Du grand classique de la rue : Les nouveaux antiques de la compagnie Pare choc

L’empereur autoritaire

Le théâtre de rue ? Mais où est-il passé ? C’est vrai que j’ai commencé par vous parler de danse, de performance et de spectacles combinant plusieurs disciplines de la rue et pas encore de théâtre alors que ceux qui me connaissent savent ce que c’est un des points forts des arts de la rue pour moi. Il fallait donc que je vous en parle un peu et ce sera aujourd’hui un début avec la pièce Les nouveaux antiques de la Compagnie Pare choc…

L’oracle sournois

Un empereur, sa famille, le Sénat et le peuple. On pourrait presque tout résumer ainsi. Pourtant vous pourriez alors vous faire des illusions. Imaginez une grande fresque péplum avec Rome reconstruite à Chalon sur Saône, des textes en alexandrins et des costumes par centaines pour donner l’illusion totale de la cour de l’empereur Tacule…

Le parricide potentiel

Tacule était un empereur romain ? En même temps, on n’est pas obligé de croire tout ce qui se raconte dans les spectacles de rue…  L’empereur est menacé directement par son propre fils qui complote pour prendre le pouvoir. Là encore, pure fiction car on sait bien que comploter contre son père n’arrive jamais chez les empereurs ou les rois, seulement chez les papes et c’est bien pour cela qu’on les empêche d’avoir des enfants : ça diminue les risques !

La souffleuse du public

Le pauvre Tacule qui ne voit rien venir est embêté aussi par les amours de sa fille qui ne sont des plus simples… Il y aura aussi des soldats, des sénateurs, un général un peu limité, un oracle – un des personnages les plus fous de l’histoire – et, enfin, deux techniciens animateurs de spectacles, musiciens et accessoiristes… Bref, 16 personnages à faire vivre pour seulement une poignée d’acteurs… heureusement, ils jouent plusieurs rôles sans que l’on s’en aperçoive… enfin, presque !

Le général vaincu

Le véritable renfort de la troupe ne vient pas du budget qui a permis de confectionner des costumes à partir des objets de la vie quotidienne, il vient du public qui prête mainforte avec plaisir car dans le théâtre de rue, c’est une habitude… Un drap blanc roulé autour du cou et voilà un nouveau sénateur !

L’altruiste au service de la nation

J’ai passé un excellent moment et je n’étais pas le seul car la troupe a bénéficié d’une véritable standing-ovation, à moins que les gens assis par terre aient eu besoin de déplier rapidement leurs jambes. Je préfère l’option de la standing-ovation car elle était parfaitement méritée !

Scène aux thermes

Un beau travail apprécié du public ce qui démontre une fois de plus qu’une bonne histoire, bien jouée, même si le public doit participer, ça fonctionne, ça plait et moi j’aime !!! En plus, j’ai failli oublier de vous le dire, c’est drôle et ça fonctionne bien !

Le peuple en colère

Vodka, du Tchekhov dans la rue… C’est 100 issues !

Comme lors du festival d’Angoulême, certains étudiants sont venus faire du reportage avec moi… Naomi est allé voir cette pièce de théâtre et elle nous en parle…

Vodka est une adaptation de la comédie L’Ours d’Anton Tchekhov. Oui, vous avez bien lu, un texte de Tchekhov qui a été écrit en 1888 !!! Et on retrouve cela dans la programmation Off du festival Chalon dans la rue 2013 ! En fait, depuis bien longtemps, les arts de la rue s’inscrivent dans la grande tradition classique des drames en tous genres, c’est à dire au cœur de l’humanité toute entière…

C’est avant tout l’histoire de deux vies qui se heurtent. Un homme et une femme dont la rencontre fait des étincelles.

Elle, veuve depuis sept mois, a fait le choix de se couper du monde. Elle soude, elle sculpte. Lui, un exploitant endetté, éternel enragé, vient à elle pour lui réclamer l’argent que son défunt mari lui doit. Après tout pourquoi voudriez-vous que la mort efface les dettes, non mais !

C’est dans le décor d’un atelier poussiéreux, au milieu d’on ne sait où, que leurs chemins se croisent. A travers un rideau de plastique rouge sang leur histoire s’enflamme. Les deux êtres s’appréhendent, se cognent, se méprisent, se défient, naît alors une ardente histoire d’amour. La farce prend forme par l’absurdité de leurs comportements face à ce désir mutuel incontrôlé qui leur tombe dessus.

C’est probablement là que l’on retrouve les fondamentaux de Tchekhov, univers où les personnages ont tant de mal à se mouvoir raisonnablement. Pas étonnant que tant de pièces du grand maître russe se terminent par des suicides, des meurtres et des fuites absurdes, plus absurdes les unes que les autres…

De la ferraille, du cuir, une vieille bécane, des flingues, deux comédiens fougueux, talentueux, une énergie débordante, Brand New Cadillac des Clash, nul doute, c’est punk’n'roll et c’est du théâtre, n… d… D… !

Et pour avoir un aperçu, elle a réalisé une petite vidéo :

http://www.youtube.com/watch?v=mMc73Th8vKQ&feature=youtu.be

Merci Naomi !!!

A table !

