiscutables pour réformer l’Eglise. Certains papes iront même jusqu’à réhabiliter une partie des écrits de Savonarole.
Mais Savonarole ne fut pas qu’un prêcheur, il voulut mettre en place un système politique basé sur ses prêches. C’est là que le bât blesse car comme c’est aujourd’hui le cas avec l’Etat Islamique, quand le pouvoir spirituel devient temporel les excès de toute nature arrivent et rendent la vie impossible ! Savonarole condamne à tours de bras, le pouvoir exécute ! Haine, violence, destruction du lien entre les habitants, la réforme appliquée à la société de Florence devient une dictature absolue et inhumaine. Toute cette violence se retournera très vite contre Savonarole.
Enfin, le dernier ennemi de Savonarole et ce n’est pas le moindre est le pape lui-même, Alexandre VI Borgia. Certes, nous l’avons déjà dit, ce pape n’inspire pas trop de le respect. Débauché, despote, népotiste, intéressé, égoïste, violent… la liste de ses défauts connus aurait pu remplir à elle-seule cette émission de radio. Mais le pape reste le pape, il a des moyens considérables et il va tout faire pour faire taire Savonarole définitivement enterrant ainsi toutes velléités de réforme dans l’église, du moins durant un certain temps…
A un moment donné, après quelques courtes années de dictature théocratique, tous les ennemis de Savonarole vont réussir à le faire chuter, taire et disparaitre à tout jamais. Ce sera d’abord la chute politique car Florence veut finalement un autre régime pour se développer, faire du commerce, exister sur la scène politique… Chute religieuse car le pape va exiger de Florence un procès religieux et théologique pour obtenir une condamnation sur le fond et non simplement sur la forme. Enfin, chute populaire car tout Florence se donnera rendez-vous pour l’exécution de Savonarole…
A cette époque, on utilisait la torture pour obtenir des aveux et donc il faut être prudent dans l’analyse des documents du procès dont certains ont été brûlés. Ce qui est certain, c’est que l’on a annoncé que Savonarole avait avoué avoir inventé ses prophéties et ses dialogues avec Dieu. A ce titre, l’église catholique le déclarait hérétique et schismatique car il avait voulu démettre le pape. Le peuple de Florence se sentait floué par un homme qui lui avait menti en lui faisant croire que c’est Dieu qui voulait ces réformes. La noblesse et les notables de la ville, eux, retrouvaient leur pouvoir, c’était bien là l’essentiel, et la mort seule pouvait garantir que ce fou illuminé ne reviendrait pas les perturber…
Jérôme Savonarole fut bien condamné à mort et exécuté le 23 mai 1498. Il fut d’abord pendu, puis le corps fut brûlé et jeté dans le fleuve Arno…
Martyre, réformateur avant l’heure, fou illuminé, dictateur avide de pouvoir… chacun utilisera le mot qu’il souhaite mais ce qui est certain c’est que cette Eglise catholique de la Renaissance avait bien besoin d’une réforme qui tardait à venir… La luxure et les abus l’avait envahie ; certains prélats, y compris le pape, semblaient refuser toute changement et oubliaient les valeurs évangéliques ; enfin, le peuple était perdu et attendait des voix qui sauraient lui indiquer la direction à suivre…
Sources de cet article et émission de radio :
Savonarole, Ivan Cloulas, Fayard, 1994
Savonarole, Pierre Antonetti, Perrin, 1991
Encyclopédie des papes, Stéphane Arthur et Michel Bonnet, Banon, 1995