2014… Il y a un siècle l’humanité plongeait dans la première guerre mondiale. Contrairement à une image reçue et gardée sottement dans nos mémoires, les hommes, que dis-je, les jeunes hommes qui partirent à cette guerre n’étaient pas si heureux que cela de quitter leur fiancée, leurs parents, leurs amis, leurs fermes, usines ou autres commerces… Il y en eut même qui durent quitter leur atelier d’artiste pour se retrouver dans une tranchée… Ils eurent parfois le temps d’envoyer vers l’arrière des dessins, des croquis, des caricatures, des peintures mêmes… Et c’est probablement un des faits qui a poussé la Bibliothèque de documentation internationale contemporaine (BDIC) à monter cette passionnante exposition Vu du front au Musée de l’Armée, aux Invalides, à Paris, jusqu’au 25 janvier 2015.C’est vrai que les célébrations du centenaire du début de cette première guerre mondiale ont mis en lumière des dizaines d’aspects différents de cette guerre mais c’est la première fois que l’on ouvre un dossier particulier qui va permettre de voir la guerre, l’image que l’on s’en faisait, ce que les artistes en ont rapporté et, enfin, ce que la population en a vu, su, compris…
J’ai eu la chance de visiter cette exposition en compagnie de d’Aldo Battaglia, un des commissaires de l’exposition, lui qui est responsable des collections de peintures, dessins et estampes de la BDIC. Pendant une heure, il m’a raconté, montré, expliqué tout ce que l’on pouvait savoir sur ces images de la guerre, leur fabrication, leur portée, leur signification, leur impact sur les combattants, sur les populations à l’arrière du front…
Comment mettre en avant un aspect ou un autre sans oublier de vous parler d’un troisième, sans commettre un choix partisan, une sélection liée à mes goûts artistiques ?… Malgré tout, il me semble juste de vous en dire un peu plus…
Tout d’abord, on va commencer par les images d’avant la guerre. Avant 1914, la photographie s’est répandue, de nombreux officiers ont en possession des appareils photos et ils réalisent des clichés, parfois pour leur simple collection, pour avoir des souvenirs. Ils ne sont pas toujours pris sur le fait, c’est-à-dire au moment d’un exercice complet, mais seulement juste après, d’une façon un peu figée, avec des acteurs qui font semblant, qui jouent le jeu… D’autres photos sont plus structurées et sont là pour mettre la pression sur les ennemis potentiels, pour faire peur, pour montrer que l’on est prêt à faire la guerre…
Ces différentes collections et séries d’images illustrent que la perception de la guerre dans le grand public est en pleine mutation. D’une réalité inconnue et lointaine, on passe à une réalité cruelle vue, et donc partiellement connue. On ne savait rien de la guerre, la photographie n’existait pas, les soldats ne pouvaient que raconter ce qu’ils avaient vécu, du moins pour ceux qui survivaient… Là, par exemple avec les deux guerres des Balkans, le grand public peut voir des photos, des peintures, des dessins… La guerre entre chez monsieur tout le monde…
Un vocabulaire est en train, lui aussi de se mettre en place et c’est ce qu’explique très bien le catalogue de l’exposition publié les éditions d’art Somogy, en lien avec le Musée de l’Armée et la BDIC. Par exemple, le mot front va être une invention. Il fallait définir cette zone d’affrontement des armées que les gens allaient voir en représentation, en photographie dans le journal, en carte postale…
Sans vouloir tout citer et dire, on peut citer ces cas de photographies, avec cadavres, que l’on pourra aussi retrouver dans les deux camps, mais avec des légendes différentes. Il fallait montrer que la guerre était cruelle, du moins que l’ennemi était terrible et sanguinaire, et pour cela on pouvait bien prendre quelques libertés avec la vérité. On faisait preuve de patriotisme…
Revenons d’ailleurs, à cette première guerre mondiale. Il y eut des artistes confirmés qui ont été appelés au combat, d’autres qui devinrent artistes durant le conflit pour pouvoir dire l’indicible, montrer l’innommable, enfin, d’autres portèrent ces images longtemps en eux avant de pouvoir les sortir, les transformer en œuvres d’art. Je voudrais terminer ce très rapide petit voyage dans cette exposition en vous parlant d’André Masson.
En 1914, il a juste 17 ans et il est en train de terminer sa formation de peintre. Après quelques mois de guerre, il va s’engager dans l’infanterie et il sera grièvement blessé durant l’offensive du Chemin des Dames. Balloté d’hôpital en hôpital, il gardera de la guerre une répulsion qui fera de lui un pacifiste convaincu… Surréaliste, artiste reconnu, il continue après la guerre son bonhomme de chemin… En 1977, il réalise une série de douze dessins, publiés sous le titre de Carnet de route œuvre exposée à la fin de cette exposition. J’ai trouvé cela fascinant de voir comment l’artiste fait revivre la guerre si longtemps après, comment il a construit son travail au feutre sur du papier avec dessin et texte imbriqués… Ce fut pour moi un des moments les plus forts de cette exposition Vu du front que je ne peux que vous inviter à aller voir !!!
Pour ceux qui ne pourront pas se déplacer à Paris, le catalogue de l’exposition est fascinant. On y trouve, bien sûr les œuvres exposées, mais, surtout, de très bons textes qui vont vous ouvrir des perspectives sur la représentation de la guerre, sur les images de 1914-1918, sur ces artistes soldats et sur ceux qui servirent de reporters images pour les journaux et le pouvoir…
C’est, pour moi, l’exposition qui justifie ces célébrations, qui manquait pour mieux comprendre la guerre, que tous les enfants devraient voir pour comprendre pourquoi une guerre est toujours un drame, qu’elle est toujours une défaite pour l’humanité… Quant au catalogue, c’est l’ouvrage qui devrait accompagner tous les cours sur cette « grande guerre » et cela dès le collège !
Vu du front, représenter la guerre
Exposition Musée de l’Armée et BDIC
Invalides (Paris)
Jusqu’au dimanche 25 janvier 2015
Vu du front, représenter la guerre
Catalogue de l’exposition
Editions d’art Somogy
ISBN : 9782757208571