Tout commence avec une partie de ping-pong. Oui, quatre personnes entament cette partie et invitent quelques personnes à venir se mêler au jeu. Rien de bien extraordinaire dans tout cela si ce n’est que les tenues des joueurs surprennent. Talons, pantalons, chemises tout cela nous éloigne du sport… Non ?
Soudain les envies naissent et se déchainent et on comprend qu’il va s’agir de danse contemporaine plus que de théâtre. Un cuisinier entre en jeu. Il propose au public quelques amuse-bouche avant de mettre au travail certains. Il faudra émincer des oignons et préparer des poireaux. Quels rapports entre sport, danse et nourriture ? Pourquoi faudrait-il qu’il y ait des rapports entre les différents éléments de ce spectacle décalé et déjanté ?
Chaque spectateur doit pouvoir construire son histoire. Pour l’un ce sera par exemple le besoin d’énergie du sportif qui passera par l’alimentation « utile » avant de dégénérer éventuellement dans le surplus, dans le rejet, dans le déchet. Pour d’autres, pourquoi pas, le danseur, le sportif est angoissé par son corps, par cette nourriture qui lui fait envie mais qu’il finit malgré tout par rejeter… Pour d’autres, enfin, l’incompréhension du passage entre activités et nourriture persistera jusqu’à la fin du spectacle…
Toutes les étapes du repas sont évoquées, de la conception à la digestion, et le spectateur en délicatesse avec le conceptuel sera guidé par les mots écrits sur un tableau. Oui, il en faut pour tout le monde…
Cela n’empêchera pas le questionnement angoissant du festivalier qui voudrait bien comprendre pourquoi le cuisinier finit par se livrer totalement aux actions des quatre danseurs…
La fin – du repas ou de la danse – laisse aussi dubitatif car on passe d’une expression poétique, sensuelle et mystique (presque) à une chorégraphie sur du standard international sans intérêt. Erreur inutile, provocation constructive ou action incomprise, allez savoir ?

Alors faut-il y aller ou pas ? Oui, si vous êtes inconditionnels de la danse contemporaine et que vous souhaitez vous faire votre propre idée ! Oui, si vous voulez voir les évolutions des danseurs ballotés par leurs envies et pulsions au milieu des aliments, parfaitement comestibles au départ ! Non si vous refusez envers et contre tout que l’on puisse jouer avec de la nourriture ! Non, si vous préférez les spectacles qui commencent par « il était une fois » et qui finissent par « ils se marièrent et cuisinèrent tous les jours » car, ici, vous ne trouverez peut-être pas l’histoire…

C’était Scène de la compagnie Pic la poule !

Embarquement immédiat !!!

Je vous avais dit que la cour des Kids était conçue pour les familles et dès mercredi après-midi, à l’occasion de plusieurs répétitions générales j’ai pu constater que c’était vrai. Ce fut le cas, en particulier, pour un très beau spectacle, Marchand de voyages de la compagnie La chose publique.
Imaginez, que vous découvriez en pleine nature, au pied d’un arbre, un vaisseau spatial. L’engin est-il capable de vous emmener au loin ? Vous doutez car depuis toujours on vous a appris à ne pas trop rêver. On vous distribue un ticket, gratuitement, ce qui ne fait que réveiller votre suspicion. Partir dans cet engin, vous étiez presque prêts à l’accepter, mais gratuitement, cela cache certainement quelque chose de grave… Soyons prudent…
Heureusement, ces divagations d’adultes ne touchent pas les enfants (à partir de cinq ans selon les organisateurs du voyage) de prendre le ticket en main et d’attendre avec impatience… Attendre quoi ? Mais ils ne le savent pas exactement car ils n’imaginent pas encore ce que peut être un voyage sonorique…
Un premier numéro est tiré au sort et voilà qu’un jeune homme se lève et nous quitte pour une expérience sans équivalent dans le monde. Après quelques préparations physiques et psychiques, le voilà dans la capsule… Bon voyage !
C’est la musique qui va servir de carburant. L’acteur de ce très beau spectacle va donc jouer avec les sons, les mélodies, les instruments de musique et son ordinateur pour composer la symphonie du voyage… et ça fonctionne !
Véritable poétique magique, ce spectacle a enchanté tous les spectateurs, pas seulement les enfants, tous les adultes qui les accompagnaient ont salué là un très bon spectacle qui respecte le jeune public et rend l’imaginaire musical accessible à tous…
N’oubliez pas de récupérer votre carte d’embarquement et bon voyage !
Attention, il n’y a pas qu’un enfant qui voyage mais deux. Parents, pas de panique, vos enfants reviendront du voyage et ceux qui ne sont pas tirés au sort voyagent tout autant que ceux qui sont obligés, sécurité oblige, de mettre casque et lunettes soniriques…

Cette compagnie lorraine qui s’est illustré avec son travail sur les lieux, sur l’identité, sur la mémoire et la transmission, c’est à dire sur tous les enjeux culturels, propose ici un travail sur la musique et ce qu’elle provoque chez celui qui l’écoute… Un seul mot : merci ! Une seule envie : que vous soyez nombreux à voyager !

Embarquement tous les jours à 14h et 16h, Parc Georges Nouelle, durée du voyage environ 35 minutes (s’il n’y a pas de problème technique lors du voyage)…

Spirou a soixante-quinze ans !!!

