L’Ecole Nationale Supérieure des Arts et Techniques du Théâtre de Lyon, l’ENSATT, présentait cette semaine les « soli » de ses acteurs de la promotion en troisième année. Cette école qui forme aussi bien les acteurs que tous les professionnels qui travaillent avec eux pour offrir au public le spectacle complet se déroule en trois ans et chaque action permet à une équipe de créer. Comme il y a dans la promotion en dernière année onze acteurs, les soli ont été répartis en deux groupes, un de cinq et un de six. J’ai eu la chance de pouvoir assister à la restitution du groupe de cinq… Chaque acteur a construit son solo sur une durée de 30 minutes et a choisi les techniciens qu’il voulait… Chaque solo, est un spectacle à part entière, un travail d’équipe, un instant magique pour un petit public qui se délecte…
Il y eut, tout d’abord, Léa Girardet dans le rôle de Charlotte Corday. Certains lui ont reproché de sur-jouer, du faire du Léa plus que du Charlotte Corday. Sans vouloir remettre en cause les compétences de ces critiques, je dois avouer qu’ils commettent une erreur fondamentale. Retournons dans le contexte de cette histoire… la Révolution, les clameurs dans les rues de Paris, de Caen, aussi, puisque Charlotte était normande, les têtes qui tombent tous les jours, surtout quand Marat donnait leur nom dans son journal, L’ami du peuple.
Oui, chaque fois que l’on prenait la parole, c’est sa vie qui se jouait… du coup, je crois que Léa nous a fait rentrer de plein fouet dans ce délire collectif. Les textes choisis de Peter Weiss, Julie Rosselo-Rochet, Georg Büchner, Charlotte Corday et Heiner Müller lui ont permis de construire le portrait d’une femme étonnante, pleine d’énergie, de partis pris et d’absolu… et Léa incarne parfaitement ce personnage qui monta à l’échafaud le 17 juillet 1793. Un premier solo d’une grande qualité !
Mathilde Martinage a, elle, utilisé un texte de Serge Valleti un auteur de Marseille né au début des année cinquante. Pour Bobby n’est pas un texte léger comme on pourrait le croire au départ et si le public s’est surpris à rire c’est probablement pour éviter de trop pleurer sur une société qui nous déshumanise… Une belle actrice qui emporté tout le public dans son histoire… Une belle performance !
Le troisième solo est celui dans lequel je suis le moins entré. Cela peut paraître difficile pour Nelly Pulicani qui jouait plutôt bien, avec une très grande énergie bien maîtrisée. Non, elle n’y est pour rien, c’est simplement que je n’ai pas adhéré au texte, au thème, au sujet. « Mémento occitan » pour un homme comme moi du quart nord-est de la France qui revendique son appartenance à une autre culture, c’était trop éloigné de mes convictions, même si je respecte totalement cette culture lointaine… Le texte d’André Benedetto, créateur du festival off d’Avignon, a permis à Nelly d’offrir une déclaration militante car comment imaginer que cette jeune actrice talentueuse ne cherchait pas à convaincre de la réalité occitane ?
Quatrième solo, celui d’Alexis Barbosa et grand coup de cœur ! Un excellent moment grâce à une interprétation de qualité d’un texte de Samuel Becket pas très connu, Premier amour. Les extraits choisis comme la mise en scène, comme le jeu de l’acteur, tout était réuni pour que Becket sente, là où il est aujourd’hui, une larme d’émotion couler le long de son visage. Ce n’est pourtant pas la première fois que cette nouvelle est jouée sur la scène. Alexis Barbosa a été précédé par Jean-Quentin Châtelain, Michael Lonsdale ou Sami Frey, mais Samuel Becket a du être touché par la fraîcheur de l’interprétation… En quelques minutes, on oubliait l’exercice imposé du solo, pour ne plus qu’accompagner cet homme dans son histoire d’amour, de premier amour…
Enfin, Pierre-Yves Poudou nous entraînait dans une rencontre avec un Œdipe merveilleux, dramatique et créatif. C’est certainement le plus expérimental des soli de cette soirée, celui ou la performance de l’acteur était la moins attendue et convenue, celle où le public devait accepter que le théâtre d’antan était bien mort et qu’aujourd’hui un acteur devait savoir bouger et parler, incarner et jouer – mais ça on le savait déjà depuis longtemps – mais qu’il devait savoir aussi danser – c’est bien une véritable chorégraphie contemporaine qu’il nous a offerte à des moments féeriques – et dessiner puisque qu’il réalise en cours de solo une sorte de fresque… sans oublier la qualité du son, des odeurs, des lumières… Le plus complet des soli !
Oui, Œdipe était bien avec nous hier soir ! La qualité de ce spectacle a aussi prouvé, une fois de plus, que ces grand mythes de l’humanité sont encore d’actualité. Pas une ride sur ces grandes figures qui nous font plonger, nous immergent dans ce que nous avons de plus grand, de plus digne, de plus horrible : notre humanité !
Une telle soirée ne serait pas possible sans tous les techniciens qui ont créé avec les acteurs : scénographes, régisseurs lumières, costumiers, créateurs des sons… c’est tout un ensemble d’artistes qui nous a fait passer une excellente soirée qui laisse présager que cette soixante et onzième promotion de l’ENSATT sera bien à la hauteur des précédentes !
Show must go on et bravo à tous !!!