Le temps passe, le 40ème festival international de la bande dessinée d’Angoulême n’est plus dans l’actualité ou sur le devant de la scène mais il est encore bien présent dans ma mémoire. Il est donc encore temps de vous faire partager quelques-uns de ces souvenirs, quelques-unes de ces rencontres lors de ces jours passés au cœur des bulles angoumoisines… Je vous ai déjà raconté certaines discussions et il est temps maintenant de parler de Desberg, Jul, Ers et Matz…
Si je veux citer Stephen Desberg c’est que sa rencontre a bien failli ne pas avoir lieu et que cet auteur a accepté l’interview uniquement parce que Céline, une de mes étudiantes, était une fan inconditionnelle, qu’elle voulait absolument que l’on puisse l’interroger, elle désirait ardemment l’entendre et discuter avec lui…
Nonobstant son attachée de presse qui voulait lui assurer un agenda sinon confortable au moins acceptable, Stephen Desberg apprenant la situation acceptait de faire un effort et nous offrait un rendez-vous… La rencontre pourrait avoir lieu avec une rumeur amicale lancée par Thomas Legrain qui susurrait que Desberg acceptait surtout de rencontrer une jeune étudiante… Mais ce n’était qu’une rumeur sans fondement, la vérité était toute autre, Stephen est un auteur sympathique, tout simplement…
Devant son idole, si on peut parler ainsi, face à celui qu’elle considère comme un géant parmi les scénaristes bédé contemporains, Céline fut paralysée par la peur, l’émotion, la timidité… Impossible de lui parler, de l’interroger et, du coup, je dus jouer le journaliste seul. Soyons honnête, avec un client comme Desberg, ce ne fut pas le calvaire ! Cet homme agréable et ouvert, intelligent, fin, et passionné, prend toujours un grand plaisir à parler de ses séries, de ses albums, de ses collaborations avec les dessinateurs dont les noms sont maintenant tous connus Griffo, Vrancken, Vallès, Marini, Reculé, Chetville… Céline connaissait bien la série IRS dont elle avait dévoré tous les albums et c’est par celle-ci que nous avons commencé notre discussion… Il faut dire que le personnage de la série, Larry B Max est tout à fait fascinant comme l’énigmatique Gloria d’ailleurs…
Même si je posais les questions, je voyais bien que Stephen s’adressait directement à Céline qui, elle, de son côté, buvait toutes ses paroles avec la tête d’un disciple fasciné par le grand maître… Devais-je regarder Céline plonger dans son rêve de rencontre ou rester attentif à Desberg pour relancer la discussion ? Finalement j’oscillais entre les deux et je profitais sur les deux tableaux en regrettant de n’avoir pas eu une main et un œil supplémentaires pour filmer ou photographier la situation…
Je crois que cette rencontre a illustré que la renommée d’un auteur – celle de Stephen Desberg qui est réellement connu avec ses séries phares, IRS, Sherman ou Le Scorpion – n’empêche pas la simplicité, la délicatesse, la volonté de proximité avec les lecteurs… A défaut d’avoir été capable d’interroger son auteur fétiche, je crois que Céline est repartie avec un lot d’émotion qu’elle va maintenant savourer au jour le jour jusqu’à une prochaine rencontre à Angoulême ou ailleurs, et là, c’est promis-juré-craché, c’est elle qui posera les questions !
Après Desberg et Céline, je voudrais prendre le temps de vous faire rencontrer Jul. Cette fois, j’étais accompagné de Clémentine, mais ni l’un ni l’autre ne connaissions vraiment cet auteur. Pas de curiosité ou de fascination particulières, juste le plaisir de croiser cet homme qui avait été choisi pour être le parrain de la manifestation 48 H BD qui vient d’avoir lieu en France les 5 et 6 avril 2013. Il était donc important de le découvrir à travers son ouvrage consacré à La grande Librairie publié chez Delcourt. Il ne s’agit pas d’une bande dessinée à proprement parler mais d’un recueil de dessins de presse réalisés en direct lors de l’émission de télévision.
Ce qui nous a séduit instantanément avec Jul, c’est sa facilité d’accès, sa simplicité, sa gentillesse. Il est à l’écoute, ne cherche pas à parler de lui à tout prix ne met pas son album en avant. Simplicité, curiosité, joie d’être accepté dans ce milieu de la bande dessinée et c’est probablement grâce à cette personnalité qu’il a été choisi pour l’événement 48 H BD ! Une demi-heure ensemble et on n’a même pas vu passer le temps… reconnaissons, par contre, que la lecture de l’ouvrage, La Grande Librairie, ne conviendra pas à tout le monde. A notre avis, il faut soit avoir suivi l’émission assez souvent pour retrouver des scènes connues, soit être un passionné de littérature et livres actuels, soit, enfin, être fou du dessin de presse et admirer là le talent de celui qui, en quelques secondes, vous raconte une histoire, même petite… Pour les autres, trop de dessins resteront des mystères.
