Pierre Benoît est un romancier français qui est né en 1886 et qui est mort en 1962, il y a exactement cinquante ans. Cet écrivain qui fut l’un des plus lus de son vivant au vingtième siècle méritait un hommage particulier. Au cœur des célébrations multiples que seule la France sait créer, les éditions Albin Michel ont décidé de donner un lustre particulier à un cinquantenaire qui aurait pu passer inaperçu. Quoi de plus normal qu’une si grande maison d’éditions joue ce rôle moteur, elle qui a su éditer tous les romans de Pierre Benoît à l’exception d’un seul, le premier, Koenigsmark ? Il était d’autant plus normal de la retrouver à l’investigation de la fête que Francis Esménard, petit fils d’Albin Michel, président des éditions du même nom, a lui-même connu Pierre Benoît lors de ses vingt-cinq dernières années…
L’hommage d’un éditeur
L’année 2012 sera donc bien l’année Pierre Benoît ! Comment un éditeur peut rendre plus présent un auteur alors que ses œuvres sont entrées doucement dans l’oubli ou la désuétude apparente ? Probablement, en rééditant quelques-uns de ces romans pour inviter des jeunes lecteurs à les découvrir. Mais quand un romancier a signé quarante-deux romans, par où fallait-il commencer ce travail de dépoussiérage, de réhabilitation, de mise en lumière ? Certes, on peut comprendre que l’éditeur ne pouvait pas matériellement tous les choisir ! Il fallait faire un choix et c’est ainsi que trois textes sont restés sur la table d’Albin Michel : Mademoiselle de la Ferté, Axelle et la Châtelaine du Liban. J’entends déjà les experts hurler en meute… Comment ? Mais pourquoi n’avoir pas choisi L’Atlantide, Le roi lépreux, L’île verte, Le puits de Jacob ? Tout simplement parce que trois titres seront, eux, réédités par Le livre de poche, avec leurs couvertures initiales : Kœnigsmark – mais qui ne pouvaient être choisis par Albin Michel – qu’accompagneront L’Atlantide et Le Roi lépreux.
Pour les trois ouvrages choisis par Albin Michel, on a demandé à Floc’h, dessinateur de bandes dessinées, de réaliser trois couvertures avec une illustration comme lui-seul sait les scénariser. Pour un peu, on en oublierait presque les couvertures jaunes qui ont accompagné tant de lecteurs de ma génération, ces couvertures que l’on repérait chez les bouquinistes et qui nous ont permis de découvrir un romancier qui était déjà décédé quand nous avons eu ses romans en main…
Trois personnalités du monde des lettres pour préfacer ce grand romancier
Restait à trouver des noms pour écrire les préfaces ? Trois écrivains s’y sont collés avec, à mon avis, des résultats de qualité différente. Je commencerai par citer Eric-Emmanuel Schmitt qui a placé, tout de suite la barre très haut avec Mademoiselle de la Ferté. J’adore sa préface, en particulier le début, à tel point que je ne peux pas résister de vous en citer quelques lignes :
«J’aime beaucoup la femme qu’il était. Ou plutôt les nombreuses femmes qu’il fut. Car Pierre Benoît, ce colosse sans cou aux épaules carrées, contenait dans sa carcasse d’aventurier, derrière ses traits épais, sous ses costumes taillés pour un grand bourgeois cossu, de multiples créatures, des vamps fatales, des vierges exaltées, des meurtrières bourgeoises, des intrigantes, des naïves, de pitoyables ou farouches abandonnées. Il n’avait pas un harem. Il était un harem. »
Le second à poser ses mots non loin de ceux de pierre benoît fut Frédéric Vitoux. Ce que j’ai aimé chez lui c’est qu’il se pose la question qui m’habite depuis que quelque lectrice amie d’un site de critique est venue susurrer à mon oreille cette question surprenante : et si tu reprenais le temps de te plonger dans un roman de Pierre Benoît ? Comme le dis très bien Vitoux, pourquoi rouvrir ces romans qui ne sont pas les mieux écrits du vingtième siècle et qui, pourtant, nous ont enchantés dans notre adolescence ? N’y a-t-il pas le risque d’être déçu ? La conclusion est à la hauteur de ce que je pense :
« On est heureux. On a la nuit devant soi. Ils ne sont pas si communs les livres qui ont le privilège de nous rendre heureux ! »
Reste la troisième préface, celle qui m’a le moins touché, celle d’Amélie Nothomb. Pourtant, aucun a priori contre elle de ma part, non, juste de la déception. Mais je n’insisterai pas car c’est tout simplement parce qu’elle n’a pas eu la chance de bercer son adolescence avec ces romans de Pierre benoît. C’est un peu comme si elle avait lu La Châtelaine du Liban comme un archéologue découvre une pièce rare tandis que nous la lisons comme un homme qui retrouve sa boite à secrets dans un grenier… La première trouve une belle œuvre qui a survécu au temps – « Je souhaite aux autres vivants d’avoir un jour d’aussi belles rides » – tandis que nous nous revoyions dans notre force de l’âge en train de fantasmer sur une certaine Athelstane…
Une soirée de lancement à Paris
C’est un peu par hasard que je me suis retrouvé assis dans une petite salle pleine de monde au cœur du Centre National du Livre. En effet, c’est là, dans une des Mecque du livre, que nous étions invités à une grande et belle évocation de Pierre Benoît.
C’est ainsi qu’en l’espace de deux heures nous avons pu entendre Francis Esménard, actuel président des éditions Albin Michel, puis Michel fils de Marcelle, la femme bien aimée de Pierre, qui a pris la parole à 82 ans pour évoquer quelques instants tendres de celui qui avait été auprès de sa mère durant les vingt dernières années de sa vie. Ce furent les deux témoins de la vie de Pierre Benoît et j’avoue avoir apprécié d’être ainsi confronté à des vraies images de l’auteur…
Ensuite, il y eut un peu de regard biographique avec Gérard de Cortanze, auteur d’une importante biographie de Pierre Benoît, Le romancier paradoxal. On a pu ainsi comprendre le rôle de la maman, l’envie de Pierre de toujours écrire et mettre en scène sa vie, les erreurs qui ont été faite sur ses idées parce que l’on ne prenait pas le temps de remettre le personnage dans son époque, enfin, une bonne explication de ce que fut pour lui les semaines passées en prison lors de l’épuration, moment que Pierre Benoît supporta comme la plus grosse injustice qui pouvait lui être faite.
Enfin, ce fut une discussion plus ouverte avec François Taillandier et Bruno de Cessole. Peut-être un peu moins dense, elle permet néanmoins quelques beaux échanges entre tous les participants de la soirée quand il fut question des femmes héroïnes des romans de Pierre Benoît. Ces femmes poussaient-elles à l’abstinence ou à l’appétence ? On a alors bien senti que certains lecteurs avaient lu ces romans comme les préfaciers dont nous parlions plus haut. Oui, tous ceux qui adolescents ont rêvé en compagnie d’Axelle, Alberte, Antinéa… rejettent définitivement les mots d’abstinence tout en ayant bien compris que suivre certaines femmes chez Pierre Benoît n’assurent pas le bonheur paisible au coin du feu…
En conclusion, j’ai passé une très belle soirée en compagnie d’une foule assez importante compte tenu de la nature du thème de la rencontre. La moyenne d’âge, sans faire offense aux personnes présentes, était assez élevée et du coup on peut s’interroger sur la possibilité de ces rééditions de trouver de nouveaux lecteurs. Mais, cela, c’est l’avenir qui nous le dira…