Pages en partage 2018 s’est terminé hier soir à Chalon-sur-Saône, au théâtre Piccolo. Cet évènement littéraire organisé par la bibliothèque municipale de la ville et la librairie Mandragore a permis une fois de plus une belle rencontre entre une romancière et un groupe de lectrices, plus largement entre une jeune autrice et ses lecteurs…
Il faut bien avouer que Cécile Coulon est une femme de caractère. Elle va là où elle veut quand elle veut et ne semble pas trop de soucier du quand dira-t-on… Elle est présente dans la version livre papier depuis ses 16 ans mais elle aussi sur Facebook et très bientôt elle sera même en librairie pour de la poésie… On peut même ajouter qu’elle souhaiterait réconcilier le sport et la littérature, les fringues et la littérature, la nature et la ville, la vie et la mort… D’ailleurs, comme elle le dit bien, rien n’est grave !J’étais donc bien curieux de suivre le déroulement de la rencontre car une telle autrice pourrait bien être déstabilisante pour un public calfeutré de bibliothèque… Regardez, le voilà qui met même ses pieds sur la table, qui menace de s’allonger par terre pour répondre à une question géante ou de prendre trois heures pour philosopher sur la vie, la mort, le sport… N’en ferait-elle qu’à sa tête ? Allez savoir…
Une fois encore il est difficile de prétendre faire le tour complet d’une telle soirée, mais j’espère que les participants s’y retrouveront et que les lecteurs qui n’ont pu être avec nous hier soir seront curieux d’aller voir du côté des romans de Cécile Coulon…
On vous présente comme une romancière emblématique de la génération Z ?
La génération Zorro !
Elle n’en dit pas plus sur le sujet mais souvent cette génération est dite utopiste, peu docile et se donnant droit à l’erreur… Rien n’est grave, quoi !
Votre écriture est jubilatoire, intense comme une course à pied… Un lien entre courir et écrire ?
Je ne peux pas écrire si je ne suis pas en position d’écriture. C’est après avoir couru que je suis dans les meilleures dispositions pour écrire. J’ai besoin de la course. Ce n’est pas un sport, c’est un geste quotidien et naturel. C’est mon dopant naturel pour écrire…
L’écriture est-elle un rite initiatique ?
Non, c’est la vie qui est initiatique. L’écriture, les histoires permettent d’exorciser. Ce n’est pas chez moi autobiographique mais, comme le dit la romancière Marie-Hélène Lafon, écrire c’est mettre un nuage de fumée entre la vie de l’auteur et l’imagination du lecteur. Chez moi, le nuage est assez épais. Pour moi, le romancier se crée une position pour exorciser… mais très vite je laisse l’imagination prendre le dessus…Chez vous les lieux ont beaucoup d’importance… Pourquoi avoir pris l’Amérique pour le roman Méfiez-vous des enfants sages ?
J’ai écrit finalement très jeune. Or, souvent, le jeune romancier est regardé avec des yeux particuliers. On va le traiter très vite de nouveau Rimbaud, de nouvelle Françoise Sagan, et on va lire son ouvrage comme s’il s’agissait d’une autobiographie… Je n’avais pas envie de plonger dans des fictions trop marquées par ma vie et je ne voulais pas être seulement l’autrice d’un roman… Je voulais construire un édifice, exister au-delà d’un livre… Pour cela, il m’a semblé qu’il fallait délocaliser mon histoire, aller dans une autre époque, un autre territoire…
Cela ne signifie pas que je ne puisse pas connaitre certains lieux ou époques. Par exemple, pour Trois saisons d’orage, je parle d’un village de la Drome que je connais très bien…Les références musicales sont très nombreuses dans vos romans. Quelle place la musique tient-elle dans votre vie ?
Il faut savoir que j’écris toujours en musique. Je pense même que je ne peux pas écrire dans le silence… Je crois que l’état de l’auteur change profondément en fonction des musiques, que l’écriture change même si elle ne suit pas strictement la musique. Pour Le cœur de pélican, j’ai écouté de la chanson française acoustique tandis que pour Trois saisons d’orage, j’ai préféré la bande son du film Barry Lyndon, la musique Sarabande de Georg Friedrich Haendel… Mais j’écoute toutes sortes de musiques !
On s’est interrogé sur la place de l’humour dans vos romans ?
Mes romans ne sont pas si drôles que cela quand même. D’ailleurs, c’est très difficile d’écrire un livre drôle et je n’ai pas les outils pour cela. Chez moi, je ne pense pas que l’humour soit si visible que cela. En fait, j’ai un humour noir, cruel, cynique… Quand j’ai de l’humour, je dirais que c’est un humour dégoutant presque…
Par contre, sur ma page Facebook, je peux essayer de faire rire tous les jours avec un petit mot, une historiette… mais c’est autre chose !