Le journal de Spirou a eu soixante-quinze ans cette année, au mois d’avril très exactement. Je devrais dire septante-cinq ans, puisqu’il s’agit bien d’un magazine belge pour la jeunesse. En 1938, les éditions Dupuis ont voulu réaliser un périodique pour la jeunesse sur le modèle de ce que Walt Disney avait fait avec le Journal de Mickey. De la bande dessinée, des reportages instructifs, des histoires à suivre et le tout suivi de publications par la suite. Il fallait pour cela un personnage emblématique qui ferait l’unanimité autour de lui et dans lequel les jeunes enfants pourraient s’identifier ou retrouver un grand frère pour les guider… Ce fut un peu comme un appel à candidature et c’est ainsi que Rob-Vel, de son véritable nom Robert Velter, proposa le fameux Spirou (écureuil en wallon, et par extension garçon vif et réactif). Le créateur est aidé par Davine et Luc Lafnet et le personnage se retrouve au service du Moustic-Hôtel pour une longue, très longue série d’aventures…

Le personnage de Spirou va connaître de nombreuses évolutions car, comme il est dès le départ la propriété de l’éditeur, il va être confié régulièrement à la créativité et à la sagacité de génies comme Jijé, Franquin, Fournier, Tome et Janry, Yann, Bravo, Yoann, Vehlmann, Parme et de nombreux autres artistes tous aussi doués les uns que les autres…

Buck Danny de Charlier et Huninon

Mais Spirou est avant toute chose un magazine pour la jeunesse qui a vu passer dans ses pages de très nombreux héros de bandes dessinées qui ont fait semaine après semaine le bonheur des jeunes lecteurs, mais aussi de leurs parents. Comment ne pas évoquer, en parlant de Spirou, Buck Danny, Johan et Pirlouit, les Schtroumpfs, Gaston Lagaffe, Lucky Luke, les Belles histoires de l’oncle Paul, Jean Valhardi, Tif et Tondu, Blondin et Cirage, La patrouille des Castors.

Une planche de la patrouille des Castors…

Dans les personnages qui suivirent cette vague des précurseurs, osons rappeler, si besoin était, Les Tuniques bleues, Benoît Brisefer, Natacha, Yoko Tsuno, l’Agent 212, Papyrus, Théodore Poussin, Cédric…

Une planche des aventures du fameux Cédric…

Soixante-quinze ans c’est l’âge du grand-père… mais c’est aussi l’âge idéal pour transmettre, pour faire le lien entre plusieurs générations. Spirou a survécu à tous les changements, a résisté à la télévision et est en voie de survivre aux jeux vidéo et Internet… Il donc encore temps de faire en sorte que tout le monde puisse lire les mêmes histoires en famille et échanger autour de personnages plutôt sympathiques qui continuent de faire rêver les uns et les autres…

Spirou, toujours là pour vous faire rêver et rire !

Et si on jouait ensemble… à Familys !!!

Jouer est un acte élémentaire de la vie qu’il ne faut pas sous-estimer. Ne pas jouer avec ses enfants, c’est comme les pousser à jouer seuls et, donc, il ne faut pas s’étonner de voir des enfants se perdre dans les jeux vidéo, seuls, quand on a refusé de jouer en famille avec eux auparavant. Bien sûr, il ne s’agit pas de culpabiliser celui qui n’a pas joué mais bien d’inviter tout un chacun à beaucoup plus jouer avec les enfants, à transformer ces séquences ludiques en rassemblements festifs, en temps forts de la vie familiale, en séances d’apprentissage de la vie. Le jeu est un espace-temps où l’enfant découvre le « je », c’est à dire sa véritable personnalité, où il apprend à respecter les règles, à perdre (mais aussi gagner, heureusement), enfin, c’est le moment où il mesure que dans la vie on est avec les autres, pour le meilleur et, parfois, le pire.

Alors, bannissons de nos jeux les faux-semblants, les tricheries pour laisser gagner les enfants, la mauvaise foi qui peut tant caractériser les adultes… Jouons franchement, avec des règles bien établies et sans arrière-pensée. Il en restera toujours des liens solides et durables. Je me souviens encore, plus de quarante ans après, des belles parties de « Diamino » avec ma grand-mère. Et je vous promets qu’elle ne faisait pas semblant de perdre, elle jouait à fond et elle gagnait en beauté…

Comme je sais que certains ne savent pas toujours avec quel jeu passer un bon moment avec leurs enfants et/ou petits-enfants, je vous invite à découvrir Familys, un jeu de combinaisons assez étonnant qui devrait en surprendre plus d’un et enchanter les réunions de famille.

Au premier abord, on pourrait penser à un jeu de familles. Mais voilà, le fameux jeu des sept familles, décliné de mille et une façons, n’est quand même pas un jeu fascinant pour les grands. Les petits eux-mêmes, finissent par se lasser…

Dans Familys, il faut pourtant bien constituer une famille pour gagner. Mais le jeu ne s’appuie pas seulement sur le hasard pour permettre d’accumuler les quatre grands-parents, les deux parents et les trois enfants… En effet, si une partie repose bien sur le hasard qui fait que certaines cartes arrivent au bon moment, elle s’appuie, aussi, sur certaines compétences… Pour se défausser de cartes, en tirer des nouvelles et finir par obtenir celles qui nous manquent, il faut créer des combinaisons qui peuvent être obtenues en constituant soit des mots, soit des suites de chiffres ou de lettres, soit des groupes de symboles identiques… On peut d’ailleurs parfaitement adapter la règle pour ceux qui ne maitrisent pas encore complètement la lecture en faisant seulement des suites de lettres, chiffres et symboles identiques…

Le jeu se complique – non, en fait devient plus passionnant – quand on découvre que certaines cartes permettent de détruire partiellement le jeu de l’adversaire sur le point de gagner, un peu comme dans le Mille bornes avec les cartes crevaison, panne d’essence ou accident…

On peut donc jouer à ce très bon jeu à partir de 6 ans, on peut jouer à partir de 2 et jusqu’à 6 (nous avons testé le jeu à 3 et à 4, avec délice) et une partie dure entre un quart d’heure et vingt minutes…

