C’est fait !Oui, j’ai bien été visité la grande exposition Hergé au Grand Palais à Paris. Il est donc maintenant temps d’en parler sur le fond et la forme, et il y a beaucoup à dire, du moins à mon avis…
Précisons, pour commencer, que je ne pense pas être tintinophobe ou tintinophile. En effet, si j’ai lu les Aventures de Tintin depuis longtemps, si je les ai relues plus d’une fois, si j’ai accompagné le jeune reporter à la houppette au bout du monde en réussissant à revenir à Moulinsart, euh qu’est-ce que je raconte, à la maison sans encombre… j’avoue ne pas avoir trouvé trop de jubilation de lecture. Certes, certains albums sont pour moi des chefs d’œuvre dans le genre comme Les bijoux de la Castafiore tandis que d’autres m’ont laissé indifférent comme L’oreille cassée… Une affaire de goûts, probablement !Par contre, je confesse bien simplement être de la race des tintinologues, ceux qui tentent de comprendre les finesses, les richesses, qui traquent chaque petit détail qui donne l’éclairage sur la narration graphique d’Hergé et de ses collaborateurs… Hergé a pour moi posé les jalons de la bande dessinée moderne même si depuis tout a encore évolué, grandi, muri… On doit à cet auteur la renommée de la bédé franco-belge, c’est pour moi un fait !
Mais ce n’est pas parce que l’on étudie, scrute minutieusement les albums planche par planche que l’on perd la notion de plaisir. Si Hergé a pu déclarer en 1975 « Tintin m’a rendu heureux », je peux aussi dire que les aventures de Tintin ont participé à mon bonheur de bédéphile entre autres avec des albums comme Le crabe aux pinces d’or, Le sceptre d’Ottokar, L’affaire Tournesol ou Les bijoux de la Castafiore, autant d’albums que je prends plaisir à relire chaque fois que l’horizon s’obscurcit… Des brise-cafards en quelques sortes !
Mais revenons, maintenant, à cette exposition Hergé. J’ai bien dit Hergé et non Tintin et très rapidement on comprend bien que l’exposition souhaite mettre l’auteur en évidence, l’homme à l’honneur même si son personnage de tintin reste au cœur de tout, y compris des visiteurs de l’exposition.Hergé était à la fois un artiste, un peintre, un amateur d’art, un collectionneur, un auteur de bandes dessinées, un publiciste… mais il le dit lui-même, peindre ou raconter les histoires de tintin, il fallait choisir car il n’y avait pas la place pour les deux activités. Il pensait d’ailleurs qu’il peignait et dessinait mal, qu’il ne savait que raconter des « petites » histoires. Je le laisse responsable de ses propos mais du coup la peinture ne va rester chez lui qu’un passe-temps, qu’un hobby… C’est la bande dessinée qui va l’occuper le plus gros de sa vie ! En tous cas, l’exposition va aborder tous les aspects de son œuvre et c’est très bien comme cela.D’une façon générale, cette exposition est très intellectuelle, très universitaire, très élitiste. Je ne suis pas contre du tout mais j’avoue avoir pensé quelques fois aux enfants présents en me demandant s’ils ne s’ennuyaient pas trop : peu d’éléments directement accessibles pour les plus jeunes, pas d’interactivité, très peu d’animation, bref beaucoup pour papa et maman, peu pour l’enfant ! En même temps, je ne suis pas certain qu’Hergé appréciait trop les enfants… Le tout donne un aspect un trop classique, trop vieux, trop poussiéreux, trop musée, pas assez exposition !Du coup, j’ai adoré cette façon structurée de parler d’Hergé, de l’art, du récit en bédé, de la publicité, du lien entre récit et image, de l’influence de l’Orient, de la période de la guerre… Bref j’ai aimé faire ce travail intellectuel mais j’ai croisé des personnes qui se lassaient et s’usaient alors qu’elles auraient aimé quelque chose de plus tonique… Il en faut pour tous les goûts, reste à savoir quel public on visait…
