Dessiner les auteurs ? les dessinateurs ? Noémie s’y colle !!!

J’ai grandi en dessinant. Plus tard la profusion d’univers que je croisé en lisant des BD m’a amenée sur la voie du dessin. Et cette année en 2015, pendant le festival de la bande dessinée, l’équipe et moi-même avons mené nombres d’interviews d’auteurs et de dessinateurs. Durant les trente minutes que nous ont consacrées ces personnalités, j’étais souvent chargée de faire un portrait d’eux. Une expérience stressante et à la fois enrichissante.

En effet au début de chaque interview, on leur expliquait que j’allais les dessiner. La plupart des réactions des auteurs et autres dessinateurs a été d’ouvrir grands les yeux et de dire légèrement étonnés et septiques « D’accord… j’ai hâte de voir le résultat… ». Mais moi j’entendais « Mais quel est cet oiseau de malheur qui veut me dessiner… Avec quelle tête je vais me retrouver… ».

Je me mettais donc à l’ouvrage, assise à une table, sur un tabouret ou même debout. Pendant le temps qui m’était alloué, je dois bien avouer que je ne faisais pas du tout attention à ce qui m’entourait me concentrant uniquement sur ma feuille, mon stylo et mon modèle. Je n’avais qu’un seul objectif, ne pas louper mon dessin pour ne pas décevoir et être déçue et frustrée en retour.

La difficulté majeure est que chaque interviewé est différent. Ils bougent et se positionnent différemment. Et si certains sont plutôt calmes d’autres ont besoin de gestes amples pour s’exprimer.

Dans toutes les interviews réalisées, il ne m’est arrivé qu’une seule fois de recommencer le dessin que j’avais fait. J’aurais vraiment eu honte de présenter cette première ébauche. Une autre fois j’ai dû dessiner en même temps deux personnes en prenant moi-même part à l’interview, un petit challenge que j’ai relevé avec succès. A un autre moment encore j’ai dessiné la même personne une seconde fois dans un temps très court. Encore une fois j’ai réussi m’en sortir, bien que mon poignet commençait à me faire souffrir.

Puis venait la révélation, la fin de l’interview, le moment où je m’approchais anxieuse de l’interviewé pour lui montrer mon calepin ou le carnet dans lequel j’avais dessiné. Les réactions ont toutes été plus ou moins les mêmes, auteurs comme dessinateurs étaient impressionnés. « Je n’aurais jamais pu faire pareil » m’a-t-on félicitée. D’autres m’ont demandé si je faisais une école d’art, auxquels j’ai répondu que j’avais effectivement étudié en graphisme. D’autres étaient presque gênés de se voir dessinés ainsi et me complimentèrent sur ma vitesse d’exécution et d’observation.

Mais dans tout ça je crois que la personne la plus gênée, c’était moi. Recevoir tant de compliments, d’encouragements et de félicitations de la part de personnes dont j’admire le travail et dont le dessin est pour certain leur univers, c’était extraordinaire et surtout impensable. J’étais soulagée et vraiment très touchée de voir mes dessins plaire. Mais également émue d’être, en quelque sorte, reconnue par mes « pères ».

Le festival d’Angoulême de Shelton : 2ème partie du vendredi 30 janvier 2015

Quand on travaille sur l’agenda d’Angoulême, quand on prépare nos rendez-vous, on choisit les auteurs que l’on aime, que l’on connait, qui sont à la mode ou qui viennent rarement en France. C’est dans ce cadre que le nom de Charlie Adlard a retenu notre attention immédiatement. Pensez donc le dessinateur de la série mythique Walking Dead ! Oui, mais il fallait l’interviewer en anglais et donc la préparation ne fut pas légère : il fallait connaitre la série, avoir lu une partie des albums, éventuellement connaitre la série TV, aimer l’ensemble, parler anglais… et, surtout, voir notre demande de rendez-vous agréé par la maison d’éditions et par l’auteur ! Tout s’est bien passé, on nous a donné un créneau, on a préparé et nous y voilà…

C’est Axelle qui va prendre en main l’entretien en anglais et elle s’en est sortie merveilleusement bien. Le ton est fluide, l’ambiance est détendue, Charlie est souriant, léger et il semble s’amuser à répondre à toutes ces questions… Axelle n’est jamais dépassée, elle anticipe, elle écoute, elle réagit, rebondit et tout se passe bien. L’entretien dure plus longtemps que prévu et il semblerait même que le public soit très nombreux à écouter les propos de Charlie et Axelle…

