Angoulême 2013 – Rencontre avec Hub

Nous avons eu le plaisir et la joie de rencontrer Hub. C’est l’auteur de la série en  bande dessinée Okko.
L’œuvre est toujours en cours de publication aux éditions Delcourt. Elle compte actuellement 8 volumes et en aura 10 à terme.

Hub en plain travail!

Inspiré par des pointures comme Kurosawa, Hub nous emmène dans un univers nommé Pajan, univers très largement inspiré par le Japon féodal. Il nous conte les aventures du rônin Okko et de sa troupe de chasseurs de primes. Leurs pérégrinations sont découpées en cycles. Un cycle est composé de 2 volumes et chaque diptyque est lié et identifié à un élément (le feu étant le dernier en date)…

Hub travaille également sur un autre projet, Aslak dont il est co-scénariste. Nous avons pu rencontrer le dessinateur d’Aslak, Emmanuel Michalak, dont nous reviendrons parler…

En bref, nous remercions les éditions Delcourt pour nous avoir permis de discuter avec Hub, ainsi que Hub lui-même pour sa disponibilité.

Camille

Rencontre avec Stephen Desberg (janvier 2011)

Stephen Desberg

Stephen Desberg

Stephen Desberg est un auteur belge de bédé qui a démarré sa carrière dans le Journal de Tintin, pas étonnant pour un des artistes de la bande dessinée franco-belge. Il était à Angoulême en janvier 2011 pour le lancement de la série Sherman série qu’il scénarise pour le dessinateur Griffo. La série restant d’actualité, nous avons décidé de vous présenter cet entretien pourtant déjà ancien…

COUV IRS 1Shelton : Quand on suit vos parutions, nombreuses au demeurant, on se demande comment le scénariste fait pour suivre toutes ses histoires sans se mélanger les crayons…

Stephen Desberg : En fait certaines histoires sont déjà écrites depuis longtemps et ce sont les dessinateurs qui terminent les albums au fur et à mesure. Sherman, par exemple, je l’ai écrit d’une traite. Les six albums à la suite. C’est tout un univers particulier et cela permet d’être concentré sur tous les aspects, tous les détails de la série. Pour les personnages et leurs caractères, cela permet de ne pas perdre le fil de ce que l’on veut raconter, de rester cohérent et crédible. Si je mélange les séries, Scorpion, IRS ou Sherman, il y a le risque de me perdre et d’égarer par là même le lecteur. J’essaie de plus en plus quand j’entame un projet de le terminer ou du moins d’aller assez loin pour ne pas avoir de soucis dans la suite de l’écriture. Mais pour un projet comme Sherman, il valait mieux écrire les six albums en une seule fois.

COUV IRS All watcherShelton : Quand on vu sortir en librairie la série IRS All watcher, on s’est demandé s’il s’agissait seulement d’une opération financière. Pourquoi avoir voulu décliner cette série IRS ?

Dessin de Vrancken

Dessin de Vrancken

Stephen Desberg : Dans IRS, la série principale, il y a des choses que je ne peux pas faire. Je ne peux pas mettre Larry sur le côté pour qu’il ne soit qu’un des personnages de la série parmi les autres. Donc tout part de mes envies et de ma passion pour le feuilleton à l’américaine. Dans IRS All watcher, je voulais faire une série limitée, qui raconte une histoire complète, avec toute une série de personnages que je voulais développer progressivement. Larry n’est qu’un de ces personnages, ce qui n’aurait pas été possible dans la série principale. Cela permet aussi de construire le scénario autrement, de faire dessiner les albums par des dessinateurs différents et j’espère que le plaisir que nous avons eu touchera aussi les lecteurs.

[La série IRS All watcher comporte sept albums différents, tous sortis, dessinés par quatre dessinateurs, Bourgne, Queireix, Mutti et Koller]

sherman1
Shelton : Venons-en maintenant à cette série Sherman. La première planche du premier album pourrait presque être la dernière planche d’une histoire, l’aboutissement d’un rêve : un homme que l’on ne connaît pas encore est sur le point de voir son fils devenir président des Etats-Unis…

sherman-t1-05Stephen Desberg : La première intention était de traverser la deuxième moitié du vingtième siècle avec un même personnage. Un personnage principal serait connu avant la guerre, puis on le verrait traverser la guerre et on le retrouverait après ce conflit. Cet objectif m’a amené à travailler sur les années trente qui me passionnent beaucoup, sur la crise financière, sur la montée du nazisme et c’est ainsi que je me suis intéressé à l’implication des financiers américains dans la machine de guerre allemande. Je trouvais que c’était un angle d’attaque original et captivant. Une idée menant à une autre, mon récit s’est construit petit à petit, et j’ai choisi un aspect polar pour faire entrer le lecteur dans du concret même quand les évènements peuvent être complexes. Un personnage, Sherman, va occuper le devant de la scène de l’histoire mais on comprend rapidement qu’il cache quelques secrets, qu’il n’est pas lisse, et c’est ce qui va motiver le lecteur dans sa recherche de la vérité. Le lecteur va au bout de sa lecture pour savoir, comprendre, connaître Sherman dans sa vérité absolue. Dès le départ, on va assassiner son fils, lui dire qu’on va le ruiner et faire disparaître sa fille, et reste alors six albums et cinquante ans d’histoire pour comprendre qui peut lui en vouloir autant et pourquoi, pour découvrir ce qu’il a pu faire pour mériter une telle vengeance. Nous sommes dans du polar sans aucun doute !

Shelton : Et comme dans ce type d’histoire, vous passez votre temps à semer des fausses pistes, des indices foireux, des anecdotes sans importance dans l’histoire. Vous jouez avec le lecteur…

sherman-4Stephen Desberg : C’est le plaisir de cette écriture, facilitée d’ailleurs par le fait de travailler sur les six albums d’un coup. Je sais où je veux en venir, je pose mes jalons et le lecteur ne sait pas ce qui aura de l’importance ou pas. Il doit tout lire, tout absorber et on l’entendra parfois dire « Ah, oui, c’était donc ça ! ». En plus Sherman, ce n’est pas l’histoire que d’un personnage mais de toute sa famille. Donc, il fallait mettre tous les éléments pour que chaque personnage, chaque destin, soit crédible ! D’où les nombreuses tranches de vie, comme dans une saga familiale.

Shelton : Pourquoi, comment avez-vous choisi Griffo pour dessiner Sherman ?

Planche d'Empire USA par Griffo

Planche d'Empire USA par Griffo

Stephen Desberg : On se connaissait depuis longtemps et on se rencontrait souvent en se disant que l’on allait travailler ensemble… Nous avons eu cette opportunité pour la série Empire USA. Il a dessiné le premier album, celui qui a donné le ton pour les autres dessinateurs. Puis, comme un des dessinateurs prévus a eu un souci, il a pris le relais et en a dessiné un second. C’est aussi lui qui a fait un gros travail sur les couvertures de la série et donc fort de cette expérience commune je m’étais fait la réflexion qu’un projet comme Empire USA aurait pu être entièrement assumé par lui. Lui, seul, j’entends, car il travaille vite et bien. J’avais donc cette idée de faire un projet sur six albums avec lui ce qui donne en plus de la cohérence de l’histoire, un ensemble graphique de bonne tenue et plus personnelle. Rester  plus qu’à accorder nos agendas, attendre que nous soyons tous les deux libres, ce qui a fini par arriver.