C’est un jeu de Franck Saverys et Sabine Hamays que l’on peut se procurer chez les vendeurs spécialisés de jeux de société et directement sur le site suivant :

http://boutique.asyncron.fr/index.php/familys.html

Mes meilleures rencontres, mes plus beaux souvenirs d’Angoulême 2013… (3ème partie)

Le temps passe, le 40ème festival international de la bande dessinée d’Angoulême n’est plus dans l’actualité ou sur le devant de la scène mais il est encore bien présent dans ma mémoire. Il est donc encore temps de vous faire partager quelques-uns de ces souvenirs, quelques-unes de ces rencontres lors de ces jours passés au cœur des bulles angoumoisines… Je vous ai déjà raconté certaines discussions et il est temps maintenant de parler de Desberg, Jul, Ers et Matz…
Si je veux citer Stephen Desberg c’est que sa rencontre a bien failli ne pas avoir lieu et que cet auteur a accepté l’interview uniquement parce que Céline, une de mes étudiantes, était une fan inconditionnelle, qu’elle voulait absolument que l’on puisse l’interroger, elle désirait ardemment l’entendre et discuter avec lui…
Nonobstant son attachée de presse qui voulait lui assurer un agenda sinon confortable au moins acceptable, Stephen Desberg apprenant la situation acceptait de faire un effort et nous offrait un rendez-vous… La rencontre pourrait avoir lieu avec une rumeur amicale lancée par Thomas Legrain qui susurrait que Desberg acceptait surtout de rencontrer une jeune étudiante… Mais ce n’était qu’une rumeur sans fondement, la vérité était toute autre, Stephen est un auteur sympathique, tout simplement…
Devant son idole, si on peut parler ainsi, face à celui qu’elle considère comme un géant parmi les scénaristes bédé contemporains, Céline fut paralysée par la peur, l’émotion, la timidité… Impossible de lui parler, de l’interroger et, du coup, je dus jouer le journaliste seul. Soyons honnête, avec un client comme Desberg, ce ne fut pas le calvaire ! Cet homme agréable et ouvert, intelligent, fin, et passionné, prend toujours un grand plaisir à parler de ses séries, de ses albums, de ses collaborations avec les dessinateurs dont les noms sont maintenant tous connus Griffo, Vrancken, Vallès, Marini, Reculé, Chetville… Céline connaissait bien la série IRS dont elle avait dévoré tous les albums et c’est par celle-ci que nous avons commencé notre discussion… Il faut dire que le personnage de la série, Larry B Max est tout à fait fascinant comme l’énigmatique Gloria d’ailleurs…
Même si je posais les questions, je voyais bien que Stephen s’adressait directement à Céline qui, elle, de son côté, buvait toutes ses paroles avec la tête d’un disciple fasciné par le grand maître… Devais-je regarder Céline plonger dans son rêve de rencontre ou rester attentif à Desberg pour relancer la discussion ? Finalement j’oscillais entre les deux et je profitais sur les deux tableaux en regrettant de n’avoir pas eu une main et un œil supplémentaires pour filmer ou photographier la situation…
Je crois que cette rencontre a illustré que la renommée d’un auteur – celle de Stephen Desberg qui est réellement connu avec ses séries phares, IRS, Sherman ou Le Scorpion – n’empêche pas la simplicité, la délicatesse, la volonté de proximité avec les lecteurs… A défaut d’avoir été capable d’interroger son auteur fétiche, je crois que Céline est repartie avec un lot d’émotion qu’elle va maintenant savourer au jour le jour jusqu’à une prochaine rencontre à Angoulême ou ailleurs, et là, c’est promis-juré-craché, c’est elle qui posera les questions !
Après Desberg et Céline, je voudrais prendre le temps de vous faire rencontrer Jul. Cette fois, j’étais accompagné de Clémentine, mais ni l’un ni l’autre ne connaissions vraiment cet auteur. Pas de curiosité ou de fascination particulières, juste le plaisir de croiser cet homme qui avait été choisi pour être le parrain de la manifestation 48 H BD qui vient d’avoir lieu en France les 5 et 6 avril 2013. Il était donc important de le découvrir à travers son ouvrage consacré à La grande Librairie publié chez Delcourt. Il ne s’agit pas d’une bande dessinée à proprement parler mais d’un recueil de dessins de presse réalisés en direct lors de l’émission de télévision.

Ce qui nous a séduit instantanément avec Jul, c’est sa facilité d’accès, sa simplicité, sa gentillesse. Il est à l’écoute, ne cherche pas à parler de lui à tout prix ne met pas son album en avant. Simplicité, curiosité, joie d’être accepté dans ce milieu de la bande dessinée et c’est probablement grâce à cette personnalité qu’il a été choisi pour l’événement 48 H BD ! Une demi-heure ensemble et on n’a même pas vu passer le temps… reconnaissons, par contre, que la lecture de l’ouvrage, La Grande Librairie, ne conviendra pas à tout le monde. A notre avis, il faut soit avoir suivi l’émission assez souvent pour retrouver des scènes connues, soit être un passionné de littérature et livres actuels, soit, enfin, être fou du dessin de presse et admirer là le talent de celui qui, en quelques secondes, vous raconte une histoire, même petite… Pour les autres, trop de dessins resteront des mystères.

