On dit que la bande dessinée se porte bien, mais reconnaissons que cette santé apparente cache peut-être des difficultés plus importantes qu’on ne le croit. La santé financière est souvent maintenue par des sorties en très grand nombre dont certaines auront bien du mal à se frayer un chemin jusqu’aux lecteurs, qui, de toutes façons, n’ont pas un budget illimité et qui devront faire les choix que les éditeurs n’ont pas pu – voulu – faire !
Les grandes maisons sont ainsi en survie artificielle ou sous perfusion et la maison Casterman, par exemple, est confrontée à des difficultés certaines. Son rachat et son entrée dans le prestigieux groupe Gallimard n’est en rien symbole de fin de crise… Quel sera l’avenir de la bédé dans ce nouvel univers ? L’avenir le dira mais les inquiétudes sont bien réelles…
Pendant ce temps-là les reprises continuent à envahir les librairies. Il suffit pour s’en convaincre de feuilleter les nouveautés avec Michel Vaillant, Blake et Mortimer, Alix… La survie du neuvième art passerait-elle uniquement par le maintien en activité des héros des années cinquante et soixante ? Ces reprises sont-elles toujours de qualité ? Cela crée-t-il un marché qui nuit aux ventes de nouveautés pures ? Enfin, question capitale, ces reprises sont-elles de bonnes bandes dessinées agréables à lire et à ne pas manquer ?
Oui, les questions ne manquent pas au moment d’ouvrir le dernier Alix de François Corteggiani et Marco Venanzi ou le premier album de la saison 2 des aventures de Michel Vaillant de Denis Lapière, Marc Bourgne et Benjamin Bénéteau. Pourtant, j’ai ouvert ces albums et je vais vous en parler en commençant aujourd’hui par ce dernier Alix, L’ombre de Sarapis…
Ceux qui me suivent depuis quelques années savent pertinemment que je suis un lecteur des aventures d’Alix depuis longtemps. Comme tous les aficionados de cette série, j’ai mes petits préférés de l’ère Jacques Martin. Pour moi, si je devais en garder deux ou trois, il y aurait Le fils de Spartacus, La griffe noire, Le tombeau étrusque… Cela m’en fait au moins un de commun avec François Corteggiani qui avoue que ses deux albums inoubliables sont La griffe noire et Les légions perdues…. Oublions un instant – pourtant c’est presque impossible – le grand créateur Jacques Martin pour revenir aux reprises, ou, plus exactement, à la vie d’Alix au-delà du travail du grand maître…
Une première remarque s’impose : Jacques Martin avait, de son vivant, commencé à travailler avec des jeunes auteurs, il a composé en suivant le casting de très près, une écurie, une équipe, un team, un studio de qualité pour faire vivre ses héros bien après lui. Ainsi, Alix, Lefranc, Jhen, Orion, Loïs, Kéos sont encore d’actualité pour les lecteurs…
D’actualité ? Peut-être, mais avouons que ce sont surtout les anciens lecteurs du Journal de Tintin qui se précipitent en premier sur ces albums ! Personnellement, je trouve d’ailleurs que certains albums furent d’une grande qualité tandis que d’autres furent un peu plus légers. Dans les réussites je pense à L’Ibère que j’avais dévoré comme ceux dont je parlais plus haut…
Avec ce nouveau venu, L’ombre de Sarapis, nous allons retrouver nos deux héros principaux, Alix et Enak, en Egypte, avec une héroïne que nous avions déjà croisée dans Ô Alexandrie, un album dans lequel on avait pu constater de façon évidente les qualités d’un petit jeune, Rafael Morales. Ce dernier aura collaboré avec Jacques Martin sur cinq albums d’Alix avant de se consacrer aux Voyages d’Alix même si maintenant il se donne une série plus personnelle, Hotep.
Mais cette héroïne, crierez-vous en cœur ? Il s’agit bien sûr de la reine Cléopâtre dont on pourrait bien penser – à juste titre – qu’elle s’est donnée à Alix l’espace d’une nuit… Ne lui avait-elle pas déclaré : « Tu auras toujours une place dans mes rêves »… et c’était après une nuit endiablée que Jacques Martin n’avait pas osé nous décrire en profondeur… Autre temps, autres mœurs, et je regrette parfois que les aventures d’Alix soient si soft dans certaines phases…
Cette fois, c’est César, oui le grand César, qui va envoyer Alix en mission : « Mon fils Césarion a disparu. Enlevé ! », et il est impératif de le retrouver. Certes, ce fils né des amours entre César et Cléopâtre vivait chez sa mère et on ne parle nulle part de la pension alimentaire qu’il versait à cette reine acariâtre… Alix va donc prendre le chemin de l’Egypte avec son ami Enak pour tenter de retrouver ce Césarion…
Cette aventure dans un pays dont on a beaucoup parlé l’an dernier est très bien construite. Un scénario solide qui renoue avec les grandes machinations et trahisons qu’aimait bien Jacques Martin. Cléopâtre est toujours sensuelle à souhait et plusieurs fois on se demande si elle ne devrait pas s’occuper plus d’Alix que de politique où elle semble plus manipulée que manipulatrice…
Et ce petit Enak que l’on croyait très innocent…ne voilà-t-il pas qu’il regarde avec beaucoup de tendresse et passion cette belle Isadora. Cléopâtre devra même se faire accompagner de la belle jeune Egyptienne quand elle se rendra au triomphe de César… Pour un peu, Les aventures d’Alix deviendraient chaudes et réservées aux adultes !
Rassurez-vous, amis lecteurs, Alix reste Alix ! Et le restera ! Ceci étant acquis, j’avoue avoir pris beaucoup de plaisir dans cette lecture et je finis par me demander si certaines de ces reprises ne sont pas l’occasion de prouver que les héros de bandes dessinées, les vrais, les grands, ne peuvent pas mourir car ils nous appartiennent définitivement. Les auteurs peuvent se succéder, les histoires continuent et le talent des uns ou des autres, transforment les albums en réussite ou pas…
Le dessinateur Marco Venanzi – certains l’avaient découvert et apprécié avec de nombreux albums de la série Masquerouge dont il en avait repris le dessin derrière André Juillard à partir du quatrième – montre qu’il est aussi très habile dans les histoires de l’Antiquité. Avec Le testament de César, il avait montré quelques imperfections, cette fois, avec un très bon scénario, il réalise un excellent travail ! On attend la suite…
Le duo Venanzi-Corteggiani nous offre donc un album de qualité, à lire, bien sûr, par tous les fans du Journal de Tintin et de cette série mythique, mais aussi à découvrir par de plus jeunes lecteurs qui pourraient là comprendre que ce personnage d’Alix est définitivement un grand incontournable de la bande dessinée…
Un coup de cœur, quoi !
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L’ombre de Sarapis
Scénario de François Corteggiani
Dessin de Marco Venanzi
Personnage créé par Jacques Martin
31ème aventure d’Alix
Editions Casterman
ISBN : 9782203025424