Car il faut dire que c’est à ce moment-là que va se produire un évènement atypique qui fera mémoire dans l’histoire technique du festival. En effet, nous utilisons un micro-cravate, avec émission par ondes et sans que nous le sachions le magasin des Galeries Lafayette d’Angoulême a retransmis durant l’après-midi l’interview avec Charlie Adlard. Si la directrice du magasin n’a pas fortement apprécié la chose, les techniciens du festival furent surpris du phénomène et dès le lendemain une consigne apparut dans tous les lieux de presse avec l’interdiction d’utiliser la fréquence des Galeries Lafayette. Au moins, on se souviendra de l’utilisation de nos fameux micros-cravates !

Cela ne changea rien à la qualité des échanges avec Charlie Adlard, jeune auteur de qualité qui a rencontré le succès assez rapidement mais qui n’en reste pas moins un homme accessible, simple et plein d’humour ! Quant à la série Walking Dead c’est en bande dessinée qu’il faut la découvrir car la version y est plus complète, plus forte, plus dense, en clair, bien meilleure !!!

Tout en suivant des yeux et des oreilles Axelle, prêt à l’aider en cas de besoin, je jette un œil protecteur à Adeline et Amelia, mes deux étudiantes qui doivent aller interviewer Joris Chamblain, scénariste, et Aurélie Neyret, dessinatrice, des Carnets de Cerise, éditions Soleil. L’interview doit avoir lieu dans l’exposition qui est consacrée à cette petite merveille. Les filles ont aimé la série (3 albums), elles ont déjà rencontré le scénariste, et, pourtant, elles sont très tendues, surtout Adeline qui carrément morte de peur… Le stress de la première interview faite seules… Je suis assez confiant, elles sont prêtes !  

Je suis obligé de laisser Axelle clore l’entretien seule car je dois me dépêcher de rejoindre les éditions Paquet pour retrouver Stefano Carloni, le dessinateur de la série Sinclair qui vient de démarrer avec Laurent-Frédéric Bollée au scénario. Il s’agit d’un italien mais l’entretien va finalement se faire en français car Stefano parle très correctement avec un bel accent chantant…

La série appartient au label « Calandre » des éditions Paquet, un label où il est question de voitures, une véritable attraction de ces éditions quand on voit le nombre de lecteurs fidèles qui se précipitent autour du stand tous les jours pour obtenir une belle dédicace avec un dessin de voiture… J’avoue être plus sensible aux personnages qu’aux voitures et cela tombe plutôt bien car la série Sinclair est avant tout une histoire profondément humaine avant d’être une série de bagnoles ! Certes, Philippe Sinclair cherche à devenir pilote automobile, certes il a abandonné ses études de médecine pour entrer dans cette carrière, certes il est invité en Australie pour courir une course alors que le professionnalisme s’éloigne de lui… oui, mais là-bas, c’est son histoire qu’il rencontre, c’est sa famille qui reprend de la consistance, c’est un parcours de redécouverte, de reconstruction, initiatique auquel il est convié ! Un très beau récit bien dessiné et avec une narration graphique mature et maitrisée…

Stefano Carloni nous partage tout cela avec l’émerveillement d’un jeune auteur qui n’en attendait pas autant, pas si vite… Voilà, la série est partie pour un cycle de trois albums, il a déjà fait un Angoulême et il semble très heureux de ce qui lui arrive !

Pour clore cette logue journée, nous prenons la destination du théâtre d’Angoulême où va se tenir la grande conférence de presse des éditions Rue de Sèvres… Ce label, rattaché aux éditions L’école des loisirs, est né il y a un peu plus d’un an et lorsque nous avions été à la création, j’avais constaté que certains responsables venaient directement des éditions Casterman qui connaissaient alors quelques grosses difficultés… Louis Delas, qui lui aussi venait de chez Casterman, avait tenté une union Casterman/Ecole des Loisirs. Cela n’avait pas pu se faire – opposition de Gallimard – et Louis Delas avait démissionné de Casterman pour la maison L’école des Loisirs – que dirigeait son père – et où il voulait mettre en place une structure bandes dessinées… Quatre fidèles le suivaient dont Nadia Gibert et Rue de Sèvre apparaissait…

