Souvent, les premières galettes des rois arrivent en vitrine de boulangerie à partir du 20 décembre… et, pourtant, on est encore loin de l’Épiphanie, cette fête qui donne lieu au fameux tirage des Rois dans les familles. Aujourd’hui, je serais tenté de dire que cette fête s’est transformée en fête de la frangipane tant le côté religieux semble avoir disparu… Religieux, mais catholique ou pas… Il est bien temps de se pencher sur la question car tout n’est pas très clair…
Quand j’étais petit, reprenons bien aux origines, il s’agissait de l’arrivée des Rois mages dans la crèche. De Noël à l’Épiphanie, pas de roi mage dans la crèche. Puis, le matin de l’Épiphanie, l’Étoile de Bethléem avait bien dû briller car ils étaient là, Balthazar, Melchior et Gaspard. D’ailleurs, on me disait même qu’ils représentaient à eux trois les continents : Melchior pour l’Europe, Gaspard pour l’Asie et Balthazar pour l’Afrique. Tant pis pour les Amérindiens et les autochtones d’Océanie, ils n’avaient pas été invités à la fête…
Cette tradition des Rois mages remonte assez loin dans l’histoire car dans certaines catacombes, on en trouve peints sur les murs… Mais si on remontait encore plus loin ?
Quand on cherche, on trouve, au moins partiellement. On trouve chez les antiques Grecs et Romains des fêtes très particulières en l’honneur de Dionysos pour les uns, Saturne pour les autres. A chaque fois, il s’agissait de se réjouir du retour des beaux jours après le solstice d’hiver. Ces fêtes étaient bien souvent excessives, arrosées et même sexuelles. Chez les Romains, lors des Saturnales qui se déroulaient à cheval sur décembre et janvier, on tirait au sort un esclave qui était nommé roi d’un jour… Parfois c’était une élection, parfois une fève dans un gâteau qui désignait arbitrairement ce roi du jour…
On a beaucoup jasé sur le devenir du roi d’un jour. Il pouvait exaucer des vœux dans la journée, pour lui ou d’autres, mais que devenait-il à la fin de la journée ? Certains disent qu’il était mis à mort, et cela arrivait quelques fois. Mais dans la majorité des cas, il était tout simplement renvoyé à son sort, certains diraient à son triste sort…
Revenons au tirage au sort ! Vous ne serez pas surpris d’apprendre que parfois le plus jeune allait sous la table pour désigner de façon assez arbitraire et neutre la part de galette que chacun allait recevoir. Comme quoi nos traditions remontent toujours très loin même si elles ont été christianisées à un moment car il n’est plus question de tuer notre roi à la fin de la journée, bien sûr !
Cette tradition de tirer les rois est restée et on a fait le lien avec ces rois mages qui venaient adorer Jésus dans sa crèche… Quelques anecdotes sont restées dans notre histoire même s’il est très difficile de leur donner du crédit… On dit, par exemple, que François 1er dont la légitimité n’était pas établie avec solidité, s’était fâché très sévèrement contre un jeune prince de la cour qui avait eu la fève et s’était proclamé roi. Il en fut pour ses frais car le jeune roi et quelques amis avaient ravagé une partie de son domicile… Lèse-majesté en quelque sorte !On dit aussi que Louis XV avait tiré les rois avec ses petits-enfants et que la fève s’était fractionnée en trois parties dont les futurs Louis XVI, Louis XVIII et Charles X avaient chacun récupéré un bout. Ils se proclamèrent tous trois rois dans l’euphorie de la jeunesse tandis que le sage Louis XV y voyait là un signe de drame… Effectivement, les trois jeunes hommes allaient devenir chacun à leur tour roi… mais rien ne dit que cette histoire comporte la moindre parcelle de vérité !
Pendant la période de la Révolution Française, il était bien délicat de parler de galette des rois, on eut donc la galette du bon voisinage… mais la tradition perdura et arriva ainsi jusqu’à nous !