Dimanche matin, arriva le tour de Ers ; comment s’est-il retrouvé dans nos meilleures rencontres ? Tout simplement parce qu’il a dessiné le premier album d’une nouvelle série, Hell School, ouvrage que toute l’équipe avait lu et apprécié. L’épreuve la plus difficile, ce fut pour lui. Même pour un auteur confirmé ce n’est pas toujours facile de répondre à des questions avec sept personnes devant vous, deux micros, deux caméras, un appareil photo… Juste de quoi paralyser un homme sensé, mais heureusement, il s’est comporté comme si tout cela était normal et évident…

Hell school est une série qui peut être lue sous trois angles et nous les avons observés un par un de façon très complète et plaisante avec un dessinateur qui parlait aussi de l’aspect scénario avec aisance. Il faut dire que Dugomier et Ers n’en sont pas à leur première collaboration et travaillent ensemble depuis presque vingt ans.

On a donc parlé des adolescents dans le milieu  scolaire puis du bizutage et des rites d’initiation, enfin de psychologie en huis clos et ce ne fut pas l’aspect le moins intéressant de cette rencontre…

Avant de se quitter, Ers a accepté de dessiner devant caméras et appareils photo pendant de longues minutes un dessin en couleur, avec les crayons gras de ses enfants, pour illustrer son travail.

En conclusion de ce troisième volet de mes rencontres d’Angoulême 2013, je voudrais vous parler d’Alexis Matz, auteur et directeur de collection. C’est à cause, ou grâce, à sa série Le Tueur, que nous nous étions rencontrés la première fois il y a plus de dix ans. Cette fois-ci, en 2013, Le Tueur était à l’honneur et pas seulement parce que le onzième tome venait de sortir car tous les personnels de chez Casterman, l’éditeur du Tueur, étaient habillés d’un tee-shirt à l’effigie sans oublier les affiches du Tueur répandue aux quatre coins d’Angoulême…

Pour ceux qui ne connaissent pas encore la série, il faut savoir qu’au départ Le Tueur est un exécuteur à gages, assez insensibles, méthodique et parfaitement organisé, qui tue sur commande moyennant finances. Un véritable tueur, impitoyable et sans états d’âme… Mais au fur et à mesure du temps, ce tueur a évolué, a réfléchi, a médité, est devenu une sorte de philosophe… A partir du second cycle, ce personnage froid et criminel, est devenu plus attirant ou fascinant, et il a quitté son statut, évident du départ, d’antihéros pour celui plus délicat de personne sympathique, père de famille, amant, agréable à vivre… Enfin, n’exagérons quand même pas trop, il reste un tueur !

Alexis Matz reconnaît d’ailleurs l’envie qu’il avait à la naissance de la série de créer un antihéros auquel le lecteur finirait par s’attacher à contre cœur… Quoi, moi, aimer un tueur ! Vous êtes fous ou quoi ? Et, pourtant, maintenant, on finit par trembler pour lui quand il est en danger. Il est le méchant, le tueur, l’assassin et on croit déceler comme un peu d’amitié entre lui et nous…

Alexis Matz est un auteur touche à tout très facile à questionner. Une petite question et il parle déjà pendant vingt minutes… Au moins le silence – l’angoisse du journaliste radio – n’est pas d’actualité ce jour-là… Il a une vision assez exigeante de la bande dessinée ce qui n’empêche pas une facette populaire. Il est aussi éditeur de la collection Rivages Casterman Noir, collection/label qui donne la possibilité d’adapter des romans noirs en bédés noires en s’appuyant principalement sur la collection de romans noirs bien connus de Rivages.

A l’écouter, on mesure à quel point il est hyper actif, investi qu’il est dans son travail à 150 %. On peut d’ailleurs préciser pour ceux à qui cela aurait échappé qu’il est le scénariste d’une série, Du plomb dans la tête, une histoire dessinée par l’Australien Colin Wilson. Or, cette dernière vient d’être adaptée au cinéma par Walter Hill (sorti aux Etats-Unis en février 2013). Belle réussite pour une bande dessinée franco-australienne !

Voilà, quatre belles rencontres encore pour découvrir la bande dessinée sous des angles différents. C’est aussi quelques belles invitations à lire, à découvrir de très beaux albums de bédé… C’est aussi pour cela que j’aime ce festival et que chaque année je me débats pour y emmener quelques étudiants à qui je tente de transmettre mon goût, ma passion pour cet art narratif, le neuvième art comme certains ont osé l’affirmer…

Mes meilleures rencontres, mes plus beaux souvenirs d’Angoulême 2013… (2ème partie)

Dans les meilleurs souvenirs la tentation est toujours forte de glisser les rencontres avec les auteurs que l’on connaît déjà. C’est rassurant, c’est sans risque. On les a déjà rencontré, on parle de ce qu’ils font et que l’on aime depuis longtemps, on les flatte tout en se flattant puisque l’on apprécie leur travaux depuis longtemps… Mais un tel festival est d’autant plus marquant par ses moments passés avec des personnes que l’on ne connaissait pas, que l’on découvre, qui suscitent immédiatement une admiration ou, plus fort encore, avec qui on se sent naturellement en confiance au bout de quelques secondes…

C’est ce qui m’est arrivé quand je suis allé rencontrer, dans un bar d’Angoulême, après une longue journée d’interview, Dem et Looky… Ces deux noms ne vous diront pas grand-chose. Ils ne sont pas encore sur le devant de la scène du neuvième art et les lecteurs ayant apprécié le graphisme de qualité de Looky ne sont pas encore des millions, mais attention, cet état de fait peut changer vite…

L’envie de les croiser, au moins quelques instants est née de la lecture d’un album au nom connu, pour ne pas dire plus, Blanche Neige. Ce personnage de conte appartient indiscutablement à notre mémoire collective et le dessin animé de Walt Disney a consolidé ce mécanisme. Plus récemment, c’est le cinéma qui est venu nous montrer que ce conte n’était pas pour les enfants et il était intéressant de comprendre pourquoi ces jeunes auteurs se retrouvaient pris dans une telle aventure, comme s’il n’y avait pas assez de champs nouveaux à aller explorer… Pourquoi encore Blanche Neige ?