Par contre, tous les visiteurs s’accordaient à reconnaitre la richesse des documents et pièces exposées. Aucun doute, il y avait une richesse inhabituelle qui permettait chacun de se lancer dans un grand voyage à la découverte d’Hergé. Tout cela était si fort, si puissant, qu’il me faut revenir sur quelques points particuliers…
Par exemple, la présence d’objet bien réels que l’on va retrouver dans les albums des aventures de Tintin. Il y a deux choses de nature différente. Il y a les objets d’art, de collection, historiques comme par exemple la statuette de l’Oreille cassée, mais cette fois celle qui date des années 1100-1450, reflet bien réel de la culture Chimú… Ou, dans un autre domaine, de nombreuses maquettes ont illustré le fait que l’auteur avait besoin de s’imaginer les choses de façon concrète avant de les dessiner : ainsi, quel plaisir de voir la maquette de la fusée lunaire…
Si Hergé avait besoin de voir les choses, il ne faut pas croire pour autant qu’il consacrait de trop longues périodes aux recherches historiques, géographiques, architecturales… Par exemple, quand il envoie Tintin en Ecosse (L’île noire), il ne connait pas le pays du tout. Quelques années plus tard, il décidera de moderniser un peu l’album, et en 1965 – un peu à la demande de l’Ecosse elle-même – il enverra son collaborateur Bob De Moor pour voir à quoi ressemblait le pays…
Un des moments jubilatoire de l’exposition, surtout pour les tintinologues comme moi et autres curieux de la BD, fut certainement l’exposition d’une planche à travers toutes ses étapes de création : on a le premier jet, sorte de brouillon plus ou moins découpé, un crayonné assez fait avec quelques détails déjà très élaborés, un encrage (encre de chine et gouache sur papier dessin), les bleus de coloriage, enfin, la planche telle que le lecteur la découvrira à la page 27 de L’affaire Tournesol… cette vitrine spéciale – comment nait une planche de bande dessinée ou genèse du récit en image selon Hergé – me permet d’affirmer qu’à elle seule elle justifierait presque la visite de l’exposition !
Mais comment oublier la leçon de cadrage d’Yves Robert – archives télévisuelles d’un grand intérêt – ou la salle consacrée à Hergé le publiciste, visage le plus caché et le moins connu du grand maitre de la bédé franco-belge ?
Enfin, j’ai apprécié les éléments donnés sur Hergé de l’occupation. En effet, souvent on résume Hergé à ses hésitations, ses silences, ses réserves… On a probablement raison mais j’ai quand même découvert un de ses personnages qui me laisse perplexe. Mr Bellum (publication à partir de 1939) est une sorte de résistant, certes très prudent et modéré, mais résistant quand même. Oui, il faut envisager une forme de résistance dans la discrétion, un combat sur papier, sans que cela règle toutes les interrogations sur Hergé…
Pour revenir au cœur de la bande dessinée, rappelons que les années de la guerre furent aussi celles de la couleur dans ses récits, ce qui n’est pas rien car ma génération a entièrement lu Les aventures de Tintin en couleurs…
Enfin, il y aura au moins un moment où j’ai vu les enfants sourire et profiter pleinement de l’exposition… C’est quand, au détour d’un couloir, on se retrouve face à face avec la 2 chevaux de Dupond et Dupont… Ils devaient aller trop vite car quand ils nous voient le coup de frein est très brutal…
Voilà, une grande exposition, très riche dans le fond, un peu faible dans sa scénographie et sa pédagogie, du moins pour le jeune public… Et ce n’est là que mon humble avis !
Deux petits détails encore… La quasi généralisation de la réservation de créneaux via Internet, même pour les jeunes avec gratuité, rend la visite fluide et évite les trop longues files d’attente, on ne peut que s’en réjouir. D’autre part, le catalogue de l’exposition est très agréable à lire, très bien documenté mais on peut regretter que la librairie de propose pas certaines études sur Hergé et Tintin publiées chez d’autres que Moulinsart… Un peu d’ouverture quand même, Tintin appartient à tous ses lecteurs… Non ?