Shelton : Mais le projet lui convenait-il ?

Stephen Desberg : Le projet que j’avais en tête résonnait chez lui qui n’avait encore jamais dessiné cette époque. Je ne peux pas dire que j’ai été surpris en voyant arriver ses premières planches – je connaissais déjà bien son travail – mais j’ai été un peu bluffé. Si moi j’ai écrit d’une seule traite, il faut savoir que Griffo a fait la même chose pour son story-board, ce qui assure une cohérence, une unité graphique de qualité. J’ai pu lire les six albums à la suite ce qui est réellement exceptionnel et formidable pour un scénariste. Cette ébauche est d’une telle qualité que je suis certain quand les six albums seront sortis que nous publierons une intégrale de l’histoire avec en bonus le story-board de Griffo. Sa spontanéité est tout simplement admirable. Ce qui m’a ravi aussi est de voir son implication dans l’histoire, réaliser comme il sentait bien les personnages… dans le sixième album, sans trahir le suspense, il y a une scène émotionnelle forte et j’avoue avoir été totalement touché, bouleversé alors que c’est ma propre histoire. Je trouve que c’est un dessinateur qui rend très bien les expressions, les sentiments des personnages et c’est très important pour le lecteur. Certes les mises en scènes, les atmosphères, les décors, tout cela est important mais si les personnages ne véhiculent pas les intentions du scénario dans les regards, les attitudes alors cela ne peut pas fonctionner. Avec Griffo ça fonctionne parfaitement !

Hommage de Desberg à Griffo son dessinateur !

Hommage de Desberg à Griffo son dessinateur !

Alors il ne vous reste plus qu’à plonger dans cette série Sherman dont cinq albums sont déjà sortis en librairie.

Rencontre avec Christian De Metter

Christian De Metter

Christian De Metter

Shelton a rencontré Christian De Metter dans le cadre du festival international de la bande dessinée d’Angoulême. C’était la troisième fois qu’ils se croisaient autour d’un micro, mais la première fois depuis le succès de Shutter Island

Shelton : Christian de Metter, ceux qui vous suivent savent que vous travaillez parfois seul, parfois en compagnie d’un romancier, d’un autre scénariste, voire même d’un autre dessinateur. Qu’est-ce que vous préférez comme façon d’écrire et dessiner ?

Christian De Metter : Globalement, j’ai quand même travaillé assez souvent seul. J’ai eu une collaboration avec Catel (Le sang des Valentines), avec Thomas Benet (Swinging London)… Mais globalement je suis assez seul. Après, est-ce que je préfère les adaptations ou les créations ? En fait, j’aime bien alterner les deux. Ces derniers temps j’ai enchainé les adaptations du fait du succès relatif de Shutter Island (roman de Dennis Lehane). C’est vrai que c’est plus facile maintenant si je dis que j’aimerais faire une adaptation de tel ou tel roman, plus facile qu’au début de ma carrière. Du coup, j’y vais à fond, on sait jamais ce que nous réserve l’avenir. J’ai fait Scarface (roman d’Armitage Trail) et je termine Cul de sac (roman de Douglas Kennedy). Après, je souhaite revenir à des histoires et des univers plus personnels.

Excellent mais noir intense...

Excellent mais noir intense...

Shelton : Vos univers sont assez noirs, comme les romans que vous choisissez d’adapter.

Christian De Metter : Je choisis les romans parce que justement ils sont dans les ambiances que j’aime, ils traitent des sujets qui m’habitent depuis longtemps. Si j’ai choisi Shutter Island c’est pour l’aspect sombre, le côté psychologique et noir, ce qui correspond parfaitement à mon dessin. Mon dessin est ce qu’il est et je ne pense pas pouvoir faire du gag avec ! Mon dessin et ces ambiances vont bien ensemble. J’aime vraiment la psychologie des personnages, je tente de comprendre l’humain. Vous savez l’humain c’est passionnant et parfois aussi, je le concède, consternant. J’aime creuser mes personnages, les situations, répondre à tous les pourquoi qu’on se pose, voir les constructions et destructions de personnages en fonction des rencontres que l’on fait… Tout cela je le raconte avec mon dessin…

Le succès !!!

Le succès !!!

Shelton : C’est ainsi qu’était né l’album Marilyn ?

Christian De Metter : C’est un personnage qui m’a toujours fasciné. Sur le plan de l’identité, elle très intéressante. Je suis en train de lire son journal intime qui vient de paraître en français (Fragments) et on voit bien la scission qu’elle fait elle-même entre Norma Jeane et Marilyn. De plus, cinquante ans après sa mort son image reste fort présente dans nos imaginaires, dans le monde du cinéma.

9782203019256Regardez le nombre de fois que ses photos sont encore utilisées en couverture des magazines de cinéma. D’ailleurs elle n’a fait que peu de films (27 selon un décompte officiel), pas tous des chefs d’œuvre, et elle reste toujours présente partout. C’est une véritable icône du cinéma du vingtième siècle. Pourquoi ? C’est de là, peut-être qu’est né mon projet. Par ailleurs, j’avais développé une histoire, avec une maison isolée et ce personnage qui arrivait là un peu par hasard parce qu’il était bloqué dans la neige, et qui découvrait des choses dans cette demeure… Puis, à un moment, il était évident que les deux ne devait plus faire qu’un seul projet que toutes mes recherches sur Marilyn devaient trouver leur rôle dans cette histoire de maison isolée… Ce fut l’occasion aussi de montrer que la faille chez Marilyn était de ne pas avoir su faire le deuil dans sa vie de certaines choses. On doit tous faire le deuil de certains éléments du passé pour continuer à avancer. Marilyn n’a jamais su le faire et c’est pour cela qu’elle a « bugué » ! Le deuil de l’enfance, le deuil de certains amours… voilà ce que j’avais envie de creuser dans cet album Marilyn.

Une planche de Marilyn

Une planche de Marilyn

Shelton : Passons à Scarface, adaptation qui a suivi le succès de Shutter Island.

Christian De Metter : En fait, pour la première fois de ma carrière d’auteur de bandes dessinées, Scarface est une proposition d’éditeur. François Guerif, ou Matz, je ne sais plus lequel m’a fait cette suggestion le premier, et j’avoue sur le coup n’avoir pas été emballé par ce roman. Je ne pensais pas qu’il s’agissait d’un univers pour moi. Il y avait beaucoup de gangs et de violence or je me méfie toujours de la violence. C’est un sentiment ou une réalité humaine que je n’aime pas dessiner. J’ai trop peur de me retrouver dans un rapport esthétique avec la violence.