Looky en dédicace privée…

J’avais préparé mille et une questions pour dénicher chez eux un attrait financier – sortir une bédé en même temps que le film – ou une trace de fainéantise – nous faisons du Blanche Neige parce que nous n’avons pas d’autres idées – alors que je tombais sur deux jeunes auteurs sympathiques qui étaient heureux d’avoir eu l’occasion d’explorer un conte qui les avait enchanté jadis…

Looky, dessinateur un peu plus expérimenté, accompagné de Dem, qui est aussi sa moitié dans la vie, se sont appuyés sur un scénario de Maxe L’Hermenier pour nous livrer une Blanche Neige surprenante, cohérente et très agréable à rencontrer. Certes, tous les dessins ne sont pas pour les enfants, mais qui croit encore aujourd’hui que les contes des frères Grimm sont destinés aux enfants ?

Pourquoi se tourner vers des contes connus, pourraient dire certains grincheux parmi vous ? Je veux juste rappeler que les Frères Grimm, eux-mêmes, n’ont fait que mettre en forme une histoire qui venait de la tradition orale et de la mythologie germanique… Raconter ce type d’histoire c’est ce réapproprier le mythe et le transformer pour enchanter, au sens propre du mot, le lecteur ! C’est bien ce qu’on fait Dem et Looky, c’est une version avec des dessins forts, reflets d’un univers complexe aux tensions bien réelles, avec, en plus, des nains cannibales !

Quant à la sorcière, pour s’en débarrasser, je ne vois qu’une solution, celle qui est exposée dans cet album, le bûcher !

Et c’est au tour de Dem de dédicacer avec concentration…

Après avoir parlé de la simplicité et de la gentillesse des dessinateurs de cet album, après avoir dit combien cette appropriation était réussie, je voulais insister encore un peu en affirmant que ce Blanche Neige est aussi bien sympathique par la proposition finale, une série d’illustrations et textes qui donnent des témoignages sur « ma vision de Blanche Neige »… Marc Moreno, olivier Boiscommun, Alexis Sentenac, Xavier Roth Fichet, Julien Mariolle, Eric Hérenguel, Agnès Maupré, Régis Penet, Laurent Bonneau, Tony Valente, Paul Marcel, Djet et Brice Cossu se sont prêtés au jeu et c’est fort bien pour le lecteur qui aimerait, lui aussi, mettre son petit grain de sable à l’édifice…

Enfin, sur le même thème des contes, nous avons eu l’occasion de rencontrer plusieurs auteurs s’étant autorisés à se réapproprier des contes classiques, mythique ou mythologiques. C’est ainsi que nous avons lu le Cendrillon de Trif des éditions Tabou, un version érotique du conte – mais nous savions bien que Cendrillon était une bonne à tout faire – et cet auteur italien a accepté de converser avec nous quelques minutes. Enfin, comment ne pas évoquer toutes les bandes dessinées qui surfent sur l’Heroic fantasy en s’appuyant sur des légendes celtiques, nordiques ou asiatiques ? Et cela nous ramène à nos rencontres fascinantes avec David Chauvel, Hub, Emmanuel Michalak, Jérôme Lereculey…

Oui, finalement, le festival d’Angoulême est une grande occasion pour replonger dans notre enfance celle où certaines personnes prenaient le temps de nous aborder en nous disant :

« Il était une fois… »

Et c’est bien pour cela que certaines rencontres sont si belles et agréables ! Merci Dem, Looky, Hub, Chauvel, Michalak, Lereculey et tous les autres pour ces magnifiques retours en enfance qui rendent la vie si belle !

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Blanche Neige

Scénario de Maxe L’Hermenier, dessin de Looky et Dem

Editions Ankama

Angoulême 2013 : Encore de bien belles mains au service du neuvième art

 Que la main est belle, à l’œuvre, quand elle fait naître sous nos yeux un dessin vivant qui raconte… Dessiner, raconter, enchanter… voilà ce que nous offrent ces grands artistes durant les quatre jours du festival international de la bande dessinée d’Angoulême… C’est aussi pour cela que chaque année on a envie d’y retourner !

Des photos de Shelton, Céline et Sandrine

Emmanuel Michalak
Série Aslak, Delcourt

Hub, série Okko
Éditions Delcourt

Quand le doigt devient instrument

La dédicace revêt ses habits de lumière

Zep dessine Nadia
Éditions Glénat

Philippe Buchet nous entraine dans son sillage
Editions Delcourt

Avec Roba comme Verron
Boule et Bill restent eux-mêmes

Vincent Wagner toujours au service de son scénariste Seiter
et du romancier Wilkie Collins, éditions Emmanuel Proust

Angoulême 2013 – Rencontre avec Régis Hautière et Hardoc

Lors du festival d’Angoulême 2013, Hardoc et Hautière présentaient le premier album de leur série La guerre des Lulus, une publication Casterman. Une occasion de rencontrer ces deux sympathiques auteurs qui se proposent de réaliser une série jeunesse ayant pour toile de fond la Première guerre mondiale… La Grande Guerre !
Shelton : Comment est née cette histoire de La guerre des Lulus ?

