A la cime des montagnes
de Chi Zijian

critiqué par Débézed, le 24 mars 2019
(Besançon - 77 ans)


La note:  étoiles
La vie dans les montagnes chinoises sous Mao
A la pointe extrême du nord de la Chine, là où elle côtoie la Sibérie, là où le froid et la neige n’incitent pas les populations à venir se fixer, là est née Chi Zijian, l’auteure de ce vaste roman qui raconte l’histoire d’un village perché au sommet d’une montagne à l’époque où Mao tenait fermement le timon du pays. En lisant les premiers chapitres de ce livre, j’ai eu l’impression de lire un texte d’une héritière des grands classiques chinois : Lu Xun, Mao Dun, Shen Congwen, Yu Hua ou d’autres encore qui ont raconté l’histoire des campagnes chinoises dans un style assez lent, peut-être imposé par l’utilisation de nombreux idéogrammes longs à dessiner, très descriptif, soucieux des détails et de la vie dans la nature. Mais après ces premiers chapitres, j’ai constaté que Chi Zijian a une vraie culture littéraire occidentale, elle connait très bien les problèmes de nos civilisations qu’elle n’hésite pas à glisser dans son texte même si je ne suis pas convaincu qu’ils appartiennent particulièrement aux préoccupations des Chinois et de leurs dirigeants. L’auteure aurait puisé son inspiration dans la nature qu’elle a souvent parcourue et dans les nombreuses légendes que sa grand-mère lui a racontées quand elle était enfant, tout en y ajoutant les fruits de sa culture personnelle.

Chi Zijian construit son récit autour de l’histoire de quatre familles principales et de quelques individus particulièrement caractéristiques. Il y a la famille Xin dont le grand-père est accusé de désertion lors de la guerre contre les Japonais et, surtout Xinlai, le petit-fils adoptif meurtrier qui occupe une large place dans le roman ; la famille Shan de Belle-sœur Shan abandonnée par son mari , qui élève seul son enfant un peu débile ; la famille An qui prend une large place notamment avec Brodeuse, la grand-mère qui s’occupe de tout et ses enfants Ping, exécuteur des basses œuvres, Tai père de Daying qui décède tragiquement, et surtout sa petite-fille Neige, une naine aux pouvoirs miraculeux ; la famille Tang avec Hancheng le maire de la commune et quelques autres personnages ayant d’importantes fonctions les exposant à la corruption. Comme on peut le constater, cette population comporte de nombreux personnages peu banals qui se rencontrent, comme dans un roman d’Hugo, pour nouer moult intrigues qui, à la fin, se rassemblent pour trouver leur résolution. J’ai eu l’impression en lisant ce livre, comme je le dis plus haut, que l’auteure connait bien le roman européen.

Dans ces histoires qui se coupent, se croisent, s’emmêlent et, à la fin, se démêlent, Chi Zijian raconte l’histoire d’un village de la campagne chinoise de l’extrême nord du pays. Elle met en scène des personnages souvent cruels, cyniques, violents, corrompus, ayant peu de compassion et de charité. Elle laisse croire que la société chinoise est très préoccupée par les intérêts personnels et que l’intérêt collectif prôné par le régime n’a pas franchement pénétré les campagnes. Comme dans de nombreux romans chinois, l’honneur et l’image projetée ont un intérêt capital, il faut pouvoir marcher la tête haute pour exister et ne pas s’exposer à la moquerie ou à la violence des autres. Le paraître l’emporte toujours sur l’être. Elle ne parle pas, ou presque pas, de politique et de du rôle des institutions, par peur de la censure - peut-être ? - ou parce que celles-ci n’ont pas pénétré profondément les campagnes qui sont restées très marquées par les traditions et les légendes anciennes. C’est du moins l’impression que j’ai eue à la lecture de ce vaste roman campagnard qui dégage, malgré tous les vices qu’il raconte, beaucoup d’humanité et de culture.

Chi Zijian a une véritable maitrise du roman, des grandes histoires qui s’entrelacent, et une vaste culture. Il faut féliciter les traducteurs qui ont su traduire ce texte en lui gardant tout son sens et sa saveur. Et l’éditeur qui gratifie le lecteur de l’arbre généalogique de chaque famille, ce qui l’aide bien à suivre les tribulations des protagonistes de toutes les intrigues que l’auteure noue dans ce texte.