J’entends souvent des gens dire – phrase bien générale pour éviter de faire preuve de méchanceté envers certaines personnes que je peux croiser quotidiennement sur mes différents lieux de travail – que les auteurs, les dessinateurs, les compositeurs, les interprètes, les acteurs ne sont pas des êtres humains comme les autres, qu’ils vivent sur une autre planète et j’en passe et des meilleures ! Or, je veux vous donner un peu plus de détails sur ce que nous avons vécu avec une classe Ulis lors du festival d’Angoulême…
Une classe Ulis – je préfèrerais qu’on la nomme Ulysse et qu’on l’invite au grand voyage de la vie – est une classe avec des collégiens qui ont quelques difficultés et que l’on cherche à aider, à accompagner dans une démarche d’insertion. C’est une classe avec des enfants qui ont des aménagements d’emploi du temps, des aides particulières pour leur permettre d’avancer dans la vie et ne pas rester « à part » sur le bord du chemin. C’est parce que nous avons trouvé qu’un tel projet était positif pour ces jeunes que nous avons décidé de les aider avec quatre étudiants de l’IUT de Chalon-sur-Saône. Pas une aide démesurée et inaccessible, juste les accompagner à Angoulême pour le festival de la bande dessinée, leur faire visiter une exposition, leur faire rencontrer un auteur, les filmer, les photographier et les aider à présenter tout cela à l’ensemble des collégiens de leur établissement à Louhans. Un peu comme si pour une fois le cours était assuré par les plus en difficulté du collège et que les plus doués ou avancés allaient apprendre d’eux. Beau programme !
Je passe sur les rencontres préalables, sur la bonne entente entre l’IUT et le collège, car c’était certain qu’entre gens de bonne volonté tout cela fonctionnerait bien. J’en viens à l’essentiel, la rencontre avec un auteur. Vouloir créer à Angoulême un espace – lieu et temps – entièrement réservé à nos jeunes pour qu’ils puissent écouter, apprendre, comprendre et dialoguer avec un auteur pouvait paraître une folie tout simplement. Comment trouver une pièce sans débourser des milliers d’euros, comment motiver un auteur dans une telle démarche, comment réaliser une telle rencontre dans la bonne humeur ?
La première chose à signaler c’est que tout cela a pu avoir lieu d’abord grâce à une personne, une femme qui travaille depuis longtemps chez Casterman, Marie-Thérèse Vierra, qui a tout de suite compris que ce projet n’était pas un gag et qu’il fallait l’aider. Rapidement, elle a proposé un nom d’auteur mais qui s’est révélé ne pas pouvoir fonctionner car il arrivait trop tard à Angoulême, puis un autre nom qui fut le bon car l’auteur était bien là et qu’il acceptait de jouer le jeu. C’est donc avec Philippe Jarbinet que la rencontre aurait lieu, sur le stand de Casterman, le vendredi matin. On peut noter ici, dès maintenant, la grande aide des éditions Casterman car recevoir d’un seul coup un auteur, quelques journalistes, dix collégiens, leurs éducateurs accompagnateurs et trois étudiants qui filment le tout, ce n’était pas rien !
Mais revenons en arrière… Dès que nous avons su le nom de l’auteur que nous allions rencontrer nous sommes allés dans la classe pour présenter son travail sur la seconde guerre mondiale car c’est bien de cela qu’il s’agit dans cette série Airborne 44. J’avais préparé une série de diapositive pour faire découvrir le contexte de la série, les évènements historiques support de l’histoire, les personnages. Dès le départ, les jeunes ont adhéré et ont plongé dans cette histoire, plus exactement dans les deux récits, car il y en a un dans les Ardennes, un en Normandie. Certains jeunes n’ont pas hésité à lire un des albums ce qui n’était pas gagné à l’origine car il ne s’agit quand même pas de livres faciles et accessibles à tous. On était donc partis sur de bonnes bases.
Dès le premier jour du festival, je suis allé voir Philippe Jarbinet pour évoquer avec lui la séquence à venir avec la classe. Ce fut le second soulagement car je suis tombé sur un auteur qui se réjouissait par avance de ce temps fort avec les jeunes. Il avait envie de transmettre, d’expliquer son métier, de parler du dessin, des histoires, des personnages, du fond historique et le fait que ces jeunes soient ou pas en difficulté n’était pour lui qu’une source de motivation supplémentaire pour être avec eux. Je pouvais donc attendre sereinement la suite des évènements…
Puis ce fut paradisiaque, enfin pour la classe et ceux qui l’accompagnaient. En effet, Philippe leur a tout d’abord expliqué ce qu’était une bande dessinée, comment il travaillait, il a même fait une démonstration en montrant la technique pour dessiner un cheval, un personnage, un décor… Il a parlé de sa série, des recherches historiques et à concrétiser cela avec des membres d’une association qui l’accompagnaient durant le festival et qui étaient habillés comme les soldats américains de la série, c’est à dire avec des costumes datant du débarquement en Normandie des forces américaines et alliées.
Je crois que cette rencontre fut un temps fort, peut-être pas le seul car finalement ces jeunes ont pu comprendre que d’un seul coup ils étaient bien comme les autres, dans l’insertion complète au cœur d’un festival international, que ce soit dans le pavillon de Taïwan avec des auteurs chinois, avec Philippe Jarbinet ou lors d’un concert bédé au théâtre d’Angoulême. J’espère donc que ce sera pour eux un souvenir dans le temps qui les confortera dans l’idée que chacun peut vivre pleinement de tels évènements qui sont ouverts à tous car la bande dessinée est faite pour tous !
Merci aux auteurs et éditeurs qui travaillent dans cet esprit et merci du fond du cœur à Philippe Jarbinet et Marie-Thérèse Vierra qui ont permis une telle rencontre, un tel événement, un tel moment de bonheur !
Occasion aussi de remercier ceux qui ont participé au financement d’un tel déplacement qu’ils soient institutionnels ou privés, rien sans vous n’aurait pu se faire…