Hautière : C’est tout d’abord né d’une envie de ma fille qui a quatorze ans et qui me réclame depuis des années une histoire avec des enfants qu’elle pourrait lire. Une belle histoire plus accessible que des thrillers que j’ai déjà écrits. C’était le premier aspect du déclenchement de cette histoire, puis il y a eu une discussion que j’ai eu avec une copine qui travaillait à l’Historial de la Grande Guerre à Péronne (http://www.historial.org). C’est un grand musée national consacré à la première Guerre Mondiale en Picardie, et mon amie me faisait remarquer qu’il n’existait pas, à sa connaissance, de bande dessinée sur cette période de l’histoire de France que l’on pouvait mettre dans les mains des enfants. A l’Historial, ils ont une librairie, on y trouve des romans jeunesse, des romans, des documents, et les seules bandes dessinées que l’on peut y trouver sont celles destinées aux adultes, donc sombres comme cette période et inaccessibles aux enfants, aux jeunes lecteurs. Ça a trotté dans ma tête durant une période assez longue puis je me suis dit, tiens, pourquoi ne pas faire quelque chose qui se passerait pendant la guerre de 14 qui mettrait en scène des enfants ? Evidemment, on n’est pas sur le front, on est à l’arrière, mais pas du côté français, à l’arrière des lignes allemandes.

Régis Hautière

Shelton : Une histoire qui se déroule durant la première guerre mondiale, avec des enfants, lisible par des enfants, sans que ce soit trop noir… Dites-nous en plus car cela semble difficile à trouver au premier abord ?

Hautière : On a quatre orphelins dont l’orphelinat a été évacué. On est tout près de la frontière belge. C’est au moment de l’évacuation de l’institution par l’armée française que les quatre orphelins en question qui étaient sortis sans autorisation sont tout simplement oubliés. Les Lulus ont échappé à la surveillance des adultes, ils construisent une cabane dans les bois. Tout le monde est paniqué par les  Allemands qui arrivent et on va les laisser à leur triste sort… Enfin, triste… Ils vont surtout être amenés à survivre pendant la durée de la guerre…

Shelton : Dites-nous quand même pour des Lulus ?

Hautière : Oui, quatre garçons, quatre orphelins, mais surtout quatre prénoms qui commencent par Lu… On a Lucien, Ludwig, Luigi et Lucas. Ils vont rencontrer une jeune fille, Luce. Mais cette dernière est-elle une Lulu ? C’est un questionnement que vont avoir les garçons car si son prénom peut convenir, c’est quand même une fille, mais surtout elle a des parents ! Certes, ils ont disparu à ce stade de l’histoire – ils étaient dans une colonne de réfugiés – il n’en demeure pas moins qu’elle n’est pas une orpheline…

Shelton : N’en disons pas trop sur le scénario car il va y avoir une série pour nous raconter le destin de ces enfants… Par contre, il semble que certains jeunes lecteurs s’interrogent sur un aspect fondamental pour la crédibilité de cette bande dessinée… Les Lulus vont tenter de survivre, ils vont récupérer des aliments dans l’orphelinat, en particulier de la farine… Mais que faire de farine si on n’a pas de moyen de cuisson ? Or la cabane n’est pas équipée d’une cuisinière ni d’un four !

Hautière : C’est vrai, je vois que vous avez croisé des lecteurs perspicaces, et c’est pour cela que dans le tome suivant ils vont construire un four dans la cabane…

Shelton : Nous voilà rassurés car pour le moment c’est essentiellement de la ventrée de confiture…

Hautière : J’adore la confiture comme Luigi…

Shelton : Ne restons pas que dans l’alimentaire… comment choisit-on un dessinateur quand on porte un tel projet de série de bandes dessinées ?

Hautière : Ce n’est pas un choix unilatéral, cela se fait vraiment à deux. En l’occurrence, j’avais déjà travaillé avec Hardoc avant la guerre des Lulus. On se connaît depuis longtemps, on habite la même région. On est amis ! On a même déjà travaillé ensemble en bédé (par exemple www.sceneario.com/bande-dessinee/LOUP+LAGNEAU+ET+LES+CHIENS+DE+GUERRE+LE+2-Mercenaires-5607.html ). D’une façon générale, quand je monte un projet de bande dessinée, je préfère travailler avec un dessinateur avec qui je m’entends bien car on va être amené à se fréquenter au moins un an donc le choix ne porte pas simplement sur les aspects techniques ou artistiques. Mais il faut que ce soit quelqu’un dont je respecte le travail, dont le dessin m’inspire… et tout cela était réuni avec Hardoc !

Shelton : N’en dites pas plus, Hardoc pourrait avoir la grosse tête… Justement, tournons-nous vers Hardoc, le dessinateur de cette série. Hardoc, un village, une abbaye délestés de leurs habitants, cela nécessite de la part du dessinateur d’aimer l’architecture, d’avoir des modèles, des repères…

Hardoc sérieux comme un pape

Hardoc : Le village est imaginaire même si l’abbaye qui sert d’orphelinat existe bien. Comme il s’agit d’un petit village, que l’abbaye est devenue un lieu modeste d’accueil d’enfants abandonnés, j’ai beaucoup épuré l’architecture du bâtiment existant pour faire naitre celui de notre histoire… J’ai quand même gardé un espace de grande taille pour que cela semble immense aux enfants, surtout quand il est vide. De plus, les enfants vont évoluer dans peu d’endroits de l’abbaye ce qui pour moi m’a permis de me concentrer sur quelques lieux de l’abbaye-orphelinat. Mais les Lulus sont très souvent dans leur coin de forêt, dans leur cabane, et du coup c’est aussi comme un huis-clos ce que j’aime bien. C’est comme si je les suivais, je les collais, caméra sur l’épaule dans un espace restreint… Dans les deux premiers tomes, on se limite à la cabane, l’orphelinat, le village…

L’abbaye-orphelinat

Hautière : Après, sans vouloir tout dévoiler, ils vont devoir quitter ce cocon et parcourir les routes de France…

Shelton : Hardoc, vous aimez dessiner les cabanes dans les arbres, franchement ?