ScarfaceEn plus, le cinéma était passé par là, je connaissais le film avec Pacino qui ne m’avait pas beaucoup plu… Bref, plein de raisons de partir en courant devant cette proposition. Mais, avant de répondre définitivement, j’ai voulu d’abord revoir les deux films qui avait été réalisés, entre autres celui de Howard Hawks de 1932. Je me suis aperçu que les deux films n’avaient traité qu’une partie du roman, qu’il y avait beaucoup plus à raconter, qu’il y avait des grands espaces à explorer pour une adaptation en bande dessinée. Il y avait même des thèmes qui me concernaient depuis longtemps comme la perte de l’identité, la coupure avec sa famille, le rejet de ses racines et le rapport au frère.

Shelton : Ce dernier point est très marqué dans votre version en bande dessinée !

Christian De Metter : C’est vrai d’ailleurs j’ai construit une scène initiale et une finale qui mettent réellement cet aspect de l’histoire en avant. C’est vraiment un choix de ma part. D’ailleurs, après  Shutter Island j’ai été obligé de travailler très différemment pour Scarface. En effet, dans Shutter Island, il y avait une mécanique très précise que j’étais obligé de respecter presque au millimètre. Chaque détail devait être là, on ne pouvait presque pas faire d’impasse sur l’histoire originale sans prendre le risque de déstabiliser tout l’édifice du roman. Pour Scarface, c’est tout l’inverse. C’est un univers dans lequel je n’avais qu’à piocher et j’ai pu, tout en respectant le roman, me sentir beaucoup plus libre.

Christian De Metter-3Shelton : Il y avait un autre problème avec cette adaptation, c’est le fait que chacun ou presque des lecteurs connaissait l’histoire. Il vous fallait travailler encore plus les ambiances pour offrir au lecteur quelque chose de nouveau.

Christian De Metter : En fait, dans ce genre de travail, je suis très égoïste. Les vraies questions sont pour moi : qu’est-ce qui m’intéresse, qu’est-ce qui me motive, qu’est-ce qui va me plaire dans cette adaptation ? Les questions sur les souhaits hypothétiques des lecteurs ne viennent que plus tard car je ne peux rien savoir de ce que pense le lecteur. Je me dis que si je suis sincère, alors il y aura bien des lecteurs qui me suivront. Qu’il y en ait dix ou dix mille, ce n’est pas mon problème, c’est celui de l’éditeur…

Shelton : Justement, quand ils sont nombreux, comme pour Shutter Island, ça vous surprend ?

Christian De Metter : Certes, il y a eu du succès pour cet album, mais soyez rassurés, je peux encore aller acheter mon pain à la boulangerie sans être assailli. Je reconnais que cette publication a mis un peu de lumière sur mon travail, mais il ne faut pas en faire tout un plat. Surprise ? Disons que le moment de joie intense c’est celui où on m’a répondu oui à ma demande d’adaptation. J’y tenais, je l’ai eue. Après tout est soulagement, satisfaction et bonus, seulement bonus. Je reconnais que c’est aussi une très bonne chose pour l’éditeur qui compte sur moi, qui sait bien que je ne vais pas vendre des cents et des milles… et qui pour une fois a le sourire ! Il a cru en moi depuis quelques années et je lui rends un peu…

Shelton : Et quel est l’impact de Shutter Island sur la vente de vos autres albums, sur des rééditions comme celle qui vient d’avoir lieu chez Casterman, Le curé.

Christian De Metter : Forcément, ça ramène des lecteurs, des acheteurs, mais c’est très difficile à quantifier, en tous cas, moi, je ne peux pas le faire à mon niveau. Moi je travaille chez moi, dans mon petit bureau, je ne rencontre jamais personne en dehors des dédicaces. Le public des dédicaces est particulier et représentatif du grand public, celui qui fabrique en quelque sorte les best-sellers. Mais parfois je rencontre une personne qui achète et fait dédicacer un ouvrage suite à la lecture de Shutter Island. C’est là le point très positif d’un livre qui « marche » bien, ça met en valeur toute l’œuvre de l’auteur. J’aurais eu au moins une fois cette chance dans ma vie !

Espérons que la chance reste en sa compagnie quelque temps et qu’il puisse ainsi nous offrir d’autres ouvrages de qualité comme Figurec ou L’œil était dans la tombe

Christian De Metter-2

Rencontre avec Jacques de Loustal

Il y a des auteurs que l’on a plaisir à rencontrer car on a l’impression de côtoyer alors des êtres de génie, des dessinateurs hors normes. Sa modestie dut-elle en pâtir quelque peu, Jacques de Loustal en fait partie, du moins à mes yeux. Ce fut donc encore un plaisir d’échanger avec lui lors du festival de la bande dessinée d’Angoulême…

Obervation ou admiration de la part de Shelton ?

Obervation ou admiration de la part de Shelton ?

Shelton : Jacques de Loustal vous êtes à la fois dessinateur, peintre, auteur de bandes dessinées, illustrateur, publiciste… que sais-je encore ?

Des affiches, aussi...

Des affiches, aussi...

Jacques de Loustal : En fait je suis surtout un homme d’images. Je travaille sur l’image au sens large, je suis influencé par la peinture, la photographie, l’illustration, la bande dessinée et j’aime bien être dans tous ces champs sans être enfermé dans un seul. Il est donc normal de me retrouver avec ce cahier de coloriage. J’ai eu l’idée un matin, vous savez quand on est entre le sommeil et le réveil. Dans cette réalisation, il y a deux choses. Il y a d’abord un gadget, un cahier de coloriage comme lorsque l’on était petit. Une sorte de clin d’œil. Mais c’était aussi pour montrer tous ces dessins qui n’existent plus car ils sont dans mes livres en couleur directe ce qui fait disparaître les traits à la plume de mes dessins. Avant, je fais toujours une photocopie de mes dessins mais j’avais envie, cette fois, de leur redonner un peu d’existence. C’est aussi une façon de montrer une étape de mes dessins, de faire prendre conscience de mes rapports à la ligne claire… car dans ces dessins en noir et blanc, pas de volume, pas de lumière, juste le dessin brut. J’ai donc proposé cela à Casterman, mon éditeur, et finalement, ça s’est fait. C’est aussi une façon de revenir aux fameux tirages de tête de la bande dessinée qui sont toujours en noir et blanc. Mais j’aimerais bien aussi voir cet album colorié par des enfants, voir ce que ça donnerait. Mais dans les dédicaces, on ne m’a encore jamais apporté un livre colorié ainsi…

Jacques de Loustal

Jacques de Loustal

Shelton : Jacques, vous faites à la fois des bandes dessinées et des livres illustrés et j’ai l’impression que vous faites les deux avec un égal plaisir, un bonheur bien réel… Illusion ou réalité ?

