Chers lecteurs, comme vous le savez, nous sommes allés au festival d’Angoulême, et nous vous transmettons ici nos temps forts. Et des temps forts, il y en a eu. Je pourrais vous parler de la conférence avec Uderzo, de mon interview ratée avec Charlie Adlard, etc… Mais sortons un peu des sentiers battus et puisque la deuxième langue parlée au festival n’était point l’anglais mais bien l’italien, attaquons nous (et c’est bien une gentille attaque en règle que je vous délivre) à un spectacle – comédie musicale que nous a offert le pays au drapeau vert-blanc-rouge.
D’après la programmation du festival, Lemuri il Visionario est un spectacle musical de et par Vittorio Centrone accompagné des dessins du fameux dessinateur Giulio De Vita, connu en France pour avoir illustré Les Mondes de Thorgal : Kriss de Valnor, entre autres. Présenté comme « sans précédent », « nouveau concept » et j’en passe, je me mets en tête d’y assister à tout prix.
L’horaire du spectacle étant défini à 20h30 et ayant été témoin des longues files d’attente d’un public pressé d’obtenir un aperçu, un gribouillis voire un chewing-gum mâché de son auteur-dessinateur-gribouilleur préféré, dans mon esprit se forme l’idée que ce n’est pas moins de la moitié du public du festival qui va se presser aux portes de la salle le moment venu et me piquera ma place…
Il est donc nécessaire d’arriver en avance. Au moins une heure et demie en avance !
Et c’est donc dans une salle d’attente décorée aux couleurs des Mystérieuses Cités d’Or, que nous attendons que la salle ouvre ses portes, en compagnie d’Ismaël, agent de sécurité qui nous raconte comment il a passé la journée d’avant en compagnie « du chinois » et qu’il ne comprenait pas pourquoi autant de monde souhaiter l’approcher… Le « chinois » en question se trouvant être le très fameux Leiji Matsumoto, mangaka japonais créateur d’Albator pour ne citer que son chef d’œuvre. Qu’est ce que je n’aurais pas donné pour être à la place d’Ismaël ce jour là…
Mais revenons-en à nos moutons.
C’est donc après une bonne heure et demie d’attente, que nous nous installons dans le fauteuil tant convoité. Je ne peux m’empêcher de remarquer que la salle n’est pas pleine… Béotiens, ils ne savent pas ce qu’ils perdent.
Et le spectacle commence.
Attention, je spoile, mais je doute que vous ayez la chance un jour d’assister au spectacle, et si c’est le cas, il est de mon devoir de vous prévenir.
Notre histoire commence donc par une grise journée, quelque part au pays des pâtes, dans un univers futuriste si l’on en croit l’architecture du premier dessin. Et comme inventer un décor prenait trop de temps, les créateurs de Lemuri ont simplement copié sur l’affiche du Film Hugo Cabret, minus la Tour Eiffel. Après tout, Scorsese, c’est pas de la gnognote non plus.
Sur scène, le décor aventurier-post-apocalyptique-cyber-punk est installé. Cet espace, dont le but est de représenter l’antre de création de notre aventurier-philosophe, perd toute sa crédibilité tellement les objets sont placés au millimètre près…
Note au scénographe (si tant est qu’il y en ait eu un) : lorsqu’on monte un décor, le but est de le rendre le plus naturel possible, même s’il a nécessité des heures de préparation.
Mais chut, le spectacle commence, sur le rock dubitatif d’un musicien assit sur sa grosse caisse au look léopard (la grosse caisse, pas le musicien), guitare à la main et le pied aux clochettes (si si, son pied faisait bien sonner de petites clochettes…). Et c’est dans cette ambiance étrange que le personnage principal (et actuel créateur du spectacle, Vittorio Centrone) fait son apparition, se mouvant tel une enclume au milieu d’objets hétéroclites.
Il est Lemuri.
Lemuri, c’est une sorte de penseur-aventurier dont les supers pouvoirs lui permettent de voyager dans des dimensions parallèles : aux allures de magicien bourré, en guenilles qui déambule sur les routes en ennuyant les honnêtes gens. C’est un grand type fin, sans âge (ou bien est-ce dû à la surcouche tartine d’un maquillage aussi ridicule qu’inutile ?), affublé d’un costume qui se veut néo punk et dont la quête absolue et de trouver la « mélodie ultime » (tremblement de clochettes pour souligner l’importance du moment).
Rien que ça…
Je pense intérieurement qu’il y a une histoire de drogue là dessous. En effet, Lemuri ne semble pas se rendre compte que pendant toute son aventure il est le seul personnage de l’histoire à s’être dessiné un faux masque de Zorro au khôl, et dont les plumes dans sa longue chevelure et son cosplay cyberpunk dénotent légèrement avec les costumes médiévaux-futuristes (oui ça existe, il suffit de prendre une robe blanche, d’y coller un ruban dessus (j’ai dis coller, pas coudre…) mais je digresse, (j’aime les parenthèses… je digresse encore)), les costumes médiévaux-futuristes donc, de toutes ses futures conquêtes.
Autant vous dire tout de suite que, petit a, le scénario étant ce qu’il est, je pencherais pour l’hypothèse que son auteur est une licorne… et petit b, au vu et entendu des chansons (car oui, c’est une comédie musicale), je reste dubitative quand à l’objet de la quête (rappelez-vous, la mélodie ultime)…
Car si les deux protagonistes + musicien ne se débrouillent pas trop mal au niveau de la voix (au moins ça), on ne peut passer outre les mouvements et pas de danse catastrophiques dont les notions de coordination et de grâce sont totalement absentes. Car oui, Lemuri n’est pas tout seul dans sa grande aventure (tremblement de clochettes) : tout au long de l’histoire (et elle m’a semblé bien plus longue que ses trois quart d’heures, auto-rappels des comédiens compris), Lemuri se trémousse accompagné d’une demoiselle dont le rôle reste à trouver (demander à la licorne…).