Quant à la frangipane, il est assez délicat d’avoir une version fiable, là encore, mais j’aime à penser qu’elle arriva en France avec une certaine reine, Catherine de Médicis. Au moins, cette reine noire laissa à la France une recette délicieuse car vous l’aurez bien compris, j’aime la frangipane.
La tradition est donc bien en place même si certains Réformés et Catholiques n’apprécient pas trop cette coutume venue du monde païen, même si certains Républicains se lassent d’entendre toujours parler de Roi…
Mais, justement, cela nous a considérablement éloignés de la fête de l’Épiphanie et de son sens religieux…
En fait, l’Épiphanie est une très grande fête, certains théologiens chrétiens seraient même tentés d’affirmer une des plus grandes fêtes de la vie chrétienne. Avant cette « révélation » – Épiphanie signifie paraitre dans sa gloire – Jésus n’est que le fils de Marie et de Joseph. A partir du moment où des mages représentant la population du monde et même sa partie la plus cultivée et savante, Jésus devient le Messie, celui qui est là pour l’humanité entière et non pas simplement pour un peuple donné. Jésus n’appartient plus à ses parents, à son clan et ou son peuple, il est le fils de Dieu envoyé pour tous !
Les chrétiens d’Orient ont très rapidement compris que cette fête devait dépasser le simple folklore, elle porte un symbole fort et absolu. Cette fête est le début du ministère public de Jésus même s’il est encore enfant et dépendant de ses parents. Les Orthodoxes fêtent là quasiment toute la jeunesse de Jésus qui fait sens : présentation, visite aux prêtres du Temple, Baptême… avec cette fête Jésus est prêt à nous parler, à nous montrer le chemin qui mène au Père, à nous sauver…
Pour les Catholiques, l’Épiphanie est fixée au 6 janvier ou au dimanche entre le 2 et le 8 janvier. Trois phases de la vie de Jésus sont évoquées, ce qui nous rapproche considérablement des Orthodoxes : l’adoration des mages, le baptême de jésus, les noces de Cana même si ce sont bien les mages qui retiennent l’attention et la curiosité…
Pour redonner du sens et de la force à l’Épiphanie, l’Église catholique a créé une fête spécifique, le dimanche suivant, centrée sur le baptême du Christ. Mais reconnaissons bien que l’Épiphanie est installée dans le cœur des occidentaux, que les galettes font leur petit effet, et que cela semble assez raisonnable d’évoquer le sens de cette fête avec une vision générale. Quelques jours plus tard, une grande partie des chrétiens par intermittence et non pratiquants auront oublié tout cela et seront dans l’attente de Pâques et de ses chocolats…
Donc, si on veut garder un peu de sens à tout cela disons que l’Épiphanie est la grande fête qui révèle Jésus et sa mission à tous les hommes, à tous les peuples, à toutes les cultures… C’est une grande fête qui va bien au-delà de l’arrivée de trois personnages mystérieux qui offrent à Jésus et sa famille les richesses de l’époque : or, encens, myrrhe…
Il y a là, beaucoup de symbolique, dont la première est de faire venir dans la crèche après les bergers – symbolisant le peuple du bas – les mages – le peuple du haut. Tout le monde est donc bien venu adorer Jésus, il est reconnu par tous et nous sommes donc invités, nous aussi, à venir adorer Jésus dans son dénuement et sa simplicité.
Voilà le sens profond de cette fête et si elle est l’occasion d’une bonne galette en famille, profitez-en car la convivialité et l’affection familiale ne sont pas un frein à l’adoration de Jésus sauveur du monde !
On sent dans le sens théologique de cette fête un aspect proche de la Pentecôte… On pourrait dire que l’Épiphanie est une pré-Pentecôte !
Mais, croyants ou pas, chrétiens ou pas, je vous souhaite à tous une bonne galette !!!