Jacques de Loustal : Oui, c’est vrai, j’aime tout cela. J’aime beaucoup les livres illustrés. Choisir dans un texte quelques séquences qui vont se transformer en images, c’est peut-être plus exigeant que la bande dessinée où l’on est obligé de tout traduire en images. Là, il faut choisir, sélectionner. On se donne à fond pour quelques images qui vont accompagner le texte. Il faut être alors très fort visuellement. Malheureusement, le livre illustré ce n’est plus vraiment à la mode – moi je vivais dans une maison qui était pleine de livres illustrés du début du vingtième siècle, j’ai été nourri avec ça – et ce n’est plus aussi populaire. En plus, quand j’ai illustré des romans de Georges Simenon, ce n’étaient pas des nouveautés. Par contre je suis très fier d’avoir illustré Le rappel de Boris Vian et Rubio y Morena de Tennessee Williams. Dans les deux cas, c’était un travail à l’ancienne pour des cercles de bibliophiles. J’aime beaucoup travailler dans ces conditions, avec des éditeurs qui privilégient la qualité et je regrette beaucoup que la collection Futuropolis-Gallimard se soit arrêtée car j’aurais aimé faire un livre par an avec eux.

1291644347lesamoursinsolitesShelton : Vous n’êtes pas qu’un auteur de livres illustrés, vous faites de la bande dessinée et dans ce domaine vous avez enchainé beaucoup de projets.

Le-Sang-des-VoyousJacques de Loustal : En fait depuis l’album Le sang des voyous – avec Paringaux en 2006 – chaque fois que je terminais une bande dessinée j’avais en main un nouveau projet, le scénario suivant. Mon problème généralement était de trouver une histoire et depuis quelques temps la question se pose moins. Je ne fais pas tant de bédés que ça car je ne suis pas tributaire d’une série, je ne cherche que des histoires, des collaborations, mais tout cela s’enchaine. Au moins de juin je vais terminer un album, mais je crois qu’après je vais stopper la bédé un ou deux ans pour prendre le temps de me régénérer sur d’autres modes d’expression, avec d’autres outils. Vous voyez, je vais prendre un temps pour la peinture, le dessin, pour travailler avec des galeries, faire des livres de dessins…

sang_des_voyous_1Shelton : Vous êtes à la recherche de votre équilibre…

Jacques de Loustal : Oui, c’est ça, et généralement j’y arrive.

Shelton : Quand vous mettez une histoire en bande dessinée, on a l’impression qu’à chaque fois vous choisissez ce qu’il y a de plus noir !

Jacques de Loustal : Oui, mais là encore je recherche mon équilibre entre ce qui est très noir, c’est vrai, mais ce qui est aussi très solaire et lumineux, avec à chaque fois un graphisme adapté, influencé. Je suis très attiré par exemple par les peintres allemands des années trente comme Beckmann mais aussi des artistes comme Gauguin, Matisse… Mais ma noirceur, si on peut dire, doit avoir certaines limites. Je ne peux pas me complaire dans le noir permanent ou le désespoir. Les histoires de couples avec Benaquista sont plutôt intimistes (Les amours insolentes), celles avec Jean-Luc Coatalem sont cocasses (Jolie mer de Chine, Rien de neuf à Fort Bango) tandis que celles avec Paringaux sont très noires (Le sang des voyou, La nuit de l’Alligator). De toute façon, je ne peux pas vivre uniquement dans des ambiances noires toute une année. Là aussi, il faut que je trouve mon équilibre.

Avec Coatalem...

Avec Coatalem...

Shelton : On vous a aussi vu signer une adaptation en bande dessinée d’un roman dans la collection Rivages/Casterman/Noir : Coronado, un roman de Dennis Lehane.

Jacques de Loustal : J’apprécie cette collection, je trouve qu’elle a une voix authentique et j’ai beaucoup aimé y participer. Pour moi, encore une fois, c’est le choix du texte. J’aime un texte par la façon dont il est écrit plus que par ce qu’il raconte à proprement dit. Pour moi, une adaptation est plus une dilatation. Donc il me faut des textes courts et des nouvelles dans la collection Noir de chez Rivages, il n’y en a pas tant que cela. Pour Coronado, je suis parti de vingt pages et j’ai produit soixante-dix planches…  J’aime utiliser des fausses pistes qui ne mènent à rien, développer des dialogues savoureux qui s’éloignent du scénario… mais sans réécrire le roman ou la nouvelle. Dans Coronado, quatre-vingt-dix pour cent du texte est d’origine !

Shelton : On souhaite que vous trouviez rapidement un nouveau texte chez Rivages pour nous enchanter de nouveau, et, en attendant, on va prendre le temps de colorier votre cahier de coloriage que l’on viendra vous présenter lors d’une prochaine dédicace !

COUV 2011 Livre à colorierJacques de Loustal : Au crayon, le coloriage car l’aquarelle ne tient pas sur ce papier…

Jacques de Loustal dessine

Rencontre avec Benoît Sokal

Sokal prêt à répondre à Shelton

Sokal prêt à répondre à Shelton

Benoît Sokal est un auteur de bandes dessinées qui est né en 1954 à Bruxelles. Il est très connu pour sa série  Canardo, éditée par Casterman et qui vient de voir le vingtième album paraître en 2011 : Une bavure bien baveuse. Il a aussi écrit plusieurs autres albums dont un remarquable  Le vieil homme qui n’écrivait plus en 1995. Il est aussi auteur de certains jeux vidéo comme Syberia. Enfin, il vient de sortir deux albums d’une nouvelle série, Kraa, qui sont de toute beauté. C’est donc avec beaucoup de plaisir et d’émotion que nous l’avons rencontré lors du dernier festival d’Angoulême…

Déjà le vingtième volume !

Déjà le vingtième volume !

Benoît Sokal : Canardo est la première bande dessinée que j’ai faite de manière professionnelle. Au départ, je n’avais pas l’intention de faire plus que trois ou quatre planches en noir et blanc. C’était pour le magazine (A suivre), c’était une sorte de bouche trou. Je n’avais aucun espoir particulier coincé que j’étais entre les grandes séries d’Hugo Pratt, Tardi et autres qui travaillaient dans cette revue. Mais, après une histoire, j’en ai écrit une autre, puis une autre et j’ai été pris dans l’engrenage. Aujourd’hui, Canardo est toujours vivant !

Shelton : Engrenage mais ce n’est quand même pas si désagréable que cela, non ?

Benoît Sokal : Oui et non ! Ce n’est pas si désagréable, c’est vrai, mais j’ai été surpris parce que mon propos n’était pas de faire une série. J’appartenais à un groupe, le « Neuvième rêve », et on ne voulait pas répéter ce qu’avaient fait avant nous les auteurs bédé. En particulier, on ne cherchait pas à reproduire le mécanisme des séries, ni les albums en 46 planches couleurs qui étaient destinés aux enfants. Nous étions en phase de révolution dans une bédé qui devenait adulte. Mais en un mois, voilà que j’avais repris les codes et je m’en suis défendu toute mon existence d’auteur bédés. J’ai tué Canardo une fois ou deux, j’ai écrit d’autres bandes dessinées, j’ai fait des jeux vidéo, j’ai tout tenté pour faire oublier que j’étais l’auteur de Canardo. J’aimais bien Canardo mais je ne voulais pas m’en faire une série régulière. Pourtant il a une santé de fer, malgré moi…

Canardo, toujours à l'aise...