Il semblerait que Lemuri ne base sa quête que sur ses rencontres amoureuses, représentées par cette comédienne qui à chaque changement de personnage s’affuble d’un nouvel accoutrement à en faire pleurer nos pupilles. D’un autre coté, cela prouvait à chaque apparition ma mauvaise foi lorsque je pensais « on ne peut pas faire pire… ». Mais ne nous attardons pas sur cette jeune fille aux mœurs douteuses (elle avait les bras recouverts de peinture…Pourquoi ?!) et au professionnalisme consternant.
Si je n’avais pas lu le semblant de synopsis que nous ont fourni les organisateurs du festival, je crois que je n’aurais pas compris l’histoire… et pourtant, j’avais plusieurs versions :
- les paroles des chansons en italien,
- leur traduction (mauvaise de surcroit, avec des raccourcis que même « Google Trad » n’aurait pas emprunté)
- et la voix off qui interagissait en français avec un Lemuri qui ne parle qu’italien. Une preuve de plus qu’il était totalement défoncé à la Ganja.
Je confirme : si une licorne a rédigé le scénario, les dialogues, eux, ont été confiés à un blaireau.
Allez, c’est tellement beau que je vous mets un lien: Cose Inutili.
Puis, vient l’instant bénit où le spectateur comprend que le spectacle touche à sa fin (tremblement de clochettes). Et quelle fin…
Lemuri se rend tout simplement compte que l’objet de sa quête réside dans ses racines (comprendre : chez lui), qu’il est parti pour rien, qu’il a abandonné sa femme, ses femmes rencontrées ça et là et la terre de son enfance pour une comptine qu’il n’a de toute façon pas trouvé. Le scénario était déjà bien nase, mais nous pouvons voir que via ce rebondissement qui ne tient debout à aucun moment, les choses vont pouvoir encore empirer. Ho, mais si elles peuvent. Toujours. Sur les dernières images d’un dessin de De Vita trop accéléré, trop sombre, et finalement trop en retrait, on comprend qu’il retrouve la femme qu’il a abandonné lors de son départ pour se découvrir lui-même, et que malgré le fait qu’elle se soit tuée aux champs à essayer de nourrir les dix gamins qu’il lui a probablement laissé, l’accueille les bras ouverts… Typiquement italien.
Mais passons sur les détails consternants de cette épopée.
La fin du spectacle donc, que dis-je, le clou du spectacle, est Lemuri qui s’installe à son piano trônant au milieu de son décor cyberpunk, et qui nous offre, à défaut d’un autre dessin de De Vita, une prestation à faire rougir de jalousie les gitans du coin. Mais finalement, ces deux dernières chansons à connotation tzigane sont peut être les deux morceaux que j’ai préféré dans cet univers rock-éclectique-clochettes.
Sur cette ultime incohérence, Lemuri se lève, fixe son public de ses yeux noirs et disparait dans la brume montante de ce début de nuit, Et donc…
FIN
…
Alors, ça ne valait pas une bonne heure et demie d’attente ?
D’autant plus que lors de mes quelques recherches sur internet quant à la véritable histoire, car nul doute que je n’ai rien compris, il se trouve que je suis tombée sur au minimum trois versions différentes pour le même spectacle…
Aaaaah les petits canaillous à la programmation à Angoulême ! Ils se sont bien gardés de nous dire que la réalisation était italienne. D’un autre coté, ils ménagent leur effet. Et quel effet ! Car dès les premières minutes, tout s’est illuminé dans ma tête. Aux questions « pourquoi ce costume inutile, pourquoi ce maquillage débile ridicule, pourquoi ces chansons pop-rock-beauf ? », la réponse était enfin donnée : réalisation italienne.
Personnellement, et contrairement à ce que ma critique laisserait à penser, j’ai plutôt aimé le show, mais je crois que c’est uniquement grâce à mes racines italiennes… De même, après d’autres pérégrinations sur la toile virtuelle, j’en ai conclu que Lemuri il visionario aurait du rester un album dessiné. Car tout le schmilblick raconté au dessus passe très bien sans les comédiens, sans le guitariste-clochettes, sans les décors pompeux et sans les chansons… Juste le dessin en fait !
Car, à mon humble avis, pour apprécier un tel déploiement de niaiserie, de nullité et de kitch, il faut avoir de solides bases en téléréalité italienne, ou encore tout simplement, avoir une vague connaissance du JT, où les présentatrices sont les gogos danseuses du bar du coin (crise économique oblige). Mais pour un italien, rien de plus normal.
Pour moi, Lemuri il Visionario, c’est un retour au pays de mon enfance, pays de mon cœur et de mes souvenirs. Quand on aime quelque chose, un lieu, une ambiance, et qu’on les retrouve dans un tout autre contexte, on ne peut s’empêcher d’être transporté, pendant un moment, hors de la foule du festival, hors de ce méli-mélo de visages inconnus. Un moment hors du temps, qui heureusement encore, n’a pas duré trop longtemps. Car rester bloqué aux pays des licornes, des blaireaux et de la ganja a un certain appel seulement lorsque l’on peut en revenir le sourire aux lèvres. Et je crois que c’est le sourire aux lèvres que les spectateurs de Lemuri il Visionario sont sortis de la salle, fut-il moqueur, rêveur ou simplement dubitatif.
Ou alors, ça je l’ai peut-être fantasmé, je ne suis plus sûre. Ah, c’est pas évident.
Clémentine