Alexis Nolent, connu sous le nom de Matz dans l’univers de la bande dessinée, est un auteur bédé né en Normandie (Rouen) qui a aussi participé à la scénarisation d’une série TV, de deux jeux vidéo et a écrit deux romans. En 1998, il écrit le scénario du premier album de la série Le tueur avec Luc Jacamon au dessin. Il est aussi l’auteur des série Cyclopes (Jacamon puis de Meyère au dessin), Du plomb dans la tête (Colin Wilson au dessin), Shandy (Bertail au dessin) et, à venir, la série OPK… Matz est aussi codirecteur de la collection Rivages/Casterman/Noir. Il était cette année à Angoulême et nous avons eu l’occasion de l’interviewer. Il est agréable et plaisant de discuter avec lui et nous espérons que vous prendrez autant de plaisir que nous à découvrir quelques petits secrets de son travail, de ses personnages, de ses goûts…
Matz en pleine méditation
Shelton et Jeffrey : Matz, avant de parler spécifiquement de votre série principale, « Le tueur », prenons le temps de parler de cette collection, de ce label particulier, Casterman Rivage Noir, dont vous êtes l’un des deux moteurs… ce n’est pas trop difficile, vous n’êtes pas submergés par les demandes ?
Matz : Je suis effectivement codirecteur de la collection aux côtés de François Guérif qui lui est directeur de Rivages Noir, la fameuse collection de romans noirs, textes qui sont adaptés en bandes dessinées. On a beaucoup d’auteurs qui trouvent la collection Casterman Rivages Noir très bien, qui voudraient en faire partie…mais notre travail est de choisir les romans qui vont être pris, puis de trouver les auteurs qui réaliseront ce travail et de le suivre au fur et à mesure. On a pas un objectif de production en grande quantité, donc on fait vivre notre collection sans problème en tentant les bons choix, en lançant les bons auteurs ou bonnes équipes sur les adaptations que l’on veut voir, que l’on veut lire au rythme de 4 à 6 par an en se focalisant sur la qualité.
Co-Directeur de collection et auteur
Shelton et Jeffrey : Quatre à six titres par an, c’est ce que vous aviez annoncé au lancement de la collection mais on ne savait si vous arriveriez à tenir cette cadence, non par épuisement de la réserve de la collection Rivages noirs, mais par manque d’auteurs de bandes dessinées intéressés par le projet, par manque de lecteurs…
Matz : En fait cela marche plutôt pas mal, on a même eu un ouvrage comme Shutter island (Christian De Metter sur un roman de Dennis Lehane) qui a été un bestseller. Il y a aussi plusieurs titres qui se sont bien vendus, qui se vendent bien : Scarface (Christian De Metter sur un roman d’Armitage Trail), L’ultime défi de Sherlock Holmes ( Stromboni et Cotte sur un roman de Michael Dibdin), Nuit de fureur (Miles Hyman et Matz sur un roman de Jim Thompson)… Je crois que la collection trouve un public.
Auteur et réussite éditoriale
Shelton et Jeffrey : Est-ce que ce public retourne vers les romans après, est-ce que, finalement, la bande dessinée fait lire ?
Matz : Oui je le pense même si on n’a aucune preuve. Je crois que les lecteurs des polars s’intéressent aux bédés, les lecteurs de bédés aussi, par contre, je ne sais pas si ça crée vraiment une synergie énorme, mais il y a bien un véritable aller-retour…
Le premier d'une longue série
Shelton et Jeffrey : Alors venons-en maintenant à votre série phare, « Le tueur ». Je me souviens de notre rencontre devant le premier album avec Luc Jacamon. Vous étiez dans l’incertitude totale car prendre comme héros un tueur à gages, c’était quand même un pari osé. Non ?
Matz : On sait jamais si ça va marcher ou pas. On est surpris quand ça marche mais aussi quand ça ne marche pas. Là, on accumulait les difficultés. C’était d’abord le premier album de Luc. Il débutait au dessin, n’avait pas de public acquis. Il avait un style unique, c’est pour cela que je voulais travailler avec lui, mais c’était son premier album. D’ailleurs, un style unique n’est pas réellement un atout car ça demande de la curiosité de la part du lecteur qui doit aller à la rencontre d’un graphisme, qui doit l’accepter… Le second handicap est d’avoir voulu un héros qui est un véritable anti-héros. Un héros très négatif.
Le métier de tueur
Shelton et Jeffrey : Il ne s’est pas amélioré avec le temps ?
Matz : Je ne sais pas… Le premier cycle, c’est sa vision du monde. C’est un personnage solitaire qui noue des liens avec des personnes de son entourage. Il finit par avoir une compagne, un enfant… Le second cycle, c’est une embrouille géo-politico-stratégique. Cela provoque un décalage du propos et le tueur est un véhicule pour les auteurs. Il porte un tas de considérations sur le monde, mais comme c’est un tueur professionnel qui les tient le lecteur se demande toujours où se situe l’équilibre entre ce qu’il pense, ce qu’il dit, ce qu’il fait…
Shelton et Jeffrey : Dans ce second cycle, on le voit plus douter…
Matz : Le tueur est un personnage habité par le doute. Il remet en question absolument tout : la religion, les affaires, la vie, la mort, tout ! C’est sa marque de fabrique.
Shelton et Jeffrey : Et le troisième cycle qui va arriver et sur lequel vous avez commencé à travailler ?