Etait-ce suffisant pour réussir ? Le marché allait-il laisser un petit entrer dans la danse ? Les auteurs de qualité suivraient-ils ? Toutes ces questions m’habitaient quand je suis entré dans la salle de conférence…

Première surprise ou remarque, il y a beaucoup de monde à cette conférence de presse, beaucoup plus qu’au lancement, presque autant que pour celle très prisée de Guy Delcourt. Deuxième chose qui saute aux yeux, de très grands auteurs sont là, certains sont déjà au catalogue de Rue de Sèvres, d’autre non… Jirô Taniguchi est là, Jacques Ferrandez, Tiburce Oger, Lewis Trondheim, Jérémie Moreau, Matz…

Deuxième point à mettre en valeur : contrairement à d’autres maisons d’éditions, la présentation des ouvrages à venir n’est pas le fait des éditeurs, mais bien des auteurs interviewés par leurs éditeurs. Ici, c’est l’auteur qui est au cœur de l’activité. Il est choyé, respecté, protégé, stimulé, aimé… tout simplement !

Et c’est ainsi que nous avons ce moment bien sympathique et chaleureux avec un Taniguchi sur scène qui dialogue avec son éditrice Nadia Gibert. C’est tout en finesse, en délicatesse, en respect mutuel… Il s’agit, au-delà de l’exposition qui lui est consacrée cette année à Angoulême, de parler de son dernier livre, publié chez Rue de Sèvres, Elle s’appelait Tomoji. C’est la vie d’une femme, de sa naissance à son mariage, une femme qui a bien existé puisqu’elle est la co-fondatrice d’une branche du bouddhisme prisée par l’épouse de Taniguchi lui-même. Mais au lieu de faire de l’hagiographie, il a pris appui sur la vie de cette femme pour raconter la société rurale japonaise entre les deux guerres mondiales… Nous reviendrons sur l’album lui-même plus tard, mais l’entretien ce soir-là éclipse tout le reste tant l’émotion est forte, tant la parole est pure, tant on sent entre l’éditrice et « son » auteur une relation profonde, vraie, amicale… Nadia fait le spectacle en terminant par trois phrases en japonais car depuis qu’ils travaillent ensemble – elle fut son éditrice chez Casterman – ils ne dialoguent qu’à travers une interprète…

Merci pour cette émotion et franchement, ce ne sera pas une offense à tous les autres si je dis que tout le reste de la soirée j’étais comme sur un petit nuage… et j’avais bien sûr au cœur l’unique fois où j’avais pu parler quelques minutes, là aussi avec interprète, avec Taniguchi, dans les locaux de chez Casterman…

Mais cela ne m’a pas empêché de prendre beaucoup de plaisir à écouter les autres auteurs et même à prolonger la discussion avec Tiburce Oger durant la soirée…

Encore une bien belle soirée, une journée riche en rencontres multiples et il était temps, dès lors, d’aller se coucher pour être prêt à aborder ce qui allait être la journée la plus chargée de notre festival d’Angoulême 2015…

(A suivre)

Le festival de Shelton : 1ère partie du vendredi 30 janvier 2015

Les nuits sont courtes durant le festival d’Angoulême. Le soir, on est fatigué, on cherche un peu d’énergie pour écrire un texte ou deux, on range les sons et images du jour, on prépare ses rencontres du lendemain et on s’écroule… Le lendemain matin arrive toujours trop vite et il faut déjà repartir au travail. Je parle bien de travail car avec mes étudiants on n’arrête pas et on sent bien que la fatigue est là doublée d’une bonne crève car on a en plus attrapé froid dès le premier jour…

Ce matin, ils sont quatre à prendre le chemin d’une conférence de presse sur Les Chevaliers du Zodiaque tandis que je m’apprête à rencontrer André Taymans. Voici un auteur que je connais depuis très longtemps et que j’ai toujours plaisir à retrouver. Il faut dire que j’ai une fille qui se prénomme Charlotte et elle a grandi presque en même temps que la Charlotte, héroïne de Taymans. Il s’agissait d’une très belle série énigmatique pour enfants de primaire et elle a certainement aidé André à devenir l’auteur performant qu’il est devenu. A cette même époque, il dessinait les aventures de Bouchon, un sympathique petit cochon qui amusait les enfants qui ne savaient pas encore lire. Oui, on l’oublie parfois mais Taymans a commencé sa carrière avec de très bons albums pour la jeunesse…

