Chacun d’entre nous a ses propres rites, ses habitudes, ces petits riens qui donnent du sens à nos vies, qui nous occupent, nous distraient, nous permettent de trouver des instants de bonheur, tout simplement… Moi, dans ce domaine, j’ai le salon de Montreuil. On dit que c’est un salon du livre et de la presse jeunesse mais depuis longtemps je récuse ce terme de jeunesse et je le remplace par famille… Oui, pour moi, aller à Montreuil c’est me promener dans un espace familial. D’ailleurs, c’est l’un des salons nationaux où l’on va en famille, où les parents aiment se promener avec leur progéniture… Il y a quelques années, lorsque mes enfants étaient plus jeunes, on avait même une règle : on ne repartait que lorsque chaque membre de la famille avait choisi un livre… Que du bonheur !
Maintenant, je vais à Montreuil pour travailler, mais pour une fois le travail y est plaisant, que dis-je ludique, culturel, jouissif… Chaque rencontre avec un auteur, un éditeur, une attachée de presse, un lecteur ou un enfant qui n’attend qu’une chose, devenir lui-aussi, un lecteur, est un moment hors du temps qui m’enrichit toujours, parfois, même, me transforme… Ce salon 2013 n’a pas été différent des autres et je voudrais vous en compter quelques instants qui resteront dans ma mémoire… Pour ceux qui ne connaissent pas encore mon mode de fonctionnement, je préciserai que je ne suis pas venu seul mais accompagné de Mikaël et Bénédicte. Deux étudiants qui sont là avec moi pour découvrir mais aussi travailler, filmer, photographier, enregistrer… Rien de tel qu’un bon salon comme Montreuil pour apprendre à faire du reportage…
Nous avons commencé par une rencontre passionnante avec une auteure argentine, Claudia Bielinski. Il s’agit d’une artiste qui, après avoir taquiné avec un certain succès l’Art, avec un grand A, s’est mise à raconter des histoires dessinées, illustrées. On peut quand on regarde l’ensemble de ses ouvrages parus dire qu’elle est une créatrice d’images comme on en croise peu. Ce fut donc l’occasion de la saluer comme une artiste complète qui enchante les yeux, le cœur et les âmes des plus grands et des plus petits sans distinction… Avec son dernier ouvrage, Le plus beau cadeau du monde, elle va encore plus loin. Certes, on peut contempler le livre comme un ouvrage cartonné pour les plus jeunes lecteurs, pour les enfants. En se penchant un peu plus, en prenant plus le temps, on va découvrir la présence de petits rabats cartonnés avec des éléments qui viendront enrichir l’histoire pour le plus grand plaisir des lecteurs lassés par les choses de bébé… Mais si l’adulte prend soin de plonger dans ses morceaux d’histoires cachées, il va se laisser envahir par un doux bonheur comme Claudia sait les distiller. Chaque cachette renferme un trésor, une histoire à part entière, des personnages bien vivants…
Si on observe bien l’ensemble de l’ouvrage, page par page, on va mesurer à quel point ce travail est proche de celui de la bande dessinée. Il y a un scénario, un récit graphique, séquencé et découpé, une multitude de cases, chaque page renfermant son rabat qui est comme une case cachée… On peut même percevoir la bande son car tous ces habitants de la grande maison son assez bruyants…
Et l’histoire, me diriez-vous ? Ce n’est pas tout de réaliser de belles choses, il faudrait quand même qu’elles aient du sens, voir beaucoup de sens !
Alors puisque vous voulez du sens, en voici en voilà et sans limite ! Il y a un récit simple. Toute la famille est partie, en dehors du papa. Ce dernier sait qu’il va recevoir un cadeau et dès qu’il se retrouve seul il va chercher partout ce fameux cadeau… Il fait ce qu’il ne faut pas faire…
Mais en cherchant partout, il nous fait ainsi visiter toute la maison avec ses nombreuses cachettes, comme dans toute maison qui se respecte… Pas de cadeau, sauf à la fin… Mais, là, c’est la surprise !