Canardo, toujours à l'aise...

Shelton : Pour traverser une période si grande, Canardo s’est mis à vivre dans notre époque, avec des problématiques d’actualité…

Benoît Sokal : L’inspiration n’est pas quelque chose de magique. Elle vient très souvent d’un fait divers. Par exemple, celui sur lequel je travaille actuellement, le vingt-et-unième, est très clairement inspiré de l’affaire DSK, mais transposée dans le monde de Canardo, bien sûr.

Shelton : J’imagine parfaitement Canardo dans cet univers…

Benoît Sokal : Dès que c’est un milieu crapuleux, Canardo est à l’aise, vous savez ! Avec un tel personnage, je peux aller presque partout et le polar est un sujet inépuisable…

Efficace dans toutes les situations...

Efficace dans toutes les situations...

Shelton : Changeons d’horizon, de série et allons ensemble vers Kraa dont le second volet vient de paraître. Ici tout est différent : le rythme, le graphisme, la nature de l’histoire, la place de la nature… on pourrait dire une bédé spirituelle, presque ?

album-cover-large-10439

Benoît Sokal : Je ne réfute pas ce terme de spirituel. Certes, plutôt une spiritualité noire. Il y a une dualité entre la grâce et la nature. Un peu comme dans les films de Terrence Malick. On ne sait pas avec précision de quel côté est la grâce. Est-elle du côté de l’humanité ou de la nature ? La nature est parfois aussi violente, voire plus, que la civilisation. Et la grâce peut aller d’un personnage à un autre, à tout moment, et c’est bien en cela qu’il y a du spirituel dans cette histoire. Mais c’est aussi sombre, noir, une histoire de vengeance entre deux mondes que tout oppose.

kraal2pl1Shelton : Et tout cela dans une nature qui est « duelle », agressive et protectrice…

Benoît Sokal : Mais la météo elle-même participe à cette dualité avec parfois des phases clémentes et d’autres en pleine tempête. La nature est quand même toujours un cocon, même quand le cocon est mortel ! La nature englobe les personnages et, j’espère, aussi, les lecteurs. Cette bulle est par contre transpercée par la civilisation dans une sorte de viol permanent. A partir de là, la nature se défend comme elle peut…

Sokal-5(Vous pouvez découvrir la série avec ce clip : www.youtube.com/watch?v=gGgJQSrnIM8)

Sokal 02

Shelton : Benoît Sokal, alors que de très nombreuses bandes dessinées sortent actuellement sur des problématiques liées à la seconde guerre mondiale, on se souvent de votre remarquable one shot, Le vieil homme qui n’écrivait plus, et on se demande si tout cela ne vous donnerait pas envie d’y revenir un peu…

Benoît Sokal : Oui et non. J’avais traité un sujet très particulier sur la Résistance, une sorte d’épisode pittoresque même s’il était aussi dramatique. On pourrait trouver d’autres épisodes de cette nature car la résistance française a ce côté un peu Louis de Funès, Grande Vadrouille… Mais il y a aussi un autre aspect de cette guerre pour moi, une face que je ne sais pas raconter car une grande partie de ma famille est morte dans des camps. Je suis le résultat d’une génération de « Juifs honteux » qui ne m’ont jamais raconté leur histoire, qui ne veulent pas qu’on la raconte. Ils veulent que l’on soit noyé dans la masse. La préoccupation de mon grand-père était de ne pas faire de vague… Mon grand-père avait été durant la première guerre mondiale officier autrichien puis Juif durant la seconde guerre mondiale. Le vingtième siècle lui avait donné deux médailles, la Croix de fer et l’Etoile jaune ! Cette vie était aussi l’histoire du secret, de ce que l’on tente d’oublier une bonne fois pour toute. Il estimait que l’on avait eu assez d’ennuis avec cette histoire, qu’il valait mieux ne plus rien dire et j’ai su tout cela assez tardivement. Je ne crois donc pas que je vais maintenant le raconter et en faire une bande dessinée… Mon grand-père et mon père voulaient que cela reste dans le silence, je respecte leur vision de leur histoire !

P1160692Jeffrey : Benoît Sokal, vous avec travaillé, aussi, dans l’univers du jeu vidéo. Qu’est-ce que cela vous a apporté ?

Benoît Sokal : De l’argent, beaucoup d’argent ! (rires) Cela m’a surtout apporté le fait de faire des choses différentes. Moi, je m’ennuie de l’uniformité. Quand j’ai commencé à faire de la bédé, je n’ai jamais eu à l’esprit l’idée de faire toujours la même chose. Si je peux suivre l’image, aller là où elle va, dans le cinéma, dans le jeu vidéo, dans la bédé… l’un reposant sur l’autre, avec des allers et retours permanents. Le jeu vidéo est aussi reposant par certains aspects : grasses équipes, grosses responsabilités mais on n’est pas seul. On délègue beaucoup. Il y a des avantages – projets d’envergure, très exigeants – et des inconvénients – projets très usants, que l’on ne maîtrise pas de la même façon, avec une ambiance plus stressante à cause de l’ampleur des budgets – ce qui permet en alliant les deux de se construire des phases différentes mais toujours agréables. Par exemple, en bande dessinée, ce sont des projets que je peux décider en une après-midi, avec mon éditeur, que je mets en place en une semaine seulement, en commençant le scénario. Après il faut, certes, le faire, mais le problème sera surtout de se retrouver seul à sa table de dessin. Donc, à chaque fois le positif et le négatif sont là et c’est à moi de choisir et de changer quand j’en ai envie. Mais c’est bien là le charme de mon métier. Si on ne veut pas cela, autant se faire expert-comptable !

syberia-e5499Shelton et Jeffrey : Y a-t-il d’autres projets vidéo sur le feu pour vous ?

Benoît Sokal : Pour le moment, le jeu vidéo est un dossier refermé ! Tous les projets que l’on me propose actuellement ne me conviennent pas. Je n’en ai pas les moyens pour être très précis. Je ne dispose pas des budgets nécessaires, voir indispensables en particulier à cause d’une surenchère permanente. Je ne veux pas faire un nouveau jeu au rabais. Le public potentiel serait le premier à me le reprocher. Je ne veux pas courir ce type de risque. Je sais que si je retourne au jeu vidéo je dois proposer beaucoup mieux que ce que j’ai déjà fait. Je ne veux pas me faire descendre en flèche par tous les amateurs de Sybéria… En plus, le jeu d’aventures comme je les faisais ont un peu passé de mode, les gens jouent moins sur PC – support de ces jeux – et il faut inventer quelque chose de nouveau, efficace et adapté aux supports d’aujourd’hui. On y reviendra peut-être, d’ailleurs ce sera possible avec un produit hybride entre le jeu vidéo et la bande dessinée…

wallpaper-L_Amerzone-13083Quel plaisir de rencontrer un auteur si complet, si lumineux et si conscient des réalités… Merci et à très bientôt pour une nouvelle rencontre autour de Canardo ou autre Kraa