Il a aussi, il y a quelques années, raconté pour Okapi – mais je ne le lisais pas – Les tribulations de Roxane. Cette Roxane fera par la suite des apparitions dans le cycle de Caroline Baldwin, avant de revenir maintenant dans un cycle spécifique chez Paquet, avec ce premier album, La main de Pangboche, objet de notre rencontre…

Avec Taymans, on a en face de soi un grand de la bande dessinée franco-belge, un dessinateur classique capable de s’adapter à toutes les tranches d’âge, un passionné de la montagne, un homme profond et agréable, bref, tous les éléments sont réunis pour faire une bonne émission.

En termes techniques, il faut avouer que nous sommes un peu gênés par un bruit de compresseur d’air, de canon à air chaud ou autre groupe électrogène car le bungalow des éditions Paquet est situé contre cette maudite machine… Certes, on s’entend mieux qu’au cœur de la foule, mais les interviews seront difficilement exploitables, il va falloir nettoyer et abréger. C’est réellement un problème car je n’aurais rien à ôter de la discussion avec Taymans. Sa présentation de sa nouvelle série est impeccable, il parle avec passion de la montagne, avec délice de son héroïne, avec mystère de son intrigue… C’est aussi l’occasion de parler d’un album sans lendemain que j’avais adoré chez lui, Ban Mânis, un récit one-shot basé sur la vie d’une alpiniste Suisse… Et, à la fin, il y avait déjà une petite allusion au Yéti…

Oui, il est bien question du Yéti ici et cela permet de faire un petit hommage rapide à Hergé et son Tintin au Tibet, album magnifique qui laisser entendre que l’abominable homme des neige était bien doté d’un cœur ce dont les Tibétains et autres Népalais ne doutent pas un instant !

Nous n’aurons pas le temps d’atteindre le sommet des dieux que déjà il faut redescendre sur terre et se précipiter dans un autre lieu, aux éditions Soleil, pour la grande rencontre prévue avec Christophe Arleston !

J’ai découvert Christophe Arleston, il y a fort longtemps, avec une série jeunesse, Tandori, qui était dessiné par Curd Ridel. C’était en 1993. Cette série me faisait beaucoup rire et elle avait un petit quelque chose d’Astérix, Tandori étant une sorte d’Astérix des Indes… Puis, quatre ans plus tard, un de mes fils me plongeait de force ou presque dans Lanfeust de Troy, dessiné par Tarquin. Ce fut un coup de foudre car je trouve que le premier cycle de huit albums de cette série est un chef d’œuvre de la bande dessinée… Le temps a passé et je n’avais jamais rencontré ce scénariste. L’année dernière cela avait failli se faire puis au dernier moment, l’interview a été annulée…

Quand on arrive chez Soleil, l’attachée de presse, avec une petite grimace, m’annonce qu’il n’est pas là, qu’il est en retard, qu’elle n’a pas d’autre information… Je suis glacé et pessimiste. Encore une fois, cette rencontre tant espérée va tomber à l’eau. On attend… L’attachée de presse revient assez vite nous rassurer. Il arrive, il n’aura qu’un quart d’heure de retard…

OK, on va le rencontrer, mais du coup il ne restera que quinze minutes avec nous… A voir, on va prendre notre temps et on verra bien… et nous allons discuter presque trois quarts d’heure ensemble ! Ce fut un moment fort de la journée et l’équipe retiendra que cet homme est un vrai grand : qualité du propos impeccable, vue d’ensemble étonnante de la bande dessinée, recul sur son travail, affection pour ses dessinateurs, passion pour ses livres mais avec lucidité, humanisme profond qui transparait en continu, simplicité avec mes étudiants… Quel beau moment !!!

On a bien essayé de parler de tout ce qui le concernait mais comme c’est trop vaste, il a fallu se limiter à trois domaines. On a commencé par l’univers de Lanfeust ce qui semblait incontournable. Il a pu ainsi nous raconter les débuts de la série phare, le premier tirage du premier album, les premières dédicaces au salon de Maisons-Laffitte… Nous sommes là devant lui, captés par les anecdotes, les détails, les souvenirs… Il raconte tellement bien que l’on a presque l’impression que le dessinateur Tarquin est aussi là avec nous. Fascinant !

