Perpendiculaire au soleil
de Valentine Cuny-Le Callet

critiqué par Blue Boy, le 18 mai 2023
(Saint-Denis - - ans)


La note:  étoiles
Une lueur précieuse dans les sombres couloirs de l'Oncle Sam
Très remarqué à sa sortie l’an dernier, ce livre extrêmement personnel d’une nouvelle venue dans la bande dessinée a déjà été, de manière fort légitime, récompensé du prix Fnac-France Inter. Valentine Cuny-Le Callet nous livre ici une œuvre dense et hybride, où elle évoque sa correspondance avec Renaldo McGirth, jeune prisonnier afro-américain détenu dans le couloir de la mort. Plus qu’une simple dessinatrice, celle-ci pratique également la gravure, et par un seul feuilletage du livre, on ne peut être qu’impressionné par le talent de cette artiste qui jaillit littéralement de ces pages.

Si ce pavé impressionne également par son poids (plus de 400 pages tout de même !), il nous laisse qui plus est en état de sidération par son propos et sa complexité. « Perpendiculaire au soleil » est avant tout une œuvre intime relatant une expérience qu’on imagine poignante. Accusé de meurtre lors d’un braquage chez des particuliers aisés, Renato McGirth a été condamné en 2008 à la peine capitale mais continue à croupir dans le couloir de la mort en raison des complexités de procédure. Âgé de 34 ans aujourd’hui, l’homme clame son innocence, estimant qu’il n’a pas eu droit à un procès équitable.

Valentine Cuny-Le Callet, sensibilisée très tôt par les questions autour de la peine de mort et du système carcéral américain, est entrée en relation avec le condamné suite à son inscription à l’ACAT, une association chrétienne militant pour l’abolition de la peine de mort. Sans rien savoir de son correspondant au départ, la relation épistolaire qu’elle entame avec lui révèle que le jeune noir manifeste un goût pour l’art et la littérature. Au-delà des courriers, l’un et l’autre échangeront également leurs dessins, transformant leur relation en démarche quasi-artistique, dont cette bande dessinée sera le fruit.

De fait « Perpendiculaire au soleil » est une œuvre tripale, où l’autrice exprime bien évidemment sa révolte vis-à-vis des conditions d’emprisonnement inhumaines concernant les condamnés à mort aux Etats-Unis, qui en grande majorité sont afro-américains et bénéficient rarement d’un traitement judiciaire exemplaire. Cuny dénonce ainsi la ségrégation raciale rappelant une époque qu’on voudrait croire révolue mais qui encombre encore largement le système judiciaro-policier de ce pays, lequel aime à se prétendre phare de la démocratie dans le monde.

Vibrant plaidoyer contre la peine de mort, le livre aurait peut-être pu se faire plus synthétique d’un point de vue narratif, mais cette densité est compensée par le talent graphique de l’artiste qui se déploie sur ces 400 pages, lequel pouvait difficilement subir un tronçonnage dans sa logique descriptive. Tout en noir et blanc, le dessin et les gravures font de « Perpendiculaire au soleil » un véritable objet d’art. Les seules touches de couleur apparaissent dans les œuvres de Renato McGirth que l’autrice reçoit par la poste.

A titre très personnel, l’auteur de ces lignes a moins été touché par ce récit autant qu’il ne l’espérait. Est-ce dû au fait qu’à un moment, Renaldo semble se recroqueviller sur lui-même, peu disposé à laisser éclater son émotion ? Le filtrage discutable des courriers, hallucinant et odieux par les motifs invoqués (« images racistes non autorisées » quand il est question d’un portrait d’un militant des Black Panthers), n’a pas dû contribuer à fluidifier l’échange de façon sereine. Entre les retours à l’envoyeur et la censure qui ne veut pas dire son nom, Cuny a dû recourir à des stratagèmes incroyables, tels l’amputation de ses images évoquant l’histoire du racisme aux USA ou la contre-culture afro-américaine.

