J’avais boudé les deux éditions précédentes, trouvant qu’il y avait trop d’auteurs locaux présentant des livres qui n’avaient pas grand-chose à voir avec la littérature, trop de ceux qu’on appelle les « people », qui garnissent les rayons des librairies et des supermarchés en déballant leur vie qui ne m’intéresse absolument pas, trop de gens qui se prétendent écrivains parce qu’ils ont profité de l’actualité pour publier un texte dont la plus grande valeur ne réside souvent que dans un titre très accrocheur, trop peu de vrais auteurs, du moins ceux que je considère comme tels, ceux qui écrivent des livres que j’aime lire. Tout cela est très personnel, très partial, mais c’est ce qui motive nos choix et je fonctionne un peu comme tout le monde.
Cette année, l’affiche me semblait un peu plus alléchante et ce salon a pris une nouvelle dimension sur la scène littéraire nationale, j’ai donc décidé de tenter l’aventure d’une visite que je n’ai pas pu éluder quand l’ami Shelton a répondu favorablement à mon invitation. Donc, après avoir pris un repas fort convivial à la maison et avoir déjà longuement disserté sur nos lectures et bien d’autres sujets encore, nous avons pris le chemin des jardins de l’institution départementale où le salon est hébergé depuis sa création. Le soleil illuminait ce site bien sympathique sous le rempart médiéval, en bordure du Doubs. Arrivés sur place, nous nous sommes bien vite séparés, vous connaissez tous nos goûts assez divergents, donc Shelton s’est orienté directement vers le secteur réservé à la BD, alors que je préférais rencontrer des auteurs de romans que j’ai déjà lus ou que j’ai envie de découvrir. Albin Michel avait délégué un solide contingent d’auteurs qu’il édite car, depuis plus d’un an maintenant, il a racheté la librairie Chapitre de Besançon, j’ai donc commencé ma visite par ce stand où figurait Craig Davidson, Joseph Boyden, et bientôt d’autres encore. Comme je n’avais pas envie d’entamer une discussion par le truchement d’une interprète, j’ai boudé Boyden qui est pourtant sur mes listes depuis longtemps, je me contenterai donc d’un emprunt à la médiathèque locale.
Comme Oriane Jeancourt Galignani était disponible, je me suis présenté à elle en lui disant que j’avais lu ces deux livres, « Mourir est un art, comme tout le reste » à propos du suicide de Sylvia Plath et « L’audience » qui sort à l’occasion de cette rentrée littéraire, que je les avais bien aimés et que je les avais commentés. Elle m’a dit qu’elle connaissait CrtiquesLibres, qu’elle avait lu mes commentaires et qu’elle les avait bien appréciés, flatteuse, elle a même ajouté que j’avais une belle plus, je ne suis pas dupe mais ça fait plaisir tout de même. Nous avons bien sûr parlé de Sylvia Plath, de la distance qu’elle avait prise avec la biographie pour écrire son roman, de sa manière de raconter et d’écrire une histoire que j’apprécie particulièrement et pour terminer de ses projets car je suis curieux de voir ce qu’elle pourrait proposer en écrivant un fiction pure et non un texte inspiré d’un personnage ou d’un événement ayant réellement existé. Elle ne sait pas encore car elle n’a terminé son dernier livre qu’au printemps et qu’elle n’a pas encore remis un texte en chantier. Elle est toujours rédactrice en chef de la revue « Transfuge » et ne consacre donc pas tout son temps à l’écriture.
Après cette sympathique et cordiale rencontre, mon étape suivante a été consacrée à Romain Slocombe qui siégeait derrière Oriane Jeancourt Galignani, je l’ai abordé en lui disant que j’avais lu son livre, que je l’avais apprécié mais qu’il y avait une ambigüité entre la lettre annoncée et le texte publié. Je pense qu’il a dû répondre cent fois à cette question mais il est resté très aimable et m’a répondu en souriant que ce livre faisait suite la commande de la jeune éditrice qui avait lancé la collection ayant pour caractéristique de publier des livres sous forme de « lettre à… » et il a bien convenu que son texte n’était pas, dans sa forme, en totale adéquation avec le projet de l’éditrice. J’ai aussi évoqué avec lui l’écriture un peu datée qu’il a utilisée pour rédiger ce texte, il m’a confié qu’il avait choisi un personnage très cultivé comme rédacteur de cette lettre pour pouvoir lui donner un langage élaboré qu’il a glissé dans le français de l’époque qui n’est pas son écriture habituelle, il a fait l’effort d’essayer d’écrire comme à l’époque en se nourrissant de textes contemporains de son intrigue. Comme j’ai bien apprécié son écriture, je lui ai dit qu’il avait plutôt bien réussi cet exercice. J’aurais voulu prolonger cet entretien et lui acheter son dernier livre mais des clients intéressés par une dédicace attendaient derrière moi, j’ai donc écourté mon propos en disant que je reviendrais et évidemment, la visite étant longue, je ne l’ai pas fait… Il ne connait pas notre site, je lui ai dit qu’il y était en compétition cette année pour notre célèbre prix, il a noté consciencieusement notre adresse, promettant de nous rendre visite.