Un très beau livre, une auteure pleine de bonne humeur, de joie, de soleil et qui tout au long de l’entretien a cherché à transmettre son art… Il ne reste plus qu’à espérer que les auditeurs puissent en profiter pleinement…Après ce feu d’artifices verbal, il y eut une légère accalmie. Nos deux invités suivants, Valentine Goby et Yves Pinguilly nous firent défaut. C’est toujours triste car si on avait demandé à les rencontrer c’est que leurs livres nous avaient beaucoup plu. On sait bien que dans une journée de cette sorte, tout ne peut pas réussir, mais il a fallu attendre la seconde rencontre pour entrer définitivement dans le flux d’auteurs…
En attendant Jérémie Almanza, le suivant sur la liste, nous avons rencontré Pierre Bailly, le dessinateur des aventures de Petit Poilu. Nous tenions tout particulièrement à cet instant car nous avons le projet de le faire venir à Chalon-sur-Saône. Il faut dire qu’avec un des groupes d’étudiants nous allons intervenir dans trois classes de petits pour présenter Petit Poilu et, après, nous allons accompagner ces trois classes dans la création d’une histoire entière, texte et dessin… Il était bien normal que Pierre Bailly soit invité et comme il a accepté, ce sera une magnifique fête quand il va rencontrer tous ces enfants… Qui sera le plus heureux ? L’auteur ? Le groupe d’instits ? Les enfants ? On verra, mais il se pourrait bien que ce soient les étudiants qui découvrent le bonheur d’animer une telle rencontre… Allez savoir ?
C’est à ce moment-là que nous avons rencontré Marie-Françoise, une bibliothécaire de Chalon-sur-Saône. On aurait pu la croiser à Chalon, il fallut que ce fut à Montreuil, mais nous lui avons tendu notre micro et très librement elle a donné son coup de cœur… Cœur de pierre ! Non, je ne mens pas, Cœur de pierre, la bande dessinée de Jérémie Almanza que nous allions interviewer quelques minutes plus tard… Mais le hasard existe-t-il ?
Ce fut donc le temps de cette rencontre avec Jérémie Almanza, entretien d’autant plus attendu que sa bande dessinée, la deuxième réalisée sur un scénario de Séverine Gauthier, est de tout beauté, pleine de poésie, originale et tendre sans tomber dans l’eau de rose… On a presque le sentiment d’avoir en main un chef d’œuvre… Euh, pourquoi presque d’ailleurs ? Jérémie nous livre son travail, la façon de fonctionner avec Séverine, il parle de son art, de sa narration graphique, de ses couleurs, de son ressenti final…Mikaël admire le dessin, Bénédicte l’histoire dans son ensemble et on a en face de nous un jeune raconteur d’histoire, simple, modeste, étonné de se voir admiré… Oui, il est heureux d’être apprécié, oui, il souhaite voir les jeunes lecteurs séduits, mais en même temps il reste lui et ça fait plaisir à voir…
C’est peut-être là un des aspects fascinants de Montreuil, contrairement à d’autres artistes, les dessinateurs et raconteurs d’histoires ne se prennent pas trop au sérieux. Ils savent que toute renommée est éphémère, que les succès d’un jour peuvent être suivis de déconvenues, que ce qui compte le plus est de rester les pieds bien sur terre… L’auteure suivante – ils vont alors se succéder durant deux heures sans interruption – est Nadou. Je ne connaissais pas cette jeune femme avant qu’elle se lance dans le dessin de la série Les légendaires – Origines. Bénédicte, elle, la connaissait à travers son blog, du coup elle avait été subjuguée par l’évolution graphique de Nadou. Un peu trop timide, bien normal pour une première interview, Bénédicte n’a pas osé commencer seule l’entretien mais assez rapidement elle posa quelques questions et tenta de faire entendre sa voix, sa connaissance du travail de Nadou et elle y est fort bien arrivée… La série Les légendaires de Patrick Sobral connaît un véritable engouement. On en est déjà au seizième album pour une aventure qui commença dans l’anonymat ou presque en 2014… Patrick avait depuis longtemps l’idée de l’origine de ses héros, mais il n’avait pas le temps de dessiner cette série parallèle et c’est pour cela qu’il a cherché et trouvé Nadou qui donne pleine satisfaction, en tous cas aux lecteurs… Rappelons pour ceux qui ne connaissent pas la série qu’il s’agit de super héros qui ont rajeuni à la suite de l’incident magique de Jovénia. Parfois, en cours d’albums, il y avait des flashbacks où on pouvait les voir en adultes… Les matériaux étaient bien là pour faire une histoire de leur passé, un spin-off de la série, du temps où ils étaient adultes… C’est maintenant fait avec Les légendaires – Origines qui va offrir un album par personnages, donc 5 albums, mais auxquels on ajoutera celui consacré au méchant absolu, Darkhell… Il fallut quitter cet univers pétri de