« Perpendiculaire au soleil » est une œuvre qui sans nul doute fera date, méritant sa place dans toutes les médiathèques scolaires et municipales. D’ailleurs, on serait presque étonné de constater que le livre n’ait pas figuré pas dans la sélection officielle angoumoise, coutumière des productions hors normes de ce type. La bonne surprise viendra finalement de la Fnac, qui peut-être aura voulu faire amende honorable — sait-on jamais ? —, après la tentative de censure opérée l’an dernier contre le jeu de société « Antifa », sous la pression de l’extrême-droite et d’un syndicat de policier.
Une riche vision (parcellaire) du système judiciaire US 6 étoiles

Une riche vision (parcellaire) du système judiciaire US

Une relation épistolaire constitue le départ de celle-ci mais très rapidement, le graphisme prend une place de plus en plus importante. De cela naît un projet de réalisation d'un ouvrage à quatre mains.
L'intention première de l'autrice est de dénoncer la peine de mort mais là aussi le projet glisse vers la dénonciation des conditions de détention de ces condamnés.
Il importe d'avoir bien présent à l'esprit qu'il n'est nulle part question de remettre en question le jugement (bien que le condamné Renaldo Mc Girth proclame son innocence) mais bien la nature de la sentence et les conditions de détention.
A travers les difficultés rencontrées pour ces échanges (critères abscons de rejet du courrier, critères de plus en plus restrictifs et ouverts à des interprétations de moins en moins cadrées et donc subjectives, "perte" de courrier...)
Il apparaît clairement que la volonté de l'administration pénitentiaire vise une forme de brimades de ces individus tant dans les applications des règles que dans le maintien de ce lien épistolaire. Les rejets de courrier contiennent de moins en moins le motif.
L'évolution de cette administration se traduit dans l'évolution de l'implication de Renaldo MCGirth dans ces échanges. Ceux-ci sont traversés de périodes de silence ou de vide dans les contenus qu'il envoie. L'homme disparaît de plus en plus pour se transformer en un simple dossier à traiter. La re-sentence qui doit permettre de savoir s'il est toujours condamné à mort ou s'il "bénéficiera" d'une condamnation de détention à perpétuité traîne, à la fin de l'ouvrage, depuis plus de six ans.

Le dessin quasi exclusivement en noir et blanc, traduit l'oppression permanente de cette situation, les "évasions" oniriques.
Il est intéressant de noter que les trois ou quatre dessins en couleurs sont ceux de celui qui est en prison.
Si le choix de ces traits épais est celui de l'autrice, il en est tout autre du découpage des dessins en multiple morceaux. Ceci vise à contourner la censure concernant les dessins.

Un ouvrage oppressant, puissant, évoquant fortement la pression tant matérielle que morale exercée par l'administration judiciaire américaine sur ces condamnés à mort. La réflexion sur la nature de cette condamnation , motivation première de l'autrice a été délaissée.
Cette situation est insupportable mais il serait intéressant d'avoir un ouvrage semblable se consacrant cette fois aux victimes collatérales de ces criminels.
De même, aborder le problème des jugements portés serait riche. Dans ce cas précis. la condamnation a été à l'unanimité moins 1 voix mais est-ce que le fait que l'inculpé est noir n'a pas eu une influence décisive sur le vote final ?

Un ouvrage qui met mal à l'aise, intéressant de par l'angle de vue choisi. Il ne permet toutefois pas de se faire un idée sur la question. La réflexion sur la peine de mort en elle-même est totalement éludée.
La décision des tribunaux n'est pas non plus traitée.
La situation des proches des victimes n'est absolument pas abordée. Ne vivent-ils pas, eux aussi, une situation aussi dramatique ?
J'apprécie le traitement du sujet, je comprends l'intention de l'auteur mais cet ouvrage ne doit pas être pris comme unique support de réflexion sur ce problème très complexe : justice, victime, peine, objectif de cette peine, de ces traitements, efficacité etc...

Mimi62 - Plaisance-du-Touch (31) - 71 ans - 8 mai 2024