Sokal-4

Rencontre avec Matz

Alexis Nolent, connu sous le nom de Matz dans l’univers de la bande dessinée, est un auteur bédé né en Normandie (Rouen) qui a aussi participé à la scénarisation d’une série TV, de deux jeux vidéo et a écrit deux romans. En 1998, il écrit le scénario du premier album de la série Le tueur avec Luc Jacamon au dessin. Il est aussi l’auteur des série Cyclopes (Jacamon puis de Meyère au dessin), Du plomb dans la tête (Colin Wilson au dessin), Shandy (Bertail au dessin) et, à venir, la série OPK… Matz est aussi codirecteur de la collection Rivages/Casterman/Noir. Il était cette année à Angoulême et nous avons eu l’occasion de l’interviewer. Il est agréable et plaisant de discuter avec lui et nous espérons que vous prendrez autant de plaisir que nous à découvrir quelques petits secrets de son travail, de ses personnages, de ses goûts…

Matz en pleine méditation

Matz en pleine méditation

Shelton et Jeffrey : Matz, avant de parler spécifiquement de votre série principale, « Le tueur », prenons le temps de parler de cette collection, de ce label particulier, Casterman Rivage Noir, dont vous êtes l’un des deux moteurs… ce n’est pas trop difficile, vous n’êtes pas submergés par les demandes ?

Matz : Je suis effectivement codirecteur de la collection aux côtés de François Guérif qui lui est directeur de Rivages Noir, la fameuse collection de romans noirs, textes qui sont adaptés en bandes dessinées. On a beaucoup d’auteurs qui trouvent la collection Casterman Rivages Noir très bien, qui voudraient en faire partie…mais notre travail est de choisir les romans qui vont être pris, puis de trouver les auteurs qui réaliseront ce travail et de le suivre au fur et à mesure. On a pas un objectif de production en grande quantité, donc on fait vivre notre collection sans problème en tentant les bons choix, en lançant les bons auteurs ou bonnes équipes sur les adaptations que l’on veut voir, que l’on veut lire au rythme de 4 à 6 par an en se focalisant sur la qualité.

Co-Directeur de collection et auteur

Co-Directeur de collection et auteur

Shelton et Jeffrey : Quatre à six titres par an, c’est ce que vous aviez annoncé au lancement de la collection mais on ne savait si vous arriveriez à tenir cette cadence, non par épuisement de la réserve de la collection Rivages noirs, mais par manque d’auteurs de bandes dessinées intéressés par le projet, par manque de lecteurs…

Matz : En fait cela marche plutôt pas mal, on a même eu un ouvrage comme Shutter island (Christian De Metter sur un roman de Dennis Lehane) qui a été un bestseller. Il y a aussi plusieurs titres qui se sont bien vendus, qui se vendent bien : Scarface (Christian De Metter sur un roman d’Armitage Trail), L’ultime défi de Sherlock Holmes ( Stromboni et Cotte sur un roman de Michael Dibdin), Nuit de fureur (Miles Hyman et Matz sur un roman de Jim Thompson)… Je crois que la collection trouve un public.

Auteur et réussite éditoriale

Auteur et réussite éditoriale

Shelton et Jeffrey : Est-ce que ce public retourne vers les romans après, est-ce que, finalement, la bande dessinée fait lire ?

Matz : Oui je le pense même si on n’a aucune preuve. Je crois que les lecteurs des polars s’intéressent aux bédés, les lecteurs de bédés aussi, par contre, je ne sais pas si ça crée vraiment une synergie énorme, mais il y a bien un véritable aller-retour…

Le premier d'une longue série

Le premier d'une longue série

Shelton et Jeffrey : Alors venons-en maintenant à votre série phare, « Le tueur ». Je me souviens de notre rencontre devant le premier album avec Luc Jacamon. Vous étiez dans l’incertitude totale car prendre comme héros un tueur à gages, c’était quand même un pari osé. Non ?

Matz : On sait jamais si ça va marcher ou pas. On est surpris quand ça marche mais aussi quand ça ne marche pas. Là, on accumulait les difficultés. C’était d’abord le premier album de Luc. Il débutait au dessin, n’avait pas de public acquis. Il avait un style unique, c’est pour cela que je voulais travailler avec lui, mais c’était son premier album. D’ailleurs, un style unique n’est pas réellement un atout car ça demande de la curiosité de la part du lecteur qui doit aller à la rencontre d’un graphisme, qui doit l’accepter… Le second handicap est d’avoir voulu un héros qui est un véritable anti-héros. Un héros très négatif.

Le métier de tueur

Le métier de tueur

Shelton et Jeffrey : Il ne s’est pas amélioré avec le temps ?

Matz : Je ne sais pas… Le premier cycle, c’est sa vision du monde. C’est un personnage solitaire qui noue des liens avec des personnes de son entourage. Il finit par avoir une compagne, un enfant… Le second cycle, c’est une embrouille géo-politico-stratégique. Cela provoque un décalage du propos et le tueur est un véhicule pour les auteurs. Il porte un tas de considérations sur le monde, mais comme c’est un tueur professionnel qui les tient le lecteur se demande toujours où se situe l’équilibre entre ce qu’il pense, ce qu’il dit, ce qu’il fait…

bd-interactive-le-tueurShelton et Jeffrey : Dans ce second cycle, on le voit plus douter…

Matz : Le tueur est un personnage habité par le doute. Il remet en question absolument tout : la religion, les affaires, la vie, la mort, tout ! C’est sa marque de fabrique.

Shelton et Jeffrey : Et le troisième cycle qui va arriver et sur lequel vous avez commencé à travailler ?

Matz : Dans le prolongement du deuxième, mais avec probablement un retour à une forme de solitude. En fait, lors du premier album, il est totalement seul. On est dans sa tête. La trajectoire logique était de lui créer des gens à qui parler, avec qui se lier. Maintenant que l’on a établi cela on peut retourner vers un personnage plus solitaire.

Travail très visuel...

Travail très visuel...

Shelton et Jeffrey : Comment vous avez réussi à créer un tel personnage que l’on a si peu envie d’aimer au départ ?

Matz : Mais j’ai été surpris que les gens l’aiment autant ! En fait, ce qu’il pense, ce qu’il fait, ce que l’on voit ne sont pas les mêmes choses. Cela déclenche l’intérêt pour lui. De plus certaines de ses interrogations, de ses réflexions, de ses doutes donnent quelques petites possibilités d’identification. Dès que l’on porte une certaine attention au tueur, on le juge moins. Lui ne juge personne. Du coup, bien que ce qu’il fait soit d’une certaine façon répréhensible, bien qu’il ne tue pas que des ordures, il donne l’impression de ne pas remettre le monde complètement en question et peut dégager une certaine image pas totalement négative.

Cycle 1Shelton et Jeffrey : Comment vous avez travaillé avec les autres personnages pour en arriver là, à ce sentiment ambigu du lecteur ?

