Après le dessinateur des cycles d’Arthur et de Wollodrïn, Jérôme Lereculey, c’est au tour de leur scénariste David Chauvel de passer par mon micro.
Clémentine : David Chauvel, bonjour, je vous êtes le scénariste des albums Arthur et Wollodrïn. Alors Arthur tout d’abord, d’où est née cette envie de se lancer dans une histoire qui a été vue, revue et re-revue par presque tous les média ?
David Chauvel : Ben c’était justement parce qu’il nous semblait qu’elle n’avait pas été traitée de toutes les manières possibles. En tout cas pas comme la notre, qui était celle qui remontait aux sources celtiques du mythe, qui sont les Quatre branches du Mabinogi, qui est le seul texte transformé, réécrit et recopié par des moines et donc forcément très changé mais qui garde dans son esprit et dans certaines de ses parties probablement le seul vestige qui nous reste de ce qu’étaient les celtes d’avant la Christianisation.
Il y avait là dedans certainement une matière à reprendre l’ensemble de mythe Arthurien, sous un nouvel angle. C’est sans doute parce que Jérôme et moi sommes bretons, que cela fait parti de notre culture et que la manière dont le cycle Arthurien avait été traité, que ce soit au cinéma, ou en bande dessinée avec des choses qui partaient plus sur de la Fantasy, sur le côté merveilleux, les elfes, les lutins etc. Nous on voulait ramener ça à quelque chose qui était à la fois un mélange d’Histoire et de folklore, mais le folklore dans le bon sens du terme, c’est-à-dire le folklore originel, celtique et donc européen.
Clémentine : Et pourquoi ce choix d’utiliser les noms celtes, en ancien gallois, dans cette bande dessinée ? Car finalement, des personnages comme Merlin, ne portent plus du tout les noms auxquels nous sommes habitués.
David Chauvel : Et bien parce que ce sont les noms qui sont utilisés dans les Quatre branches du Mabinogi, et qui sont probablement les noms originels de la plupart des personnages, encore que celui d’Arthur soit sujet à discussion. Merlin encore plus puisque dans les Quatre branches du Mabinogi il n’apparait pas du tout. Il apparait dans un autre vestige littéraire mais qui a probablement été accolé à l’autre de manière totalement artificielle.
Après voilà, on n’a pas non plus fait œuvre d’historien, on n’a pas voulu prétendre écrire une vérité mais on a voulu essayer de se rapprocher de cette essence là et aussi parce qu’à l’époque j’avais beaucoup travaillé sur les civilisations celtiques, la manière dont ils structuraient leur société : de manière horizontale puisqu’ils fonctionnaient en clans, ce qui était extrêmement proche et j’ai travaillé après sur la manière dont fonctionnaient les indiens d’Amériques et notamment les indiens des Plaines. L’organisation de la société, l’organisation de la vie au quotidien, tout était pareil. Quasiment. On change le décor, etc. mais c’était pareil. Ils ont probablement la même source, la source Anglo-Européenne, et on sait que les indiens d’Amérique sont probablement passés par l’Alaska et par la Russie pour atteindre le continent américain. Tout ça c’est la même base. Et c’est la même base de l’organisation de la société et c’est ce que l’on a essayé de diffuser à travers la série.
Clémentine : Alors au niveau graphique vous travaillez avec Jérôme Lereculey, dont nous avions fait l’interview quelques temps auparavant ; alors pourquoi ce choix de partenaire ? Est-ce du à une rencontre au hasard ou était ce vraiment un choix de votre part ?
David Chauvel : C’est un parcours d’amis, puisque Jérôme et moi nous connaissons depuis le lycée. On s’est connus au lycée à Rennes et on s’est perdus de vue pendant un ou deux ans puis on s’est retrouvés dans un studio, qui s’appelle le studio Atchoum qui à l’époque accueillait à peu près tous les jeunes dessinateurs rennais. Moi j’étais aspirant scénariste et on s’est retrouvés là, on a commencé à travailler ensemble et voilà : vingt ans plus tard on y est encore !
Clémentine : Alors passons à Wollodrïn, dans lequel on voit l’apparition d’orcs et de créatures fantastiques. Etait-ce un choix dans le scénario dès le départ ou bien est-ce Jérôme qui s’est laissé entrainer par son imagination ?
David Chauvel : Alors Jérôme a toujours dessiné des choses comme ça, les bestioles, les nains, les orcs, les dragons… ça a toujours été sont truc puisqu’il est comme moi : il est fan du roman du Seigneur des Anneaux, que l’on a lu tous les deux quand on était adolescents, quand on avait douze ans et dont on ne s’est jamais vraiment remis. Moi j’ai lu beaucoup plus de Fantasy, lui il en a lu quasiment pas, seulement cette œuvre mais de toute façon ça a toujours été très présent dans notre imaginaire commun et quand on a commencé Arthur on s’est dit « De toute façon après, on fait quelque chose de cette obédience ! ».