Hardoc : J’expliquais récemment que moi qui habitais un petit village de trois cents habitants – village que l’on voit à un moment dans l’album – j’ai fait beaucoup de constructions de ce genre. Des grandes cabanes avec des véritables planches, des cabanes en dur ! Bizarrement, dans le village, il y avait un clan constructeur et un clan destructeur. On ne sait pas pourquoi, chaque fois que l’on construisait, d’autres venaient casser… Pour se défendre on avait acheté chez l’épicier du village des sortes de pétards ou petits feux d’artifices, on avait récupéré des morceaux de tubes en PVC et quand ils arrivaient pour leur œuvre destructrice, on tirait nos munitions en utilisant les tubes pour viser dans leur direction et les faire fuir… Oui, donc j’ai beaucoup construit de cabanes et je suis très heureux de prolonger cela avec les Lulus… Du coup j’aime bien aussi les animer, les faire parler, je revis une partie de ma jeunesse… Les dialogues de Régis [Hautière] me font rire tout seul quand je les reçois via l’ordinateur. J’espère que les voisins ne m’entendent pas trop…

Shelton : Le quel de vous deux a inventé le gag du marteau ?

Hautière : C’est moi, en tous cas, c’était bien dans le scénario. Moi aussi j’ai beaucoup de souvenirs de cabanes. J’ai grandi dans une petite ville de Bretagne, à côté de la campagne, et, là, on faisait aussi des cabanes, avec des pièges pour des ennemis imaginaires qui ne sont jamais venus. Les seuls qui tombaient parfois dans les pièges, c’étaient nous-mêmes…

Shelton : L’ennemi savait qu’il y avait des pièges trop dangereux et il ne prenait pas de risque…

Des éléphants en Bretagne ?

Hautière : Oui, surement et c’est la même chose pour les pièges à éléphants que l’on avait installés [rires]…

Shelton : Revenons-en à cette période de la guerre. Vous traitez l’arrière du front, de surcroît du côté allemand, est-ce que l’on trouve une grosse documentation sur la vie dans cette zone ?
Hautière : Non, en fait, il y a peu de choses écrites sur la vie quotidienne à l’arrière du front en zone allemande. Dans les romans et les films, on trouve quelques éléments mais relativement peu. Il faut donc se documenter beaucoup et surtout arriver à constituer un nombre d’objets conséquents sur la vie quotidienne, ces objets permettant d’identifier cette période. Par exemple, dans le tome 2, la petite Luce a besoin d’être soignée. Il a fallu se renseigner sur les médicaments qui existaient à l’époque. Il y avait déjà de l’aspirine, mais sous quelle forme, sous quel conditionnement, tout cela pour permettre à Hardoc de dessiner du vrai. Les flacons d’aspirine en 1914, on est à la fois loin de la guerre mais en plein dans notre sujet…

Shelton : Le premier volume porte le sous-titre de 1914. Il y aura un album par année…

Hautière : Oui, un par année ce qui permet aussi de voir les enfants grandir. C’est tout d’abord un phénomène physique – challenge du dessinateur – mais aussi un aspect mental, intellectuel et psychologique… on a des enfants au début de l’histoire, qui ont entre 11 et 15 ans. Donc ce sont des adolescents. A la fin de la guerre, ils seront devenus de jeunes adultes… Ils auront accumulé une expérience énorme avec une guerre par procuration en quelque sorte. Certes, ils n’auront jamais été sur le front mais reviendront changés par la guerre. Notre propos est de rester lisible par tous, donc pas de scènes de guerre comme pourtant il y en a eu. L’horreur de la guerre ne sera donc pas vue, mais évoquée à travers le point de vue des adultes, des soldats, des déserteurs…

Shelton : Hautière, on a l’impression que de votre côté le scénario est presque bouclé pour l’ensemble de la série, mais combien de temps faudra-t-il attendre pour avoir le tome 2 de la série, c’est à dire plonger dans l’année 1915 ? Le dessinateur traine-t-il trop ?

Hardoc : Je ne sais pas si le terme de « trainer » est le bon terme. Ce qui est certain c’est que techniquement c’est toujours plus long, plus délicat, de dessiner que d’écrire une bande dessinée. Mais pour le tome 2 on est bien avancé puisque les deux tiers sont déjà réalisés. Je suis en train de travailler sur deux grosses séquences de la fin qui me prennent un peu de temps.

Hautière : L’album est entièrement découpé, le story-board est fini, dans trois/quatre mois on aura terminé l’album, restera alors le travail de l’éditeur. On peut donc raisonnablement penser à une sortie entre septembre 2013 et janvier 2014. On ne travaillait pas avec l’idée du centenaire de la Guerre de 14/18 en tête, mais on va bien avoir à un moment les partions de notre série qui tomberont avec cette célébration qui devrait toucher beaucoup de monde. La coïncidence est pour le moins porteuse…

Hautière et Hardoc loin de leurs outils habituels

Il ne reste plus qu’à lire cette série qui nous fait plonger dans cette période au moment où nous allons nous souvenir collectivement de cette grande boucherie humaine qui ravagea l’Europe entre 1914 et 1918…

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La maison des enfants trouvés, 1914
Tome 1 de La guerre des Lulus
Scénario de régis Hautière
Dessin de Hardoc
Editions Casterman
ISBN : 9782203034426