Dimanche matin, arriva le tour de Ers ; comment s’est-il retrouvé dans nos meilleures rencontres ? Tout simplement parce qu’il a dessiné le premier album d’une nouvelle série, Hell School, ouvrage que toute l’équipe avait lu et apprécié. L’épreuve la plus difficile, ce fut pour lui. Même pour un auteur confirmé ce n’est pas toujours facile de répondre à des questions avec sept personnes devant vous, deux micros, deux caméras, un appareil photo… Juste de quoi paralyser un homme sensé, mais heureusement, il s’est comporté comme si tout cela était normal et évident…
Hell school est une série qui peut être lue sous trois angles et nous les avons observés un par un de façon très complète et plaisante avec un dessinateur qui parlait aussi de l’aspect scénario avec aisance. Il faut dire que Dugomier et Ers n’en sont pas à leur première collaboration et travaillent ensemble depuis presque vingt ans.
On a donc parlé des adolescents dans le milieu scolaire puis du bizutage et des rites d’initiation, enfin de psychologie en huis clos et ce ne fut pas l’aspect le moins intéressant de cette rencontre…
Avant de se quitter, Ers a accepté de dessiner devant caméras et appareils photo pendant de longues minutes un dessin en couleur, avec les crayons gras de ses enfants, pour illustrer son travail.
En conclusion de ce troisième volet de mes rencontres d’Angoulême 2013, je voudrais vous parler d’Alexis Matz, auteur et directeur de collection. C’est à cause, ou grâce, à sa série Le Tueur, que nous nous étions rencontrés la première fois il y a plus de dix ans. Cette fois-ci, en 2013, Le Tueur était à l’honneur et pas seulement parce que le onzième tome venait de sortir car tous les personnels de chez Casterman, l’éditeur du Tueur, étaient habillés d’un tee-shirt à l’effigie sans oublier les affiches du Tueur répandue aux quatre coins d’Angoulême…
Pour ceux qui ne connaissent pas encore la série, il faut savoir qu’au départ Le Tueur est un exécuteur à gages, assez insensibles, méthodique et parfaitement organisé, qui tue sur commande moyennant finances. Un véritable tueur, impitoyable et sans états d’âme… Mais au fur et à mesure du temps, ce tueur a évolué, a réfléchi, a médité, est devenu une sorte de philosophe… A partir du second cycle, ce personnage froid et criminel, est devenu plus attirant ou fascinant, et il a quitté son statut, évident du départ, d’antihéros pour celui plus délicat de personne sympathique, père de famille, amant, agréable à vivre… Enfin, n’exagérons quand même pas trop, il reste un tueur !
Alexis Matz reconnaît d’ailleurs l’envie qu’il avait à la naissance de la série de créer un antihéros auquel le lecteur finirait par s’attacher à contre cœur… Quoi, moi, aimer un tueur ! Vous êtes fous ou quoi ? Et, pourtant, maintenant, on finit par trembler pour lui quand il est en danger. Il est le méchant, le tueur, l’assassin et on croit déceler comme un peu d’amitié entre lui et nous…
Alexis Matz est un auteur touche à tout très facile à questionner. Une petite question et il parle déjà pendant vingt minutes… Au moins le silence – l’angoisse du journaliste radio – n’est pas d’actualité ce jour-là… Il a une vision assez exigeante de la bande dessinée ce qui n’empêche pas une facette populaire. Il est aussi éditeur de la collection Rivages Casterman Noir, collection/label qui donne la possibilité d’adapter des romans noirs en bédés noires en s’appuyant principalement sur la collection de romans noirs bien connus de Rivages.
A l’écouter, on mesure à quel point il est hyper actif, investi qu’il est dans son travail à 150 %. On peut d’ailleurs préciser pour ceux à qui cela aurait échappé qu’il est le scénariste d’une série, Du plomb dans la tête, une histoire dessinée par l’Australien Colin Wilson. Or, cette dernière vient d’être adaptée au cinéma par Walter Hill (sorti aux Etats-Unis en février 2013). Belle réussite pour une bande dessinée franco-australienne !
Voilà, quatre belles rencontres encore pour découvrir la bande dessinée sous des angles différents. C’est aussi quelques belles invitations à lire, à découvrir de très beaux albums de bédé… C’est aussi pour cela que j’aime ce festival et que chaque année je me débats pour y emmener quelques étudiants à qui je tente de transmettre mon goût, ma passion pour cet art narratif, le neuvième art comme certains ont osé l’affirmer…