Avec vos personnages, on sent parfois des problèmes de milieu. Sont-ils enfermés dans leur milieu, sont-ils libres ?
Je me pose souvent la question de la liberté de l’être humain par rapport à son milieu social, professionnel, territorial… Se sentir libre au stade ultime c’est se sentir bien dans son milieu, ne pas avoir un besoin vital d’en sortir mais pouvoir en sortir y revenir. Je suis bien là où je suis, je n’ai pas envie de fuir ma réalité mais je suis au contact de ce qui se passe ailleurs… La liberté, c’est aller de l’un à l’autre sans quitter les siens !
Etre libre, c’est composer avec tous les petits pays que nous portons en nous… La famille, le métier, les passions… Tout cela forme un continent, chacun a le sien et il faut vivre avec… Etre libre c’est accepter cela et se dire toujours que rien n’est grave ! Certes, les évènements peuvent être graves, blessants, douloureux, déchirants, angoissants mais… rien n’est grave ! Je fais ce que je peux !
D’ailleurs, sur ce thème, il faut lire la poésie de Thomas Vinau, Bleu de travail…
Vos personnages sont toujours en lien, d’une certaine façon avec leur famille. Pour cette omniprésence de la famille dans vos romans ?
Plus que la famille en tant que telle, je crois qu’il y a dans mes romans un rapport perpétuel aux rapports entre parents et enfants. Les parents semblent absents mais quand on regarde bien : ils veulent d’abord bien faire, ils sont alors trop présents et quand ils constatent qu’ils n’ont pas pu arriver à ce qu’ils croyaient leur mission, ils capitulent… C’est un peu comme si les parents étaient dans un pays, les enfants dans un autre…
J’ai toujours été habitée par des questions sur la famille. Peut-on exister en dehors de sa famille ? Faut-il vivre avec sa famille imposée, celle que l’on subit, ou s’en construire une propre, celle que l’on choisit… Je n’ai pas d’enfant mais je me pose beaucoup de questions sur la parentalité…
Les parents qui veulent faire de leurs enfants une œuvre se trompent, c’est du moins mon avis ! On voit cela en sport, en art, dans l’industrie…
Dans vos thèmes de prédilection, il semblerait que la mort soit bien là. Que représente la mort pour vous ?
En fait, la mort ne m’inquiète pas du tout mais je suis très gênée que l’on ne puisse pas en parler tout simplement… La mort c’est comme gagner au loto mais elle arrive plus souvent que les gains. C’est un moment naturel, cela fait partie de l’existence…
Je crois que la mort ne fait pas peur en soi, c’est la disparition, que l’on craint, l’absence et donc la solitude…
La mort devrait nous faire grandir et pas souffrir… Ce que nous avons vécu avec la personne qui meurt, ce qui était beau, tout cela reste dans nos yeux, dans notre mémoire, dans nos cœurs… C’est toujours vivant !
La mort est dans mes romans car elle trop absente de nos vies. J’ai envie de dire que mort et sexe sont les deux sujets les plus difficiles à aborder à l’apéritif avec des amis… La mort encore plus que le sexe d’ailleurs…
Bien sûr, Cécile Coulon a aussi parlé de sport, de la nature mais c’est avec une question d’une lectrice dans la salle que la soirée a pris fin… du moins pour la rencontre publique. Vous souvenez-vous de la première fois que vous avez écrit autre chose qu’une rédaction scolaire ?
En CM2, si je me souviens bien, j’ai écrit un poème sur une feuille de papier. Après je l’ai tapé à l’ordinateur, j’ai voulu soigner la mise en page, mettre un fond… Le texte n’était pas extraordinaire mais je me souviens, c’était la première fois…
Plus tard, quand j’étais en cinquième, j’écrivais des petites nouvelles pour mes amis…
Enfin, quand j’étais en seconde, lycéenne plutôt pénible pour les enseignants, j’écrivais durant les cours… Un jour, mon enseignante de français m’a demandé ce que je faisais durant les cours… J’ai été obligé de lui montrer ce que j’écrivais… Non seulement elle a lu, mais elle m’a rendu le texte corrigé. Chaque semaine par la suite je lui donnais l’équivalent d’un chapitre qu’elle me rendait corrigé…
Ce fut un certain choc. Un adulte s’intéressait à ce que j’écrivais, me lisait, me corrigeait… Finalement, c’est devenu mon premier roman…
Voilà, une belle soirée en compagnie de Cécile Coulon, une dernière par cette édition 2018 de Pages en partage, et il ne vous reste plus qu’à lire et on n’est pas obligé d’attendre l’été, même si comme chacun le sait bien ici que l’été c’est fait pour lire !