Et nous voilà donc pour une dernière journée à Angoulême. Deux états d’esprit nous assaillent. Il faut d’une part en profiter au maximum, car c’est bien la fin de cette grande fête qui approche à grands pas… Et, aussi, une grande fatigue qui commence à nous assaillir et la ferme intention de tenir le coup jusqu’à la fin…
Nous commençons par une rencontre mémorable car elle touche à la mémoire même de ce grand festival. Francis Groux, un des cofondateurs du festival international de la bande dessinée d’Angoulême accepte de nous rencontrer dans la salle de presse… Nous le retrouvons là avec deux étudiants. Nous comptons sur cette rencontre pour connaître mieux les dessous de la création de cette manifestation, pour tourner quelques images qui feront du lien et donneront du sens à notre reportage final, enfin nous espérons faire un beau voyage dans le passé…
Francis Groux qui vient de signer un livre de souvenirs, Au coin de ma mémoire, est souriant et, disons-le, fier de parler de cette histoire, de son histoire, à des jeunes étudiants. Il est impossible à arrêter, intarissable, inépuisable… Une question et il parle vingt minutes, un mot et il enchaîne de nouveau pour un quart d’heure. Le seul inconvénient, du moins à mes yeux, vient de la salle de presse elle-même dans laquelle est diffusée une musique qui gêne parfois, qui nuit à la qualité de l’enregistrement…
Trente-neuf ans d’histoire de la bande dessinée, du festival et d’Angoulême en moins d’une heure c’est ce que nous avons vécu ce matin et nous en garderons, de toute façon, un excellent souvenir.
En revenant sous la bulle des éditeurs, j’apprends la mauvaise nouvelle du jour. En effet, la Belgique devant connaître en fin de journée un blocage total de ses chemins de fer, la SNCF organise un TGV spécial pour ramener chez eux un grand nombre d’auteurs belges. Ainsi, certains noms de mon carnet de rendez-vous disparaissent : Olivier Grenson, Kas, Clarke pour ne pas les nommer ! C’est un coup dur pour nous qui attendions avec une certaine impatience et joie ces trois auteurs. Leurs derniers livres étaient de grande qualité et ce sera donc pour une prochaine fois. Heureusement certains rendez-vous se mettent en place pour remplacer ou sont bien confirmés. Mais tout commencera après le repas.
Ce sera donc un petit casse-croute dévoré dans la salle de presse où une dégustation à lieu d’un cocktail à base de cognac et limonade mais j’avoue, je n’ai pas gouté pour rester bien frais pour les entretiens de l’après-midi et, surtout, la conduite du retour, six heures de voiture !
La première rencontre de cet après-midi final, est consacrée à Pierre Wachs aux éditions Casterman. Il est là pour présenter son dernier album « Libre de choisir » consacré à la conquête pour les femmes du droit à l’avortement. Mais en fait, plus qu’un livre militant, c’est le destin d’une jeune femme dans les années soixante-dix qui cherche à devenir adulte, libre et responsable. Elle va croiser sur son chemin un homme pas très respectueux des autres, d’elle en particulier, de son corps pour être précis puisqu’il va la violer… Pierre Wachs est le dessinateur de cet album scénarisé par Philippe Richelle. Pierre a été l’un des dessinateurs des séries Triangle secret, INRI, Secrets bancaires… Avec Philippe Richelle il a aussi réalisé le très bon et beau diptyque « Vent printanier ». Belle interview, classique d’une certaine façon pour un dessinateur qui fait de ce classicisme un gage de garantie graphique.