Matz : Revenons à l’origine du tueur. Quand on lit des livres d’histoire, il y a des assassinats, des meurtres, mais on ne parle que fort peu de ceux qui les commettent. Quand on regarde des films, il y a aussi des tueurs, des exécuteurs, mais souvent ce sont des personnages secondaires ou totalement vides. Mais dans les deux situations, je me suis toujours dit que ces assassins devaient avoir une vie, une pensée… J’ai voulu me mettre à la place d’un mec comme ça et décrire tout un ensemble de situations où l’on puisse exploiter son point de vue sur les évènements… Malheureusement, j’ai une limite à la question c’est que je ne connais pas de tueur à gages ! Je n’ai donc pas pu avoir de confirmation sur les états d’âme et de pensées d’un tueur professionnel. Mais je ne désespère pas d’en rencontrer un…

Shelton et Jeffrey : Et sa peur de la mort… je fais allusion au moment où il exécute un homme durant sa mort ?

Matz : C’est vraiment un élément important. Au Moyen-âge, les gens avaient peur de mourir durant la nuit, en plein sommeil. Ils craignaient de ne pas pouvoir recevoir les derniers sacrements. Ils pensaient que dans une telle situation, ils allaient directement en Enfer. Maintenant, c’est un peu le contraire, on entend souvent dire « J’espère mourir dans mon sommeil ». Ne rien sentir, pas souffrir et hop ! Là vous évoquez une scène dans laquelle le Tueur doit tuer un mec qui dort. Est-ce qu’il le réveille ou pas. Lui, il se dit : « Si je dormais, j’aimerais bien savoir qu’on va me tuer, savoir que c’est le moment et j’aimerais mieux qu’on me réveille avant ». Pourtant, il le tue dans son sommeil parce qu’il ne veut pas s’embêter avec d’éventuelles conséquences. En même temps, si on meurt dans son sommeil, on ne sait pas qu’on est mort, non ? On ne se réveille juste jamais. Il vaut mieux savoir qu’on est mort, ou qu’on va mourir. Si on meurt dans son sommeil, il n’y a que les autres qui le savent, nous on ne le sait même pas !

Entre fiction et réalité

Entre fiction et réalité

Shelton et Jeffrey : Vous n’êtes pas que l’auteur d’une série, Le tueur, vous avez aussi écrit une autre série, toujours chez Casterman, Cyclopes. Quand vous regardez l’état de la planète aujourd’hui, vous n’avez pas l’impression que la fiction est devenue réalité ?

Matz : Je sais que je suis un visionnaire ! (éclats de rire) Oui, les cyclopes ont été rattrapés par la réalité. J’ai plein de copains qui me disent « T’as vu c’est comme dans Cyclopes ! ». La fiction est rattrapée, dépassée par la réalité surtout du côté de la sécurité et des actions de défense confiées à des milices privées. Cela a toujours existé mais c’est l’ampleur du phénomène qui est à observer. C’est d’autant plus pratique que ça permet de masquer certaines réalités : les mercenaires morts ne comptent pas dans les bilans officiels des soldats disparus.

Shelton et Jeffrey : Alors, une série terminée, Cyclopes, une série qui va aborder son troisième cycle, un polar noir adapté,  Nuit de fureur, est-ce qu’il y aurait quelques projets dans vos cartons ?

Matz : Si, j’ai des listes de projets pas encore développés. Peut-être qu’ils ne sont pas bons mais je n’ai pas encore eu le temps de le vérifier. Mais c’est vrai que j’ai pas mal d’idées en stock. Il y a une série en trois albums qui va sortir chez 12 bis, OPK. La base est réelle, un peu comme dans Cyclopes, mais cette fois nous allons tourner notre regard sur les joueurs de jeux vidéo MMORPG. Ces joueurs, quand leur avatar se fait tuer virtuellement, recherchent celui qui a tué leur avatar et ils le tuent vraiment. Et, en fait, c’est déjà arrivé dans la vie réelle ! Mais ce n’est que le point de départ d’un thriller…

Une histoire noire dessinée par un Australien

Une histoire noire dessinée par un Australien

Malheureusement, nous n’avons pas eu le plaisir de rencontrer Luc Jacamon, le dessinateur de la série Le tueur. Ce sera certainement pour une prochaine fois, à Angoulême ou ailleurs…

dedicace Jacomon (470x640)

Rencontre avec deux auteurs d’albums illustrés

Bernard et Roca-1

Hier, à la librairie Athenaeum de Beaune, deux auteurs, deux amis, dédicaçaient leurs ouvrages. Cela fait quelques années que Fred Bernard, un enfant du pays, et François Roca, lyonnais d’origine exilé à Paris, travaillent ensemble même si chacun peut avoir d’autres travaux comme Fred Bernard en tant qu’auteur de bandes dessinées.

Quand ils sont ensemble, ils pratiquent l’album illustré. C’est à dire que Fred Bernard produit un texte et François Broca déploie son talent et son énergie, son art et ses couleurs pour mettre en chair ce récit.

Bernard et Roca-2

Souvent, les éditeurs et libraires appellent cela de la littérature pour la jeunesse… mais qui aura ouvert et lu des ouvrages comme Jésus Betz (2001), La comédie des ogres (2002) ou L’Indien de la tour Eiffel (2004) sait bien que ces albums sont de pures merveilles destinées aux lecteurs et que les ranger de force dans des catégories d’âges serait une stupidité sans nom. Chaque lecteur y cherche et y trouve ce qu’il veut bien, ce qu’il peut, ce qu’il doit y trouver !

Tout simplement parce que ces deux auteurs s’adressent à l’humanité en travaillant dans leurs histoires et dans leurs illustrations les grands mythes de l’humanité, les grandes interrogations existentielles et c’est pour cela qu’on les aime bien !

Chuuuuuut, François se concentre et s'applique

Chuuuuuut, François se concentre et s'applique

Hier à Beaune les lecteurs se sont fait plaisir le temps d’une rencontre, ont découvert certaines faces cachées des auteurs et ont été charmés et fascinés par la gentillesse de deux auteurs disponibles qui donnaient l’impression de s’amuser plus que travailler !

Quand le scénariste dessine...

Quand le scénariste dessine...

Merci Fred et François, continuez encore à nous faire peur, à nous dépayser, à nous interroger, à nous faire lire !

Une interview par Hexagone

Hexagone a déjà dit ici tout le bien qu’il pensait du livre de Jacques Saussey,  » De sinistre mémoire « . Comme l’auteur disponible pour ses lecteurs à très gentiment accepté de répondre à ses quelques questions, voici les réponses en espérant qu’elles vous donnent envie de lire le livre…

Jacques Saussey qui êtes-vous ?

saussey_jacques_01

La cinquantaine juste passée d’une demi-tête, j’exerce le métier de cadre technique dans l’industrie de la métallurgie. J’habite dans l’Yonne et travaille à Paris, et je mets ainsi les longs voyages en train à profit pour lire et pour écrire. J’ai commencé ma première nouvelle dans le métro, à 27 ans. C’était une expérience à accoutumance immédiate ! J’aurais dû me méfier en achetant mon premier carnet…

Après une quarantaine de nouvelles, dont deux ont été récompensées dans des concours (Les Noires de Pau en 2002 et Laval en 2007), puis une adaptation d’une troisième en BD chez Joker éditions, en 2007 également, j’ai franchi la ligne de démarcation entre le texte court et le roman cette année-là, avec le sentiment de poser le pied dans un monde réservé à une élite, et auquel l’auteur débutant ne pouvait qu’aspirer.

