Mon élue noire, où comment une œuvre de danse contemporaine oppresse le public dans un espace de 1.5m².
C’est ainsi que je pourrais décrire une pièce d’une force extraordinaire, perforatrice, où la violence de l’histoire du colonialisme est racontée dans une forme de poésie oppressante. Une œuvre forte, le Sacre du printemps d’Igor Stravinsky, à la fois puissante, et dérangeante même dans les moments de calme… Mêlé à cela Germaine Acogny, 70 ans, un charisme et une expression captivante, un jeu de lumière parfaitement travaillé, et cette scène, cette minuscule scène de 1m50², entourée de filets, où la danseuse est enfermée et n’en sortira pas… Une combinaison forte en émotions qui nous tient du début à la fin dans un état à la limite de l’angoisse.
Il n’y a guère de pause, de moment paisible, si ce n’est que le début, où la danseuse fume tranquillement sa pipe, dans le noir, ou seule la lueur du briquet laisse apparaitre une silhouette, qui, dans une fine lumière, devient une personne, marchant, sur place, d’un pas puissant, déterminé. De la nous savons que ce que nous allons voir sera fort, et cette force, même dans les moments où la musique devient plus calme, ne lâche jamais le public. Quand ce n’est pas la force de la musique, c’est la force de la performance de la danseuse, qui, dans un regard noir, un rire glaçant, transperce la pièce sombre, qui cause l’angoisse. « Par son mépris de l’indigène, l’homme se transforme en bête. » Cette violence est oppressante et omniprésente tout le long des 40 minutes de l’œuvre. L’utilisation de peinture blanche, qu’on peut comprendre dans son utilisation comme du sang, de fumée épaisse qui font disparaitre Germaine, ne laissant réapparaitre qu’une silhouette qui à l’air lointaine, hors du temps, de l’espace, comme un fantôme… Toutes ces images sont fortes, intenses, et du début à la fin maintiennent une tension forte, jusqu’à l’échéance finale où l’image la plus forte marque la fin de cette magnifique œuvre d’Olivier Dubois. Le public, très touché par cette pièce forte en émotions, a applaudi très longuement cette artiste et cette création, qui bouscule la discipline de la danse contemporaine.
Nous avons eu la chance d’échanger quelques mots au téléphone avec Madame Germaine Acogny. Elle nous a confié, quand nous lui avons demandé d’où lui venait cette force pour transmettre une telle émotion : « Quand c’est le moment ça devient facile, les choses se font quand elles doivent se faire. »On lui avait déjà proposé d’interpréter l’Elue, lorsqu’elle avait 35 ans, avec Maurice Béjart, mais cela ne s’est jamais fait. C’est finalement à 70 ans qu’elle est devenue l’Elue noire.
Interpréter l’Elue noire était un défi pour Germaine Acogny car elle a une très forte personnalité, tout comme Olivier Dubois, auteur et metteur en scène. Beaucoup de gens ont pensé que ces deux là ne pourraient pas travailler ensemble, mais non, ça a été un élan de créativité, avec beaucoup de respect entre les deux. G.A nous aussi confié que cette pièce est difficile, car la force de cette musique de Stravinsky, il faut apprendre à danser avec. C’est un travail long et difficile, il faut la comprendre, rentrer dedans, et se sentir soi même avec, pour finir par la dompter. Au fur et à mesure les représentations ont été de plus en plus fortes. Le thème de l’esclavage et de la colonisation représente beaucoup pour Germaine Acogny, et elle ajoute qu’il est concordant avec cette musique de Stravinsky, qui en soi est un rituel. Germaine Acogny s’inspire des ancêtres, de Béjart, d’Aimé Césaire, de ses grands-mères qui étaient vaudouistes et qu’elle appelle lors du rituel qu’est la pièce. C’est ce qui lui donne cette force, on retrouve d’ailleurs cette spiritualité vaudoue lorsqu’elle dessine des visages en peinture blanche sur les murs.
Germaine Acogny est une personne très simple, mais aussi très forte. Quand on l’écoute, quand on la voit danser, on peut songer qu’elle est une montagne qui se dresse devant nous de part son expérience, sa sagesse, sa simplicité…