Nantes a représenté pour moi une année de formation en alternance, où chaque passage en institut a été marqué par une identité assez forte, presque une aventure en elle-même, dans l’attente du futur stage. Mes fréquents allers-retours en train m’ont donné l’occasion de lire ; aussi en ai-je profité pour connaître des auteurs dont je n’avais pas encore parcouru les œuvres. Ainsi ai-je découvert, en même temps que la ville de Nantes, Romain Gary, Marguerite Duras et Hannah Arendt.
J’avais déjà lu La Vie devant soi, d’Emile Ajar – Romain Gary, et étais déjà passé en Loire-Atlantique, via la Baule-les-Pins. Cette ville agréable, douce, accueillante et pratique, malgré sa bien trop grande humidité à mon goût, m’a invité à la recherche tant d’exotisme que de réflexion, comme de la lutte contre mes propres clichés. M’habituant au climat océanique sur la longue durée, il était également temps d’appréhender les livres de Marguerite Duras, envers qui j’avais des a priori, en raison de ce que je percevais, de son vivant, comme un excès d’orgueil. Ayant adoré La Vie devant soi, je me sentais devoir persévérer. Quant à Hannah Arendt, la lecture de La Crise de la culture m’avait intrigué par son vif intérêt et l’exigence intellectuelle de cette série d’essais, pour le moins ardus : aussi ne voulais-je pas en rester là au sujet de cette auteure.
C’est ainsi que ces trois grands passages à Nantes pendant cette année ont été accompagnés de La Promesse de l’aube, Les Racines du ciel, de Romain Gary, Hiroshima mon amour, L’Amant, Un barrage contre le Pacifique, de Marguerite Duras, et les trois tomes thématiques des Origines du totalitarisme, de Hannah Arendt, Sur l’Antisémitisme, L’Impérialisme et Le Système totalitaire.
Ayant à m’interroger sur les valeurs de notre chère République, la plupart de ces lectures, à des degrés divers et selon leur nature respective, m’ont amené à me pencher sur le colonialisme français, travers plus que fâcheux pour un pays voulant incarner l’exemplarité humaniste. Des motifs, ici exposés, de ces lectures, il sera compris que cette combinaison tient en partie du hasard, mais il a agencé les choses de manière assez construite. L’instinct me guiderait donc de manière utile et enrichissante, de temps à autre. Comme quoi, il ne faut donc jamais désespérer.
Or, Nantes, la plaisante et douce ville humide, colonialiste, bien que moins négrière que Bordeaux, puis grande résistante, a donc servi de vecteur, voire de cadre à ces évasions vers l’Afrique noire francophone, le Vietnam, les dérives autoritaires du continent européen.
Non côtière mais revendiquant son idée atlantique, Nantes est bercée par la Loire en son sud, au milieu de laquelle réside l’île Beaulieu, et par l’Erdre, rivière qui naît en centre-ville et qui va vers le nord de la ville. En son centre, la très verte et romantique île de Versailles figure en son milieu, près des institutions administratives, la Préfecture et le Conseil général, devenu « départemental ». Le cœur économique de la ville est situé à l’extrême-sud. Le nord est très résidentiel et paisible. Traditionnellement de droite, la première circonscription législatives est devenue écologiste en juin 2007, visiblement par attachement à un cadre de vie, entre Erdre et hippodrome.
Fort calme, très jolie, possédant son charme, mais sans excès, et l’humidité aidant, ces caractéristiques ont probablement contribué, implicitement, à une recherche d’exotisme. L’appréciant certainement, je n’éprouve pour elle aucune passion. Ma volonté d’approfondir mes connaissances littéraires m’ont mené vers les auteurs et œuvres susvisées.
L’amour, la nature et le pouvoir colonial en Afrique et en Indochine, les dérives du pouvoir, sous ses formes diverses, le respect des minorités, de la différence raciale, le reconnaissance de l’accès à la citoyenneté ont représenté des thèmes de divertissement et de réflexion. Leurs divers supports ont pris la forme de l’humour et de la lucidité caustique de Romain Gary, la sensualité, l’épure formelle et l’inspiration inégale de Marguerite Duras, l’exigence et la rigueur de Hannah Arendt dans la recherche d’analyse des manifestations du mal, par celle qui se définit comme une théoricienne du politique, davantage que comme une philosophe.
Les romans, souvent autobiographiques et en partie fictifs, des deux premiers, les essais politico-philosophiques de cette dernières ont donc servi à découvrir et à réfléchir ces thèmes récurrents, l’amour, la nature, le pouvoir dans les colonies françaises, la dérive du pouvoir. Et ces sujets sont presque devenus des synonymes de mon passage récurrent dans cette aimable ville humide, toute satisfaite de sa douceur de vivre.