L’avenir m’a montré que j’avais tort, et qu’il y a encore de la place pour de nouvelles plumes dans l’univers du polar français.

En dehors de l’écriture, je pratique le tir à l’arc, ma seconde passion, depuis bientôt une trentaine d’années.

***********

 » De sinistre mémoire  » s’inspire de l’Histoire, de notre histoire et de ses travers. Vous êtes-vous inspiré de faits réels ?

Toute la partie historique de ce roman m’a été inspirée par les souvenirs d’enfance de mon beau-père, Charles Lucas, qui est né à l’écluse des Gorets à Hennebont, Morbihan, dont la photo est en couverture. J’ai modifié son personnage en le vieillissant un peu, car Charlie n’avait que 7 ans en 1944, et j’avais besoin d’un adolescent pour mettre mon intrigue en place. Je lui dois l’authenticité d’une bonne partie de la « couleur » de l’époque de la guerre et de l’occupation allemande, qu’il m’a inlassablement racontées durant de longues heures afin que je m’imprègne bien de cette période particulièrement cruciale pour la Bretagne, mais également pour notre pays. Le reste de la documentation que j’ai utilisée provient des archives de la ville d’Hennebont, où j’ai pioché de nombreux faits réels qui m’ont totalement révolté. image_110
En revanche, l’histoire des enfants assassinés sur « La Montagne » est complètement imaginaire. Je n’aurais pas pu, pour une scène aussi dure, utiliser de vraies victimes historiques…
Charlie nous a hélas quittés en août 2011, mais je suis heureux qu’il ait pu voir ce roman aboutir. Sans lui, « De sinistre mémoire »n’aurait jamais vu le jour.

**********

Magne et ses collègues ont-ils vocation à devenir des personnages récurrents dans d’autres histoires ?

Oui, sans aucun doute. J’aime beaucoup ma petite équipe de ce commissariat imaginaire du Xème arrondissement, que j’ai voulue multiculturelle, multiethnique, multi âge, tout en faisant très attention à ne pas tomber dans le cliché. C’était clairement la partie la plus difficile de la  création de ces « caractères ». Daniel Magne et Lisa Heslin se sont imposés tout de suite, ainsi que Henri Walczak et Rafik Sgodovian. Le commissaire Estier, quant à lui, existait depuis longtemps dans mes nouvelles,  mais il était beaucoup trop sympa. Je lui ai durci le trait pour le rendre plus irascible et il ne ressemble plus beaucoup à la première version que j’avais imaginée dans les années 80.

J’ai actuellement trois polars achevés avec cette petite troupe de personnages. Le premier d’entre eux, chronologiquement, est « La mante sauvage », inédit à ce jour, le second « De sinistre mémoire », et le troisième « Quatre racines blanches », qui doit paraître en 2012, a priori en mars, toujours aux Nouveaux Auteurs.

L’intrigue de « Quatre racines blanches » se déroule pratiquement en intégralité à Montréal, au Québec. J’y ai plongé Magne et Lisa dans le froid, dans le crime organisé, au sein d’un monde à la fois proche du nôtre et complètement différent, où tout nouveau repère est une sorte d’épreuve initiatique pour y être adopté.

Un quatrième roman, « Principes mortels », écrit en 2010, rompt avec cette première série de thrillers en prenant la piste du drame familial noir. Ici, la police et la gendarmerie sont en demi-teinte, car le cœur de cette sombre histoire doit parvenir à son dénouement sans elle…
Je travaille en ce moment sur mon N°5, un polar que je veux encore plus sombre que les précédents, mais je reste encore très discret sur le sujet… Je peux tout de même d’ores et déjà vous confier que mes lecteurs y retrouveront Daniel et Lisa dans une nouvelle enquête qui va les emmener… jusqu’au bout d’eux-mêmes.

**********

Comment écrivez-vous, dans quelle ambiance ?

Le plus souvent possible, mais majoritairement dans les transports en commun. Mon métier me laisse peu de temps libre, et il me faut trouver des créneaux inexpugnables, sinon je ne peux pas avancer. Le matin est pour moi la meilleure partie de la journée, surtout de très bonne heure. J’y consacre au minimum une bonne heure tous les jours.
En cas de bruit dans le wagon, même soutenu, j’ai deux armes absolues : Deep Purple et Led Zeppelin. Avec du rock comme ça entre les oreilles, je n’entends plus rien que les tenants et aboutissants de mon intrigue, et je m’isole complètement des autres voyageurs… Pour les cas vraiment difficiles, AC/DC est plutôt bien aussi !

**********

Pouvez-vous nous citer des auteurs qui comptent pour vous ?

Parmi les francophones, l’un des tout premiers est Frédéric Dard, pour son œuvre titanesque et sa gouaille jouissive à l’extrême. Ensuite Boileau-Narcejac, pour la qualité et la complexité de leurs intrigues noueuses. J’inclus d’ailleurs une citation de l’un de leurs romans en tête de chacun des miens. Puis, dans les contemporains, les incontournables Franck Thilliez et Maxime Chattam, ainsi que Nathalie Hug et Jérôme Camut.

Parmi les anglophones, RJ Ellory est le numéro 1incontesté, suivi de Dennis Lehane, Tony Hillerman, Elisabeth George et PatriciaHighsmith.

Chez les auteurs du Nord, le norvégien Jo Nesbo vient largement en tête, et Carlos Ruiz Zafon pour ceux du Sud.

***********

Vous êtes un Icaunais écrivant des polars, à quand un polar icaunais ?

Mon premier polar, « La mante sauvage », se déroule en grande partie dans la région de Sens. Toujours inédit à ce jour, il est actuellement en réévaluation chez mon éditeur. J’espère le voir en librairie en 2013, une fois que « Quatre racines blanches » aura trouvé ses lecteurs !

Blog de Jacques Saussey : http://www.jacques-saussey-auteur.com

Rencontre avec Craig Thompson

C’est avec beaucoup de plaisir que j’ai retrouvé cet auteur de bandes dessinées à Paris la semaine dernière.

Je l’avais rencontré deux fois, à Lyon et Angoulême, au moment de la parution de ce chef d’œuvre littéraire, Blankets, manteau de neige.

Craig Thompson-1

Le voilà de retour en France, après 7 ans de travail sur une nouvelle merveille, HABIBI.

Beau moment, belle dédicace et grand bonheur de lecteur !

9782203003279habibiLa critique est sur notre site préféré : http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/28571

Craig Thompson-9