Thierry Beistingel, n’était pas à son poste, je suis passé plusieurs fois, peut-être n’était-il pas présent le samedi, les écrivains ne viennent en général qu’un jour ou deux sur les trois que dure le salon. J’étais un peu déçu parce que Feint me l’avait chaudement recommandé. J’ai donc poursuivi ma visite en me dirigeant vers le quartier réservé aux auteurs étrangers, c’état comme ça cette année, ils avaient un stand spécifique. Lyonel Trouilot était seul, je l’ai abordé en lui disant que j’avais lu son livre en compétition cette année pour notre célèbre prix, il ne savait pas, ne nous connaissait pas, il a noté. J’ai acheté son dernier livre et comme d‘autres lecteurs attendaient, j’ai laissé la place aux fans. Alaa El Aswany était à proximité, il partait pour une conférence à laquelle il participait, je lui ai glissé que j’avais beaucoup aimé son livre qui résumait bien la situation en Egypte juste avant les émeutes. Je lui ai aussi dit qu’il avait une belle place sur notre site, il était pressé, il m’a laissé sa carte de visite pour que je lui envoie l’adresse de son texte sur CL, ce que je ferai rapidement. Notre échange a été bref mais nous avons parlé comme deux vieilles connaissances qui se croisent sans avoir le temps de disserter.
Au bout du stand, il y avait un écrivain moldave, je crois que c’est la première fois qu’un livre traduit du moldave me tombe entre les mains, je l’ai feuilleté, l’auteur s’est approché pour nous proposer de répondre à nos questions. J’ai donc profité de sa disponibilité et de son amabilité pour nouer un petit dialogue car il ne parle pas parfaitement le français (mais il le possède suffisamment pour traduire Villon dans sa langue natale), assez cependant pour échanger quelques mots sur la littérature moldave. Comme je lui confiais que je n’avais jamais lu d’auteurs moldaves il m’a rétorqué qu’il n’était déjà pas très nombreux à habiter dans ce pays et que les écrivains n’y étaient effectivement pas très présents. Il n’en connait apparemment pas beaucoup mais, même si sa biographie dit qu’il habite à Chisinau, il a passé une bonne partie de sa vie en URSS, d’abord avec son père officier dans l’armée soviétique et puis comme journaliste, et la carte qu’il m’a laissée pour que je lui envoie mon commentaire indique qu’il réside à Montréal, donc il n’est peut-être pas très représentatif de la littérature moldave. J’en saurai plus après lecture de son livre.
Il commençait a se faire tard, j’aurais voulu évoquer avec Carole Martinez, les sources qu’elle avait consultées pour écrire son livre « Du domaine des murmures » qui se déroule au Moyen-âge dans la région de Besançon, car ayant moi-même étudié cette période, j’ai eu l’impression qu’elle avait fait des études un peu semblables aux miennes au moins pour cette partie ou alors elle a eu accès à des sources très précises car les personnages, les lieux, les faits qu’elle évoque, correspondent exactement à ce que j’ai trouvé dans les manuscrits et autres documents que j’ai consultés quand j’ai travaillé sur mon mémoire de maîtrise qui était consacré aux chroniques médiévales bisontines en langue française. Comme ce livre a eu un grand succès en Franche-Comté et que de plus elle présentait une BD dont elle a écrit le scénario, elle était absolument inabordable. Dommage, je suis sûr que nous avions des choses à échanger, peut-être une autre fois, ailleurs…
Il était temps de rejoindre Mrs Jone et Shelton qui étaient en grande conversation avec notre Pascal Marmet à nous, je suis resté à l’écart ne voulant rentrer dans une discussion déjà bien engagée avant que j’arrive. Le soleil déclinait sur l’horizon il était temps d’escalader la colline où, en 1668, Louis XIV avait installé ses canons pour soumettre notre bonne ville d’empire à la volonté du roi de France.
Une belle journée avec des amis de qualité, des auteurs passionnants et talentueux et j’ai hâte de retourner au « Mots Doubs » l’an prochain pour faire encore de belles rencontres… avec certains d’entre-vous peut-être !