On ne savait pas encore quoi et je pense que c’est bien que l’on ai attendu d’avoir fait une douzaine d’albums et non pas une douzaine d’années parce qu’il fallait beaucoup de temps pour digérer ce qui était un héritage extrêmement lourd, avec une influence quand même très très forte et voilà ! Vingt ans plus tard, enfin, plus de vingt puisqu’on a tous les deux plus de quarante ans et comme je le disais, moi quand j’ai lu le Seigneur des Anneaux j’avais douze ans, Jérôme aussi à peu près donc voilà, presque trente ans plus tard, nous sommes à la fois toujours très proches, très amoureux des romans, et je spécifie bien les romans. Je ne parlerais pas des ignominies qui ont été faites au cinéma.
Et en même temps on a quand même trente ans de distance, de parcours artistique personnel, ce qui nous a permis de prendre du recul et d’apporter, dans le respect de cette tradition « Tolkienienne », la possibilité de faire bouger les lignes et d’amener notre propre vision, notre personnalité tout en respectant les codes du genre.
Clémentine : Alors justement, lorsqu’on travaille autant longtemps avec un même dessinateur, est ce qu’on évolue dans sa façon de travailler, autant au niveau du graphisme qu’au niveau de la façon de raconter l’histoire ?
David Chauvel : Bien sûr. Le duo scénariste-dessinateur, sur la durée, sur dix ans, quinze ans, c’est un mouvement perpétuel d’allers et retours. Moi je lui fais des retours sur son travail de dessinateur, il me fait des retours sur mon travail de scénariste. On parle ensemble de ce que l’on va faire, de ce que l’on pourrait faire, de la manière dont on va le faire : chacun a des lectures, chacun voit des choses, enregistre des informations artistiques et chacun en retour, dit à l’autre « Et bien j’aimerais que l’on bouge dans cette direction là, j’ai eu des idées pour telle chose, j’ai des envies comme ça… ».
A l’époque de Wollodrïn, sur le tome 1, on s’est beaucoup remis en question sur le traitement graphique de Jérôme et notamment sur l’articulation et l’usage de la page, de la case, de la manière dont on allait faire exploser les scènes d’action sur des grandes pages, qui était quelque chose qu’il n’avait jamais utilisé et sur lequel il a fallu que je le pousse un petit peu. Et après il était content de l’avoir fait !
Et lui, d’un autre côté, même si ce n’est pas direct et que je n’ai pas d’exemple précis, me renvoie forcément des choses qui font que mon écriture évolue, comme des petits détails mais aussi des grands mouvements comme la fin de notre collaboration sur le projet Arthur et quand l’on en entame un second : forcément on a de longues discussions parce que l’on sait d’expérience que ça va nous engager pour des années.
Et des années de travail en commun, ce n’est pas rien et donc ce sont des choses qui se font par le biais de discussions riches et plus on se connait, mieux ça se passe. Evidemment il y a une vraie richesse qui nous est propre grâce à notre relation à nous deux. Au bout de vingt ans, ce n’est pas difficile à imaginer, donc forcément il se passe des choses qui n’appartiennent qu’à nous.
Clémentine : Donc vos projets pour le moment, sont de progresser sur de nouvelles histoires ou bien de continuer un cycle ?
David Chauvel : Oui, continuer un cycle. Wollodrïn en fait c’est une histoire au long cours, assez longue mais qui est coupée en petites histoires de deux tomes. Et au départ on part sur une histoire assez classique avec un groupe d’aventuriers qui partent en mission et bon, évidemment rien ne se passe comme prévu, mais ce qu’on ne sait pas c’est que petit à petit, Wollodrïn va dériver vers autre chose et va prendre de l’ampleur.
« Là on est en train de poser les pierres, unes par unes, qui sont petites, qui vont devenir moyennes puis de plus en plus grosses. »
Et les enjeux de nos histoires, qui au départ étaient vraiment microcosmiques, à l’échelle de nos huit personnages et de leurs petites missions, vont devenir macrocosmiques, c’est-à-dire vont, petit à petit, engager l’ensemble de l’univers dans lequel ils évoluent et ça va prendre une dizaine de tomes.
Et en même temps, comme on sait que les lecteurs n’ont pas forcément envie de lire des histoires qui se suivent sur dix tomes et on les comprend, j’essaie de construire cette grande histoire à l’intérieur de petites histoires de deux albums ce qui fait que c’est plus satisfaisant et que l’on peut se permettre de lire uniquement un arc de deux tomes, pour une certaine souplesse à l’intérieur de l’intrigue.
Clémentine : Et bien David Chauvel merci, nous attendons avec impatience de découvrir cette histoire cachée dans l’histoire et nous vous souhaitons une excellente continuation !