Dans un deuxième temps, on parle de la série Léo Loden, née au début des années quatre-vingt-dix, avec un dessinateur toulousain, Serge Carrère. Là aussi on parle de la genèse de la série, des grands virages, des choix, de l’avenir… Christophe nous explique que le dernier album, Brouillades aux embrouilles, est un album qui aborde le sujet du trafic d’armes dans la cité phocéenne et comme le sujet est un peu d’actualité avec ce qui s’est déroulé à Paris en Janvier, il n’en parle pas trop pour éviter de faire croire qu’il s’agirait d’un album de circonstances. En fait, comme il faut un an pour faire un album, c’est l’affaire Merah (mars 2012) qui avait provoqué l’envie d’aborder ce thème grave et citoyen, ce qui n’empêche nullement, la dose d’humour habituelle de cette série policière…

Enfin, dans une troisième partie d’interview nous allons dans l’univers d’Ekhö, série en cours dessinée par Alessandro Barbucci. Nous sommes ici dans une fantaisie contemporaine et j’avoue que la série fonctionne parfaitement bien avec deux personnages, Fourmille et Yuri, qui à l’issue d’un voyage en avion pour New York se retrouve dans une monde miroir du nôtre, un monde à l’ancienne, avec petits écureuils qui parlent et mènent tout le monde à la baguette, les Preshauns… Cette série regorge d’allusions et citations au monde de l’image, en particulier le cinéma… A travers cette série, on comprend de mieux en mieux comment Arleston dialogue avec ses dessinateurs, comment il trouve pour chacun l’histoire qui lui convient le mieux, comment la série est copilotée…

A la fin de l’entretien, nous sommes encore comme assommés par tant d’informations, d’histoires, de gentillesse. Nous ne sommes pas avec celui qui a vendu plus de douze millions d’albums de bande dessinée, nous ne sommes pas avec un des grands scénaristes de la bédé, nous sommes juste avec un homme qui répond paisiblement et simplement à nos questions… Vraiment un beau moment que chacun va garder dans sa mémoire pour longtemps !

Redescente sur terre, la journée n’est pas terminée et il est temps de poursuivre nos entretiens. C’est au tour de Nicolas Otéro, le dessinateur de la série Amerikkka aux éditions Paquet. Cette série scénarisée par Roger Martin est une histoire policière, liée fortement au KKK (Ku Klux Klan), qui permet un grand voyage aux Etats-Unis, de mieux comprendre le racisme dans ce vaste pays et de vivre une aventure étonnante et mystérieuse par album (9 sont parus à ce jour, on en annonce un dernier…). Les deux agents spéciaux qui luttent contre le KKK, Angela et Steve sont solides et bien construits ce qui rend la série très agréable à lire.

Nicolas est un dessinateur sympathique et dynamique, c’est avec cette série qu’il a commencé en 1992, juste en sortant de son école lyonnaise, Emile Cohl, ville dans laquelle il vit encore. L’entretien est rapide, pas à cause du manque d’intérêt de la série ou du dessinateur, mais simplement parce que nous faisons cela au cœur du stand Paquet. Tandis que je l’interview, et qu’un des étudiants filme, le reste de l’équipe canalise le public pour qu’il ne rentre pas dans le champ de la caméra. Toute une opération complexe qui ne peut pas se prolonger trop longtemps quand même… Et dans ce cas, dix minutes, c’est déjà très long… Mais Nicolas se prête au jeu et ce sera la seconde interview diffusée à la radio cette année, dans l’émission envoyée dès notre retour d’Angoulême avec celle de Lewis Trondheim…

Le « client »suivant est Jean Dytar, un auteur complet que peu connaissent, et je trouve cela très injuste. C’est une des raisons qui a motivée cette rencontre. Faire connaitre un auteur trop confidentiel alors que le talent est bien là. Il a publié chez Delcourt, dans la collection Mirage, La vision de Bacchus.