Puis les choses vont s’accélérer avec plusieurs rencontres aux éditions du Lombard où nous allons finir le festival. Ce sera tout d’abord Maximilien Le Roy. J’ai lu son dernier album « Dans la nuit la Liberté nous écoute ». Pourtant tout a failli mal se passer. En effet, quand j’arrive sur le stand, on me dit que cela ne va pas être possible d’interviewer Maximilien. Pourtant il est là, libre et disponible. Mais alors pourquoi ? Tout simplement parce que je suis chrétien et qu’il n’a pas envie de passer sur un média chrétien. Il faut dire que je suis connu pour travailler sur des radios chrétiennes aussi. Heureusement, l’homme n’est pas bloqué et sot et nous arrivons à nous mettre d’accord pour un entretien qui ne sera pas diffusé sur des médias chrétiens. En fait, avec un peu de recul, je pense qu’il a dû avoir un jour, lors d’un entretien avec un journaliste chrétien, quelques mots. De plus, il a lu la charte des radios chrétiennes de France et il n’a aucune envie de laisser récupérer et utiliser par une église dont il ne partage aucune valeur… mais, heureusement, nous voilà autour d’un micro avec une seule envie : parler de cet album qui raconte une très belle histoire, celle d’un homme que le destin a poussé en Indochine, qui va découvrir le véritable visage de la colonisation et de la guerre d’indépendance et qui ne pourra pas rester dans cette armée, dans ce camp français. Il va donc rejoindre le camp de la rébellion, de l’armée de libération, sans jamais porter les armes contre la France car il ne veut pas trahir. Juste un homme qui ne veut pas renier les valeurs de la France, celles qui ont animé la résistance française… cet homme a réellement existé et ce « roman graphique » de Maximilien est aussi un travail de mémoire. C’est de toute beauté et je crois qu’il faut le lire pour comprendre aussi une époque, une tranche de vie française…
Très bel entretien qui se termine dans la bonne humeur et qui permet d’oublier ce qui n’a été finalement qu’un risque de malentendu…
L’auteur suivant ne sera pas le plus inconnu du festival car c’est avec Gregor Rosinski que nous nous retrouvons. Il est d’une parfaite humeur, souriant et détendu ce qui va me donner l’occasion de réaliser ma meilleure interview avec lui. Nous en sommes je crois à la quatrième rencontre ou cinquième, mais jamais les conditions n’ont été aussi bonnes. Certes, pour ce qui est du son ce n’est pas toujours parfait car son accent polonais reste fort et certains mots sont difficilement compréhensibles… Mais quel plaisir d’être avec un tel auteur et d’évoquer ainsi ce Thorgal qui continue de m’enchanter. Je relis certains albums avec plaisir comme « Les archers » qui je crois restera pour moi un chef d’œuvre !
Enfin, pour terminer, c’est la Résistance qui se retrouve évoquée dans un dernier entretien avec Claude Plumail et Jean-Christophe Derrien. C’est toujours un plaisir quand nous sommes en compagnie du scénariste et du dessinateur car cela donne l’éclairage complet sur une bande dessinée. Nous allons donc en profiter sans aucun scrupule.
Jean-Christophe Derrien explique bien comment il a construit son histoire, comment il a tenu compte des remarques qui lui ont été faites par Xavier Aumage, archiviste au Musée de la résistance nationale à Champigny-sur-Marne. Ainsi nous avons une bonne histoire avec trois personnages, Louis, Sonia et André. Nous sommes au début de l’occupation de la France par l’Allemagne nazie. Nous allons traverser ces années sombres et bouleversantes avec des craintes fortes pour nos trois jeunes car on se doute assez vite que tout ne finira pas bien…
Claude Plumail nous explique avec beaucoup de précision comment il a travaillé, dessiné, trouvé les détails précis pour arriver à une narration graphique presque parfaite et un dessin crédible qui ne peut que réjouir les amateurs de bandes dessinées historiques… et j’en fais partie !
Voilà, un récit qui prend fin. Cet Angoulême fut très positif, mes étudiants furent très agréables à vivre, très professionnels dans leur travail, très ouverts aux différents genres de bandes dessinées et d’auteurs que nous avons croisés. Je pense que nous repartons d’ici avec une grande satisfaction, des souvenirs plein la tête et que chacun y a trouvé de quoi remplir sa bibliothèque, sa liste de livres à lire, d’auteurs à ne plus rater…