références asiatiques au dessin très manga pour rejoindre aux antipodes celui de Maxime de Radiguès et ses grandes étendues nord-américaines… Nous sommes là dans une sorte de roman graphique ou d’une compilation de petits épisodes qui raconte une tranche de vie de Joe. Attention, Orignal n’est pas réellement une histoire douce pour petits enfants sages… Les tensions entre Joe et Jason font penser à de nombreux faits divers lus ici ou là car les enfants entre eux ne sont pas toujours si tendres que cela… Une belle rencontre d’autant plus que le lascar ne manque pas de talent, qu’il est aussi éditeur et qu’il nous a offert une discussion riche de talent et d’ouverture sur la bande dessinée en général… Il illustrait aussi que la bande dessinée qui peut s’attaquer à tous les sujets, sur tous les modes, avec tous les talents, était, avec lui, profondément humaine… Tout un programme ! Avec notre visiteuse suivante – je dis visiteuse car nous restions coincées dans la salle presse, derrière des baies vitrées ensoleillées, et on avait le sentiment de recevoir – nous allions avoir un grand moment de tendresse, de douceur, de poésie et de nature. Je ne dis pas cela en raison de la beauté de Delphine Chedru – quoi que… allez savoir ? – mais parce que son ouvrage, Jour de neige, est tout simplement une petite merveille, un joyau de la couronne, une pépite en accès libre, bref, un livre pour enfant comme j’aime les lire et les garder dans ma bibliothèque… Jour de neige est un album cartonné pour les tout-petits, ceux qui ne savent pas lire. On pourrait croire que les adultes vont s’y ennuyer mais, en fait, chacun peut se raconter – ou raconter à son enfant – son histoire et c’est surement plus riche qu’une histoire qui serait entièrement écrite et balisée, qui serait identique pour tous ! Ce sont ces belles histoires uniques que j’adore, ces livres que je chéris et ce d’autant plus que chaque fois que je les ouvre j’y découvre une nouvelle histoire ! Je pense donc que Jour de neige va m’accompagner encore de longues années, enfin si Dieu me prête vie ! Après Delphine Chedru, ce fut autour de Laurent Gnoni de nous rejoindre. Pardons, Laurent, on le prononce comment ton nom ? « Comme gnocchi mais avec un son n à la place de du son qui… ». Bon, c’est simple, je ne vois vraiment pas pourquoi on se posait tant de questions avant de le recevoir… Ce fut le moment détente de l’entretien car après nous sommes partis à la découverte d’Albert Camus car Laurent Gnoni a dessiné un remarquable Camus, entre justice et mère, écrit par José Lenzini, un véritable spécialiste de Camus. Un livre de qualité très original dans sa construction et sa narration avec des phases très textuelles, d’autres beaucoup plus graphiques, des temps très biographiques tandis que d’autres sont essentiellement humains, profondément humains pour ne pas dire plus. Que l’on aime ou pas Camus on finit par le croiser, l’écouter, lui parler et plus jamais notre rapport à cet homme et son œuvre ne sera identique… Comme quoi lire peut nous transformer sérieusement… Et puis, il fallut finir cette belle et riche journée. Oui, tout a une fin, c’est ainsi et on le sait depuis le premier jour, le premier instant, la première interview… Nous avons donc fini en finesse avec Thierry Coppée et ses Blagues de Toto. Si, je ne plaisante pas, je parle bien de blagues de Toto adaptées en bandes dessinées… Au début, on peut prendre cela à la légère, mais on en est au dixième album déjà ! Pour cet anniversaire, Thierry Coppée a fait voyager Toto dans le temps, un album spécial « histoires drôles historiques »… j’avoue qu’au départ, je n’étais pas un fan de ce type de bandes dessinées, mais depuis je suis fasciné par le succès rencontré. Finalement, je suis assez content de cette situation pour trois raisons. Tout d’abord parce que certains jeunes sont entrés en bédé grâce à ce Toto de Coppée. Pas mal ! Deuxièmement parce que ces blagues, pas toujours extraordinaires, nous ont quand même parlé un jour, rappelez-vous, quand nous étions au primaire… Finalement, Thierry Coppée nous offre un bain de jouvence, c’est souvent salutaire pour nous empêcher de devenir de vieux c… Enfin, parce que Toto est devenu un véritable personnage, nouveau et moderne, adopté par les jeunes lecteurs et bien vivant maintenant avec la bande dessinée et le dessin animé… C’est tout simplement que Thierry Coppée avait le talent pour le faire, chapeau l’artiste ! Puis ce fut le TGV, la fatigue dans le train et le retour à Chalon-sur-Saône avec des images plein la tête… Euh, c’est quand le prochain Montreuil ? Dans un an… Non, c’est une plaisanterie ! Courage, en lisant il parait que le temps passe plus vite…