On ne résume pas un tel album qui nous plonge au cœur de la création artistique. On doit le lire, tout simplement mais pour vous situer les choses, on peut dire que nous sommes à Venise en 1510. Nous sommes avec un peintre, Giorgione, atteint de la peste, sur le point de mourir. Avant, il a une dernière tâche à accomplir, finir une toile ! Et c’est là que la bande dessinée s’ouvre en quelque sorte, qu’elle va naviguer entre histoire de la peinture, réflexion sur la création, vie intime des artistes, difficulté de la vie humaine et, même, d’une certaine façon, intrigue policière… Le livre est prenant et touchant, l’auteur que nous avons devant nous aussi !

Jean Dytar est à la fois un auteur et un pédagogue (il est enseignant d’arts plastiques au quotidien) et j’ai l’impression qu’il parle à mes étudiants comme un prof : il explique, montre, justifie, revient sur certains éléments… On se laisse prendre et on se dit qu’il faudra réviser avant la prochaine interro, ou relire l’album avant d’écrire la critique… C’est aussi toujours, pour moi, un émerveillement de voir ces auteurs aussi disponibles pour les interviews. Certes, ils défendent leurs œuvres, mais ils répètent des dizaines de fois les mêmes choses avec tant de patience et gentillesse… Jean prend le temps de dédicacer un album pour le projet Chacun sa bulle, là aussi, avec beaucoup de disponibilité. Merci !

Notre auteur suivant est Turf pour son premier volume du Voyage improbable, aux éditions Delcourt. Là, le ton change. Turf est direct, tonique, rapide dans ses réponses et plus déjanté que notre enseignant de Jean Dytar. En quelques minutes, nous ne sommes plus dans la salle de presse des éditions Delcourt mais sur une navette spatiale improbable, un phare breton blanc et rouge propulsé par erreur et circonstances au bout de l’univers… Et, même pas peur ! Non mais…

Interviewer Turf est toujours comme une petite récréation car il ne se prend pas au sérieux tout en proposant des histoires, certains diraient des fables,  d’une grande qualité avec de multiples références littéraires et cinématographiques, profondément humaines aussi, bien sûr. Ce phare en mouvement devient un huis-clos grave et plein d’humour. Le lecteur ne s’ennuie pas du tout, et, maintenant, il attend avec impatience le second volet de ce diptyque ! Mais attention, si Turf répond vite et bien aux questions, il dessine plus lentement et on verra bien quand arrivera la fin de cette histoire…

L’auteur suivant est un scénariste, Alain Ayroles, et, je l’avoue sans détour, c’est un de ceux qui m’a apporté le plus de jubilation de lecteur. C’est lui qui a scénarisé l’incroyable série Garulfo (avec Bruno Maïorana au dessin) et la folle épopée théâtralisée en bédé De cape et de crocs (avec Jean-Luc Masbou au dessin). C’est deux séries sont si fortes, si drôles, si prenantes, si bien construites… qu’il ne vous reste plus qu’à les lire si vous ne les connaissez pas. Les deux séries sont terminées, en quelques sortes, si ce n’est que pour la seconde, De cape et de crocs, les auteurs ont voulu offrir au public une sorte de conclusion en guise de prologue (ou le contraire, allez savoir) avec deux albums racontant la vraie vie d’Eusèbe, le lapin blanc que les amateurs de la série connaissent bien. Enfin, on va savoir ce qu’il a vécu avant la série, comprendre pourquoi il est devenu ce qu’il est, et j’avoue que dès le premier volume j’en ai eu pour mon argent !

Alain Ayroles est un scénariste méticuleux, construit et méthodique. Dans l’interview, il est aussi comme cela et ne laisse rien sans réponse, explique calmement tout, donne des détails sur son travail avec Masbou, sur la série, sur les personnages. Les étudiants présents regrettent un peu qu’il n’y ait pas plus de chaleur dans les propos car certains sont totalement fans de la série et auraient voulu rencontrer un des personnages plus que l’auteur. C’est l’occasion pour eux de bien comprendre qu’un auteur n’est pas un personnage de bandes dessinées. C’est un artiste et il peut y avoir de grands écarts entre le créateur du personnage et le héros lui-même. Là nous étions avec Alain Ayroles pas avec Armand Raynal de Maupertuis (les amateurs de la série comprendront !).

Comme la journée fut très longue, nous parlerons de Charlie Adlard, de Carloni, des Carnets de Cerise, de Taniguchi, de l’épisode des Galeries Lafayette et des éditions Rue de Sèvres dans un prochain article…

(A suivre)

Photos de Michel, pierre et Cécile