Il y a des auteurs que l’on a plaisir à rencontrer car on a l’impression de côtoyer alors des êtres de génie, des dessinateurs hors normes. Sa modestie dut-elle en pâtir quelque peu, Jacques de Loustal en fait partie, du moins à mes yeux. Ce fut donc encore un plaisir d’échanger avec lui lors du festival de la bande dessinée d’Angoulême…
Shelton : Jacques de Loustal vous êtes à la fois dessinateur, peintre, auteur de bandes dessinées, illustrateur, publiciste… que sais-je encore ?
Jacques de Loustal : En fait je suis surtout un homme d’images. Je travaille sur l’image au sens large, je suis influencé par la peinture, la photographie, l’illustration, la bande dessinée et j’aime bien être dans tous ces champs sans être enfermé dans un seul. Il est donc normal de me retrouver avec ce cahier de coloriage. J’ai eu l’idée un matin, vous savez quand on est entre le sommeil et le réveil. Dans cette réalisation, il y a deux choses. Il y a d’abord un gadget, un cahier de coloriage comme lorsque l’on était petit. Une sorte de clin d’œil. Mais c’était aussi pour montrer tous ces dessins qui n’existent plus car ils sont dans mes livres en couleur directe ce qui fait disparaître les traits à la plume de mes dessins. Avant, je fais toujours une photocopie de mes dessins mais j’avais envie, cette fois, de leur redonner un peu d’existence. C’est aussi une façon de montrer une étape de mes dessins, de faire prendre conscience de mes rapports à la ligne claire… car dans ces dessins en noir et blanc, pas de volume, pas de lumière, juste le dessin brut. J’ai donc proposé cela à Casterman, mon éditeur, et finalement, ça s’est fait. C’est aussi une façon de revenir aux fameux tirages de tête de la bande dessinée qui sont toujours en noir et blanc. Mais j’aimerais bien aussi voir cet album colorié par des enfants, voir ce que ça donnerait. Mais dans les dédicaces, on ne m’a encore jamais apporté un livre colorié ainsi…
Shelton : Jacques, vous faites à la fois des bandes dessinées et des livres illustrés et j’ai l’impression que vous faites les deux avec un égal plaisir, un bonheur bien réel… Illusion ou réalité ?
Jacques de Loustal : Oui, c’est vrai, j’aime tout cela. J’aime beaucoup les livres illustrés. Choisir dans un texte quelques séquences qui vont se transformer en images, c’est peut-être plus exigeant que la bande dessinée où l’on est obligé de tout traduire en images. Là, il faut choisir, sélectionner. On se donne à fond pour quelques images qui vont accompagner le texte. Il faut être alors très fort visuellement. Malheureusement, le livre illustré ce n’est plus vraiment à la mode – moi je vivais dans une maison qui était pleine de livres illustrés du début du vingtième siècle, j’ai été nourri avec ça – et ce n’est plus aussi populaire. En plus, quand j’ai illustré des romans de Georges Simenon, ce n’étaient pas des nouveautés. Par contre je suis très fier d’avoir illustré Le rappel de Boris Vian et Rubio y Morena de Tennessee Williams. Dans les deux cas, c’était un travail à l’ancienne pour des cercles de bibliophiles. J’aime beaucoup travailler dans ces conditions, avec des éditeurs qui privilégient la qualité et je regrette beaucoup que la collection Futuropolis-Gallimard se soit arrêtée car j’aurais aimé faire un livre par an avec eux.
Shelton : Vous n’êtes pas qu’un auteur de livres illustrés, vous faites de la bande dessinée et dans ce domaine vous avez enchainé beaucoup de projets.
Jacques de Loustal : En fait depuis l’album Le sang des voyous – avec Paringaux en 2006 – chaque fois que je terminais une bande dessinée j’avais en main un nouveau projet, le scénario suivant. Mon problème généralement était de trouver une histoire et depuis quelques temps la question se pose moins. Je ne fais pas tant de bédés que ça car je ne suis pas tributaire d’une série, je ne cherche que des histoires, des collaborations, mais tout cela s’enchaine. Au moins de juin je vais terminer un album, mais je crois qu’après je vais stopper la bédé un ou deux ans pour prendre le temps de me régénérer sur d’autres modes d’expression, avec d’autres outils. Vous voyez, je vais prendre un temps pour la peinture, le dessin, pour travailler avec des galeries, faire des livres de dessins…
Shelton : Vous êtes à la recherche de votre équilibre…
Jacques de Loustal : Oui, c’est ça, et généralement j’y arrive.
Shelton : Quand vous mettez une histoire en bande dessinée, on a l’impression qu’à chaque fois vous choisissez ce qu’il y a de plus noir !
Jacques de Loustal : Oui, mais là encore je recherche mon équilibre entre ce qui est très noir, c’est vrai, mais ce qui est aussi très solaire et lumineux, avec à chaque fois un graphisme adapté, influencé. Je suis très attiré par exemple par les peintres allemands des années trente comme Beckmann mais aussi des artistes comme Gauguin, Matisse… Mais ma noirceur, si on peut dire, doit avoir certaines limites. Je ne peux pas me complaire dans le noir permanent ou le désespoir. Les histoires de couples avec Benaquista sont plutôt intimistes (Les amours insolentes), celles avec Jean-Luc Coatalem sont cocasses (Jolie mer de Chine, Rien de neuf à Fort Bango) tandis que celles avec Paringaux sont très noires (Le sang des voyou, La nuit de l’Alligator). De toute façon, je ne peux pas vivre uniquement dans des ambiances noires toute une année. Là aussi, il faut que je trouve mon équilibre.
Shelton : On vous a aussi vu signer une adaptation en bande dessinée d’un roman dans la collection Rivages/Casterman/Noir : Coronado, un roman de Dennis Lehane.
Jacques de Loustal : J’apprécie cette collection, je trouve qu’elle a une voix authentique et j’ai beaucoup aimé y participer. Pour moi, encore une fois, c’est le choix du texte. J’aime un texte par la façon dont il est écrit plus que par ce qu’il raconte à proprement dit. Pour moi, une adaptation est plus une dilatation. Donc il me faut des textes courts et des nouvelles dans la collection Noir de chez Rivages, il n’y en a pas tant que cela. Pour Coronado, je suis parti de vingt pages et j’ai produit soixante-dix planches… J’aime utiliser des fausses pistes qui ne mènent à rien, développer des dialogues savoureux qui s’éloignent du scénario… mais sans réécrire le roman ou la nouvelle. Dans Coronado, quatre-vingt-dix pour cent du texte est d’origine !
Shelton : On souhaite que vous trouviez rapidement un nouveau texte chez Rivages pour nous enchanter de nouveau, et, en attendant, on va prendre le temps de colorier votre cahier de coloriage que l’on viendra vous présenter lors d’une prochaine dédicace !
Jacques de Loustal : Au crayon, le coloriage car l’aquarelle ne tient pas sur ce papier…