Approche un peu de ma part affamée bête. Approche un peu. Approche avec tes solutions, avec tes indices. Si ta montre s’était alignée sur mon heure, tu aurais été là pour ma dernière, tu aurais pu contrevenir à mon suicide. Tu te serais au moins mis à table avec le bourreau que j’avais délégué, et vainement, tu aurais tâché de lui faire entendre raison. Et si par malice, par seule malice, il avait, toi enfin à court d’arguments, car il faut bien dire que dans la circonstance on a la bouche vite sèche et l’éponge est bientôt jetée, il t’avait, dis-je, comme si sa générosité était allée jusqu’à t’acheter ton morceau de bravoure, susurré
« A genoux »
eh bien tu te serais agenouillé sans sourciller pour que le petit projectile logé dans canon froid et poli, mais intéressé du seul dehors, des seuls dégâts qu’il commettra au bout de la ligne droite, ce sprinter vindicatif et huilé, ne fasse une énormité de mon crâne – une énormité de plus.
Mais non, ta montre marquait une heure dissemblable, voire ouvertement distincte, voire impersonnelle, ta montre dis-je, affichait un retard flagrant et définitif, mais son réglage te regarde.
Deux minutes de retard : ma mort ne te regardait pas. Du moins pas celle que j’étais pour me donner, naïf ne croit pas qu’il en soit d’autres, et qu’effectivement je me donnai. Je t’aperçois d’ici qui te tournes d’un côté d’autre, ou appliquant aux murs une oreille incrédule et conjecturante, ou encore contraignant ta cahute de tête bourdonnante et persiflante à tenir entre tes deux mains de retardataire, je t’aperçois qui veut savoir d’où je, devenu ça, parle, t’admoneste.
Sache pour ta gouverne que je me trouve dans un lieu inattendu, qui fait le vœu secret des moins vivants des vivants, des pusillanimes et des pointilleux.
Je suis en Paradis ? Ça t’étonne ? Cela devrait plutôt te rassurer quant à la fausseté du dogme qui veut que le suicide, non. et bla et bla et bla. Ceci t’étonnera davantage : c’est plein de chrétiens. D’ailleurs on ne m’a pas fait d’histoires. Les préposés à l’accueil ont reconnu à mes manières et aux procédés brutaux que j’employai à ma suprême déconvenue, le type même du grand lecteur, du fin critique qui, en toute justice, ne tranche pas savoir du Dieu s’il est vengeur ou tout Amour. Je suis testamentaire, un jour néo, le jour d’après paléo.
Malgré mon jeune âge j’ai cru bon de faire le détail des tentatives d’auto-mutilation qui jalonnèrent mon adolescence comme autant d’invectives – ut christus homo.
J’insistai sur le fait qu’elles n’avaient jamais été qu’intérieures et endogènes : déglutition de pilules, de Paic. On me félicita pour la précocité qui fut la mienne à mépriser ce qui de mon corps ne se voyait pas, cela devint de la connivence lorsque j’avouai ma réticence insurmontable à endommager l’enveloppe externe de mon corps que je chérissais. On convenait, les yeux brillants et luxurieux, que la beauté de l’homme ne se situait qu’à l’extérieur, surtout pas à l’intérieur, tout à fait laid, et que cela seul qui était laid méritait le saccage, appelait la révolution. On me félicita chaleureusement pour mon endocide.
Guy Viarre, Lettre venue d’ailleurs, in dire je meurs, Fissile, 2008, p.33-35.
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