Matz : Dans le prolongement du deuxième, mais avec probablement un retour à une forme de solitude. En fait, lors du premier album, il est totalement seul. On est dans sa tête. La trajectoire logique était de lui créer des gens à qui parler, avec qui se lier. Maintenant que l’on a établi cela on peut retourner vers un personnage plus solitaire.
Travail très visuel...
Shelton et Jeffrey : Comment vous avez réussi à créer un tel personnage que l’on a si peu envie d’aimer au départ ?
Matz : Mais j’ai été surpris que les gens l’aiment autant ! En fait, ce qu’il pense, ce qu’il fait, ce que l’on voit ne sont pas les mêmes choses. Cela déclenche l’intérêt pour lui. De plus certaines de ses interrogations, de ses réflexions, de ses doutes donnent quelques petites possibilités d’identification. Dès que l’on porte une certaine attention au tueur, on le juge moins. Lui ne juge personne. Du coup, bien que ce qu’il fait soit d’une certaine façon répréhensible, bien qu’il ne tue pas que des ordures, il donne l’impression de ne pas remettre le monde complètement en question et peut dégager une certaine image pas totalement négative.
Shelton et Jeffrey : Comment vous avez travaillé avec les autres personnages pour en arriver là, à ce sentiment ambigu du lecteur ?
Matz : Revenons à l’origine du tueur. Quand on lit des livres d’histoire, il y a des assassinats, des meurtres, mais on ne parle que fort peu de ceux qui les commettent. Quand on regarde des films, il y a aussi des tueurs, des exécuteurs, mais souvent ce sont des personnages secondaires ou totalement vides. Mais dans les deux situations, je me suis toujours dit que ces assassins devaient avoir une vie, une pensée… J’ai voulu me mettre à la place d’un mec comme ça et décrire tout un ensemble de situations où l’on puisse exploiter son point de vue sur les évènements… Malheureusement, j’ai une limite à la question c’est que je ne connais pas de tueur à gages ! Je n’ai donc pas pu avoir de confirmation sur les états d’âme et de pensées d’un tueur professionnel. Mais je ne désespère pas d’en rencontrer un…
Shelton et Jeffrey : Et sa peur de la mort… je fais allusion au moment où il exécute un homme durant sa mort ?
Matz : C’est vraiment un élément important. Au Moyen-âge, les gens avaient peur de mourir durant la nuit, en plein sommeil. Ils craignaient de ne pas pouvoir recevoir les derniers sacrements. Ils pensaient que dans une telle situation, ils allaient directement en Enfer. Maintenant, c’est un peu le contraire, on entend souvent dire « J’espère mourir dans mon sommeil ». Ne rien sentir, pas souffrir et hop ! Là vous évoquez une scène dans laquelle le Tueur doit tuer un mec qui dort. Est-ce qu’il le réveille ou pas. Lui, il se dit : « Si je dormais, j’aimerais bien savoir qu’on va me tuer, savoir que c’est le moment et j’aimerais mieux qu’on me réveille avant ». Pourtant, il le tue dans son sommeil parce qu’il ne veut pas s’embêter avec d’éventuelles conséquences. En même temps, si on meurt dans son sommeil, on ne sait pas qu’on est mort, non ? On ne se réveille juste jamais. Il vaut mieux savoir qu’on est mort, ou qu’on va mourir. Si on meurt dans son sommeil, il n’y a que les autres qui le savent, nous on ne le sait même pas !
Entre fiction et réalité
Shelton et Jeffrey : Vous n’êtes pas que l’auteur d’une série, Le tueur, vous avez aussi écrit une autre série, toujours chez Casterman, Cyclopes. Quand vous regardez l’état de la planète aujourd’hui, vous n’avez pas l’impression que la fiction est devenue réalité ?
Matz : Je sais que je suis un visionnaire ! (éclats de rire) Oui, les cyclopes ont été rattrapés par la réalité. J’ai plein de copains qui me disent « T’as vu c’est comme dans Cyclopes ! ». La fiction est rattrapée, dépassée par la réalité surtout du côté de la sécurité et des actions de défense confiées à des milices privées. Cela a toujours existé mais c’est l’ampleur du phénomène qui est à observer. C’est d’autant plus pratique que ça permet de masquer certaines réalités : les mercenaires morts ne comptent pas dans les bilans officiels des soldats disparus.
Shelton et Jeffrey : Alors, une série terminée, Cyclopes, une série qui va aborder son troisième cycle, un polar noir adapté, Nuit de fureur, est-ce qu’il y aurait quelques projets dans vos cartons ?
Matz : Si, j’ai des listes de projets pas encore développés. Peut-être qu’ils ne sont pas bons mais je n’ai pas encore eu le temps de le vérifier. Mais c’est vrai que j’ai pas mal d’idées en stock. Il y a une série en trois albums qui va sortir chez 12 bis, OPK. La base est réelle, un peu comme dans Cyclopes, mais cette fois nous allons tourner notre regard sur les joueurs de jeux vidéo MMORPG. Ces joueurs, quand leur avatar se fait tuer virtuellement, recherchent celui qui a tué leur avatar et ils le tuent vraiment. Et, en fait, c’est déjà arrivé dans la vie réelle ! Mais ce n’est que le point de départ d’un thriller…
Une histoire noire dessinée par un Australien
Malheureusement, nous n’avons pas eu le plaisir de rencontrer Luc Jacamon, le dessinateur de la série Le tueur. Ce sera certainement pour une prochaine fois, à Angoulême ou ailleurs…